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La victoire écrasante de Jeremy Corbyn sur les Blairistes fait vaciller l’establishment. Mais il nous faut organiser non seulement la défense des principes pour lesquels il a été élu, mais aussi la sienne contre les attaques dont il fait l’objet. En politique comme dans la vie il faut toujours s'attendre à l'inattendu. La victoire écrasante et étonnante de Jeremy Corbyn dans la course à la direction du parti travailliste a été au-delà des rêves les plus fous de tous les militants. Quand je repense au député local que j’ai vu tout au long de mes 40 ans d'enseignement dans Islington, parcourir à vélo la route de Holloway, l'artère principale de sa circonscription, pour soutenir chaque grève et les mobilisations progressistes sous le soleil, je peux sans peine imaginer ce qu’il doit penser aujourd’hui. Ce que je pouvais prévoir, ainsi que beaucoup d’autres, c’est l’enfer qui nous attendait s’il avait perdu.

Son ami et maintenant chancelier du « cabinet fantôme » (nd : son secrétariat), John McDonnell dit qu'ils sont confrontés depuis son élection à un terrible « tsunami » venant de l'opposition. Dans un certain sens l'ampleur de cette opposition et la quantité de vitriol déversée pourraient être prises comme un compliment. Les attaques ont été particulièrement dures. La droite, à l'intérieur et en dehors du Labour (parti travailliste), est terrifiée par ce que représente le leadership de Corbyn et MacDonnel.
Combien c’était rafraîchissant, d'entendre Corbyn faire applaudir les grévistes de la Galerie nationale dans son discours à la Conférence des T.U.C. du mois de Septembre. (« Trades Union Congress » : fédération des syndicats britanniques). À quand remonte la dernière fois ou un dirigeant du Labour parla en soutien d’une grève ? Pendant la course au poste de direction, le Daily Telegraph a interpellé les Tories qui voyaient la victoire de Corbyn comme un cadeau leur ouvrant une voie royale pour les prochaines élections en 2020. Il a souligné à juste titre que le contraire pouvait arriver et qu’alors les principes fondamentaux de la société capitaliste seraient soumis à une critique minutieuse.

Une victoire significative
Il est utile de rappeler l'ampleur de la victoire. Corbyn a remporté 251 417 voix (59,5 %), contre 80 462 pour Andy Burnham (19 %), 71 928 pour Yvette Cooper (17 %) et 18 857 pour Liz Kendall (4,5 %). Il a gagné dans les trois catégories du collège électoral : 49,6 % des membres du parti, 83,8 % des supporters inscrits (ceux qui ont payé £3) et 57,6 % des affiliés, dont les syndicalistes.

Qu’il subisse ensuite l'attaque de la droite ce n'est pas surprenant. Fidèle à leurs habitudes, les tabloïdes ont lancé la curée allant de l’insignifiant : « le bouton du haut de son costume était arraché », à la sinistre menace d'une mutinerie dans l'armée s'il devenait premier ministre. Mais c'est dans la presse libérale et parmi les propres députés de son propre parti, y compris les membres de son cabinet, que la véritable menace réside.
L'Observateur et le Guardian, les piliers jumeaux de la presse libérale, ont fait campagne sans relâche contre Corbyn, et une fois sa victoire proclamée, ils ont annoncé instantanément son échec inévitable. Leur hostilité a non seulement offensé beaucoup de leurs lecteurs, mais aussi certains de leurs journalistes les plus connus. L'Observateur a même été contraint d'imprimer les articles d’Edward Vulliamy et William Keegan prenant position contre l’opinion de leur journal et celle du Guardian. Vulliamy a écrit: « Je pense que nous décevons beaucoup de nos lecteurs et d'autres en ne prenant pas en compte la signification de ce résultat et de ses principes moraux : l'égalité, la paix et la justice. » Et Keegan soutient que l'austérité nécessite un adversaire comme Corbyn et fait valoir que les politiques dont il a fait son programme sont remarquablement raisonnables et modérées.

Ils s’opposaient tous deux à la position de Jonathan Freedland, dont l’influence politique est déterminante dans le Guardian : « Corbyn doit représenter l'ensemble du Labour, non seulement lui-même. » En d'autres termes, il lui recommande de concilier ses principes anti-austérité avec le consensus néolibéral défendu par ses collègues Blairistes lorsqu’ils étaient au pouvoir. Et maintenant qu'il est au pouvoir, il doit se conformer à toutes les pratiques culturelles démodées de l'establishment : hymnes, costumes et participation au show d’Andrew Marr (émission politico culturelle du Samedi soir sur la BBC).

Faire valoir que si Corbyn s'en tient aux principes pour lesquels il a fait campagne c’est parce qu’il est égoïste et individualiste, permet de ne pas se poser la question essentielle : pourquoi est-il arrivé premier avec une telle majorité ?

