La guerre économique mondiale, entre groupes financiers, industriels ou de services, s’exprime par la création de gigantesques ensembles qui opèrent au-dessus des lois des Etats et des gouvernements qu’ils ont asservis, menace notre survie et celle de la planète avec leur loi du tout rentabilité au plus court terme pour l’enrichissement d’une minorité. En 2011, une étude mettait en évidence un réseau formé de 147 entreprises transnationales « maîtres du monde » dont les trois-quart sont des Ets financiers.In Paul Jorion « le dernier qui s’en va éteint la lumière », éd. Fayard, mars 2016

Elle s’accompagne d’une course « universelle » au moins disant social, aggravée de fait par les nouvelles techniques de « la révolution numérique », du « 4.0 », d’atteintes inédites au statut du salariat avec « l’ubérisation » ou ladite « économie collaborative », qui transforment l’accès aux emplois qualifiés dotés d’une carrière et d’une garantie sociale acquise par de longues luttes en une foire d’empoigne ou en recherche de petits boulots sans couverture sociale, voire sans salaire, dans une  concurrence exacerbée, au sein d’un pays, mais aussi au niveau inter européen et mondial.

Chacun muni de son ordinateur doit être capable de créer son propre emploi.

Il est vrai que ce n’est pas tout à fait nouveau, mais pas à cette échelle-là. Déjà dans la France de Raymond Barre et de Giscard d’Estaing, en 1976, le « père la rigueur » et premier ministre, confronté à un chômage qui ne se résorbait pas, avait proclamé que « chacun devait créer son propre emploi ». Et au cours de ces 40 années la France a vécu un chômage qui n’a cessé d’augmenter, de plus ou moins 1 million en 1976, (5% de la population active), à aujourd’hui plus ou moins 6,5 millions (9,5% de la population active).

Les années qui viennent vont voir s’accélérer le chômage, la précarité et la misère.

Ce serait, dit-on, près de 40% des emplois qui devraient disparaître de manière inéluctable et ce dans toutes les branches de l’économie, de l’agriculture aux services, des paysans aux experts comptables, avocats, laborantins, caissières, salariés des banques, etc. De la Chine, par exemple, qui veut robotiser la cueillette des asperges pour en devenir le premier producteur mondial (sic ! vu dans un reportage) à la Silicon Valley qui travaille sur l’intelligence artificielle de robots qui devront un jour être capables de « penser par eux-mêmes ».

Pourquoi une telle frénésie s’est-elle emparée de la planète ? Elle serait incompréhensible, si l’on ne voyait pas qu’elle génère de gros bénéfices financiers privés tout en donnant naissance à un nouveau type de multinationales géantes à grande capitalisation boursière. (Google, Facebook, Amazone, Apple etc.)

« 1984 » version 2050 ? Un monde où la science-fiction et le cauchemar d’une humanité post-industrielle, post-travail, postmodernité, post-Lumières, (et post communiste), etc., et même post-humanité deviendrait réalité ?

Les canuts se sont battus contre les métiers à tisser dans une bataille perdue d’avance car le XIXème siècle industriel s’affirmait triomphalement. Mais cette lutte fut le prémisse d’un mouvement ouvrier porteur d’un projet politique et social révolutionnaire. 

Aujourd’hui c’est à une toute autre dimension que cela se passe et va bouleverser non seulement le travail mais tous les aspects de notre vie et dans une période de déliquescence des forces sociales et révolutionnaires incapables d’organiser collectivement la riposte pour un projet alternatif socialiste et de combattre toute appropriation privée de la terre, de la science, du vivant.

Certes tout n’est pas à rejeter dans cette course à « la modernité », mais encore faudrait-il qu’elle réponde d’abord à l’amélioration de l’environnement et de la qualité de vie de tous. Il faut constamment garder l’esprit critique et questionner cette « modernité » que l’on nous présente comme la voie unique vers un nouvel « avenir radieux » à l’aune de ce qu’elle offre en bien être à l’ensemble de l’humanité.