Les adversaires de Corbyn dans son propre parti ne font pas dans la dentelle eux non plus. Lord Falconer et Hilary Benn, ont fait valoir qu'ils seraient prêts dans certaines circonstances à soutenir les frappes aériennes sur la Syrie alors que Corbyn a clairement exprimé son opposition à celle-ci.
Sadiq Khan, candidat du Labour pour la maire de Londres, a twitté dimanche en accusant Corbyn et McDonnell « d’incitation à des activités terroristes et attaques antisémites en raison de leurs vues sur le Moyen-Orient et l'Irlande ». Chuka Umunna soulevé le spectre d’émeutes dans les rues car le leadership de Corbyn ne pourrait qu’amener le retour d’un gouvernement Tory.
Charles Clarke et Roy Hattersley ont eu recours à des arguments ad hominem, désignant Corbyn comme « sans caractère », « véhicule absurde de l'espoir des mécontents » et adoptant « une image soigneusement construite ».

C’est sans doute ce que Freedland (du Guardian) veut faire entendre à Corbyn. Mais il oublie un aspect. Corbyn a été élu parce qu'il est différent. Il ne fait pas partie des clones du New Labour (la candidate la plus blairiste, Liz Kendall, n’a obtenu que 4,5 pour cent). Il a été élu précisément parce qu'il s'est opposé à l'austérité, contre Trident (le plus grand exercice militaire de l’Otan en 2015 depuis la guerre froide), contre le fait que les réfugiés deviennent des boucs émissaires et parce qu'il a soutenu la nationalisation des chemins de fer et une redistribution des richesses.
Ce serait une insulte à tous ceux qui ont voté pour lui s’il renonçait à ses principes.

Un engagement essentiel
J'espère qu'il restera inébranlable face à cette tempête déstabilisatrice. Il doit savoir que le plus petit compromis sera compris par ses ennemis comme un signe de faiblesse et qu’ils l’attaqueront encore plus violemment. Sa force ne vient pas du parti travailliste au Parlement, ou seuls une vingtaine de 20 sont d'accord politiquement avec lui, mais des dizaines de milliers de voix qui l’ont porté à la direction et ont été conquises dans tout le pays par sa campagne, lors des 100 réunions publiques qui ont enthousiasmé une nouvelle couche de jeunes gens jusque là aliénés par la politique des dirigeants et de nombreux socialistes plus âgés qui étaient désillusionnés par le consensus néolibéral.

Sa victoire est celle de l'espoir que les choses pourraient vraiment changer. Elle reflète l'opposition sous-jacente dans ce pays à la politique d'austérité. A l’heure où j'écris quelques 62 000 personnes ont rejoint le parti travailliste depuis les élections de Corbyn. Un quart d'entre eux sont d'anciens membres revenant probablement après des années de désillusions dues à la politique de privatisation et les guerres du New Labour.

L'annonce des résultats le 12 septembre a coïncidé avec une autre expression d'espoir et d'humanité. Des dizaines de milliers défilaient à Londres et dans d’autres villes à travers la Grande-Bretagne en faveur des réfugiés, ce qui reflète à travers l'Europe la prise de position de citoyens horrifiés par le sort des millions de personnes qui fuient la guerre et le conflit.

Le fait que l'un des premiers actes de Corbyn comme dirigeant syndical a été de soutenir la manifestation prouve une nouvelle fois combien il est devenu le leader du sentiment anti-austérité, anti-guerre et antiraciste.

Comment les socialistes révolutionnaires doivent-ils répondre aux attaques contre Corbyn, à ceux qui veulent le déstabiliser ?
Devrions-nous crier « Vendu! » à chaque compromis qu’il sera obligé de passer? Devrions-nous tracter contre les capitulations inévitables du réformisme politique ? Ou devrions-nous construire l’appui le plus large autour de son leadership afin de le soutenir pour qu’il mette en œuvre les politiques pour lesquelles il a été élu, et le défendre contre les attaques de la droite ?

Si nous adoptons la première approche nous serons rejetés dans le ghetto du sectarisme et nous ne pourrons pas faire entendre nos propositions politiques. Nous devons plutôt le défendre contre les attaques de la droite. Avec la défense de Corbyn, nous défendons les principes de l’anti austérité, la solidarité avec les réfugiés, la lutte contre le racisme et l'opposition à la guerre, les thèmes mêmes au cœur de notre propre politique.

Si les attaques contre lui réussissent à ébranler son leadership qui en profitera ? Une chose est claire : si Corbyn devait tomber il est peu probable que l’opinion politique s’oriente vers une perspective révolutionnaire mais, au contraire, il est beaucoup plus probable que nous seront confrontés à la démoralisation de la défaite.

Pour le mouvement social
L'initiative prise par « Résistance unie » sous la forme d'une pétition « contre l’austérité et pour la défense des syndicats »et pour « la défense de Jeremy Corbyn, sa politique anti austérité et son droit démocratique à diriger le Labour», est un exemple de ce qu’il faut faire. Elle a déjà recueilli les signatures de tous les dirigeants des principaux syndicats. C’est particulièrement important parce que certains des plus éminents secrétaires généraux de l’Union étaient plutôt circonspects devant la décision de Corbyn de nommer John McDonnell chancelier « du cabinet fantôme ».