On prédit 9 milliards d’humains d’ici quelques décennies. Il faudrait donc se lancer déjà dans une production tout azimut pour les accueillir dans ce futur proche ? De quoi appauvrir toujours plus une planète qui montre quelques faiblesses. On peut se demander, à ce sujet, à quoi sert la contraception pour une maternité choisie qui libérerait des millions de femmes en les rendant disponibles pour l’éducation, le travail, la vie sociale et l’édification d’une nouvelle société !

Et puis pourquoi se projeter déjà dans cet avenir-là ! N’y a-t-il pas déjà assez de problèmes à régler ? Que fait-on pour les millions d’humains qui aujourd’hui ne bénéficient ni de l’eau courante, ni d’évacuation des eaux sales, ni de l’électricité, ni de logements, ni de soins, ni d’enseignements, etc., dignes de ce nom et qui, par exemple, perdent leurs vies à traverser la Méditerranée pour venir en Europe ? Et que va-t-on faire de tous ceux de plus en plus nombreux qui vont être exclus du travail, d’un salaire, car ils n’ont pas reçu ou eu accès à la formation qui leur permettrait de s’adapter à ces « nouveaux paradigmes » ?

Que dit l’Europe ?

L’Europe n’a pas de réponse. Ce projet de confraternité entre des peuples qui se sont entre-tués au cours de l’Histoire, s’est métamorphosé en la défense d’un capitalisme agressif de « libre marché » et de « libre circulation des marchandises », fondé sur un dumping social meurtrier et le tabou de l’austérité, au prix de sa propre et lente autodestruction.

Le Brexit est l’une des dernières preuves de sa décomposition. L’Europe s’avère tétanisée, alors qu’elle pouvait saisir cette occasion pour revoir sa politique économique et sociale, son organisation bureaucratique et opter pour un fonctionnement démocratique et transparent au service de ses peuples en tenant compte de leur avis. Même les plus optimistes des pro européens ont compris que le danger d’un éclatement était à l’œuvre. Le peu de politiques coordonnées en matière d’emplois et de projets industriels a laissé place à une concurrence effrénée entre les Etats malgré les rencontres et les commissions de ceci ou de cela, derrière les sourires de façade pour la photo.

Et le « couple franco-allemand », alors ?

Un couple concurrentiel, où l’un des deux domine et donne le La en matière politique économique et sociale, un couple qui se dispute les « marchés mondiaux » tout en sacrifiant la question sociale, le plein emploi, un développement industriel respectueux de l’environnement et de la santé, etc.

Un exemple ? Celui de la fusion de la Bourse de Francfort avec la Bourse de Londres, finalisée en juillet 2016, en plein « Brexit » ! C’est un vrai gros pied de nez à Euronex, la bourse « européenne » regroupant les bourses de Paris, Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne. Un simple problème d’adéquation infrastructurel ou un vrai choix politique ?

D’autre part, même si Merkel n’a pas eu à faire le sale boulot réalisé auparavant par Schroeder - au contraire de Hollande qui s’y est employé avec ardeur - elle a néanmoins pesé de toute sa puissance pour que les dirigeants européens s’alignent sur sa vision économique, ce qu’ils ont fait sans l’ombre d’un doute.

On sait aussi leurs divergences sur le Brexit : Merkel est prête à transiger sur le temps de mise en place du Brexit par les Britanniques. Elle partage leurs idées sur la gestion économique. Moins celles de Hollande qui craint une manœuvre des Britanniques pour repousser leur départ aux calendes grecques, et garder leur influence sur l’administration et la politique européenne, tout en n’étant ni dans l’Euro, ni dans Schengen ! Un Hollande qui voudrait bien les voir partir plus rapidement.

L’Europe donc ?

C’est celle des Cac 40 et consorts qui veulent toujours plus de libertés financières pour améliorer leurs marges et la rente aux actionnaires principaux, à leur conseil d’administration, pour une politique de rachats d’entreprises et dominer le « marché mondial » (et d’abord européen), liquidant çà et là des milliers d’emplois, des savoirs ouvriers et autres, en externalisant la production et même le R&D (recherche et développement), etc. Ils trouvent, dans une élite européenne liée au pouvoir de l’argent et de la marchandise fétichisée, des sabreurs dénués de toute morale qui appliquent leurs lois, leur politique anti sociale, d’inégalité fiscale, d’inégalité d’éducation, de santé, etc.