La pétition fait valoir non seulement que ces soutiens ont été beaucoup inspirés par sa campagne, mais aussi qu'il a reçu un mandat clair pour mener à bien les politiques annoncées. Ceux qui cherchent à saper son audience vont à l'encontre de la démocratie. La pétition doit être présentée sur chaque lieu de travail et dans chaque comité de soutien.

Corbyn lui-même a affirmé qu'il voulait créer un mouvement social contre la pauvreté, le racisme et la guerre. Un véritable mouvement de masse l’aiderait à mettre en œuvre son programme et à répondre aux attaques de la droite. Il est toutefois important de préciser ce que devra être le rôle de ce mouvement : soutenir toutes les campagnes contre l'austérité ; les mobilisations en solidarité avec les réfugiés dans le monde entier ; les grèves et toutes les formes de résistance des travailleurs ; la prise en charge de toutes les campagnes contre les coupes budgétaires des administrations locales et nationales ; la nationalisation des chemins de fer ; la défense du système de santé publique ; l’opposition à la prolifération des armes nucléaires et à la guerre qu'il s'agisse des frappes aériennes sur la Syrie ou le renouvellement de l’opération « Trident ».
C’est autour de ce programme que doivent s’organiser tant la lutte contre l’austérité, la lutte contre les Tories que la défense de Corbyn. Une chose est absolument certaine : s’il s'appuie sur le parti travailliste au Parlement, il est condamné. Et la droite à déjà programmé sa chute. Si l'énergie du mouvement que Corbyn a créé est affaiblie par une focalisation exclusive sur les luttes internes du parti travailliste, son élan va être brisé.

Il y a des batailles urgentes à mener maintenant ; les Tories n'attendront pas jusqu'en 2020 pour appliquer l’austérité et nous ne pouvons pas attendre jusque là pour la combattre.

Défendre Corbyn veut-il dire que nous devrions perdre nos facultés critiques ? Bien sûr que non. Il y aura des positions que Corbyn adoptera et pour lesquelles nous ne serons pas d’accord. Par exemple, la représentation des courants. Certes un large rassemblement est préférable à un petit, mais est-ce vraiment une bonne idée de vouloir inclure dans le cabinet fantôme, Chuka Umunna, qui utilisera son poste pour en permanence saper les décisions de Corbyn ?
Luke Akehurst, a recensé dans une liste interne au Labour les grandes lignes des concessions sur la Défense et la Politique étrangère que Corbyn a pu déjà faire à certains membres de son cabinet fantôme et celles qu’il pourrait faire à l'avenir. Or il suffirait seulement de 20 % des travaillistes pour déclencher la défiance envers de son leadership. Beaucoup attendent leur heure et planifient le meilleur moment pour attaquer.

Corbyn devra également faire face à un certain nombre de problèmes lors de la Conférence du parti travailliste.

Nous ne devons pas craindre de discuter les arguments plus généraux sur la nature de l'État britannique et sur la voie parlementaire au socialisme. Je suis sûr que Jeremy Corbyn n’est que trop familier avec les arguments du fin commentateur politique marxiste Ralph Miliband et qu’il est conscient des contraintes d’une stratégie parlementaire. Dans la postface de son ouvrage, « Socialisme parlementaire », Miliband a fait valoir que les parlementaires de gauche sont paralysés par l'institution elle-même et par le conservatisme de l’establishment du Labour. Il a très clairement déclaré, « cela veut dire que le parti travailliste ne se transformera pas en un parti réellement acquit à un changement socialiste. »

Pour le changement politique
Ce sont des arguments importants pour nous et ils doivent être débattus d’une manière patiente et confraternelle. Mais ceux d'entre nous qui sont dans la tradition révolutionnaire doivent être honnêtes et suffisamment conscients pour reconnaître que c'est cet homme de la gauche réformiste qui a été choisi comme leader du parti travailliste et que sa politique a allumé l'étincelle d'enthousiasme pour le changement politique parmi des milliers de personnes, jeunes et moins jeunes. Nous avons besoin de faire partie de ce mouvement. « Résistance unie » est un moyen de porter le combat contre l'ennemi. Nous devons faire signer partout la pétition pour les positions qu'elle fait valoir. Et dans ce cadre nous pouvons défendre le leadership de Corbyn qui est l’un des éléments de la lutte pour construire le mouvement de masse qui est essentiel si nous voulons vraiment porter le combat contre les Tories.

Le 4 octobre l’Assemblée populaire des T.U.C manifestera à Manchester lors de la Conférence Tory. C’est notre première grande occasion militante de tirer à boulets rouges sur eux pour qu’ils en sentent la force.

Socialist review, Octobre 2015