Cette Europe se préoccupe essentiellement de la bonne santé du Capital et ferme les yeux sur ce qui se passe à ses portes. Par exemple, elle n’a pas de politique étrangère commune sauf de s’aligner avec complaisance sur les guerres de l’Otan et des Usa au Sud (et à l’Est, bien qu’elle veuille garder des relations économiques avec la Russie qui représente aussi « un marché ») ou de délibérer de traités « transatlantiques » qui mettront fin à sa toute relative indépendance politique, sociale et culturelle.

Enfin, elle pourrit aussi lentement de la tête :

- Barroso, ex président de la commission européenne, se trouve un poste chez Goldman Sachs, banque américaine à l’origine de l’affaire des Subprimes et de la crise grecque ; la même banque où est passé Mario Braghi, président actuel de la BCE ainsi que quelques autres responsables européens.

- J.C Juncker l’actuel Président (ex Ministre des finances, puis Premier ministre du Luxembourg, un paradis fiscal) lui « demande des explications », (Ouf ! « L’honneur » est sauf !)

- Mais voilà que Neelie Kroes, commissaire européenne à la concurrence, défraie à son tour l’actualité : elle a dirigé aux Bahamas une société offshore (autre paradis fiscal, bien connu) jusqu’en 2009, tout en étant en poste à la commission européenne (2004-2014).

- Ce qui, pour le moins, « embarrasse Jean-Claude Juncker » Sic. (Le Monde éco & entreprise daté du vendredi 23 septembre 2016)

Bref, cette Europe : Bon vent.

Mais à la question faut-il ou non quitter l’Europe et l’Euro ? Les gauches sont divisées, n’ont pas de réponse claire et ferme et nombreux sont ceux qui rêvent de la réformer de l’intérieur (plan A, plan B ?). Elles pataugent dans un marasme idéologique et une division de plus en plus fâcheuse. Il n’y a aucune force politique capable actuellement de proposer une alternative crédible pour mobiliser les citoyens européens qui par ailleurs votent de moins en moins aux européennes.

Les extrêmes droites éructent leur « rejet de Bruxelles et de la Commission européenne » mais elles n’en changeront pas fondamentalement les principes économiques et politiques, sauf en matière d’immigration, et encore, le capital a toujours besoin de bras à faibles coûts. Les femmes n’étant plus la « marge de manœuvre » d’adaptation au « marché du travail », c’est l’immigration qui joue ce rôle-là, maintenant.

Les droites « classiques » bousculées par leurs extrêmes droites se radicalisent en flirtant avec ses thèmes et en mettant l’accent sur leur volonté d’éradiquer toute protection sociale, d’en finir pour toujours avec l’Etat providence.

La social-démocratie s’est déplacée vers le centre et a renoncé à tout projet socialiste pour admettre la domination du capitalisme.

Les autres composantes de la gauche sont désunies, chacun jouant l’exclusivité de sa personne, contre toutes les autres. On est loin d’une discussion et d’un regroupement autour d’un nouveau projet politique critique révolutionnaire et autogestionnaire.

On ne peut s’étonner alors que les peuples oscillent entre le pire et le moins pire.

Lever les illusions, quitter l’Europe, la repenser, prendre langue avec les groupes politiques européens de gauche qui sont d’accord, spécifier quelle sera la place de la finance dans une société de transition vers le socialisme et déterminer les instruments de son contrôle par les citoyens : pour « une Europe au service des citoyens ». Il n’y a pas d’autre choix possible.

Et la France ?

En France on parle trop du fait religieux (l’Islam), de politique sécuritaire, d’Identité nationale et de candidatures à la Présidentielle. Au fait, qui peut se prétendre Français de souche, dans un pays comme la France, où depuis la préhistoire s’y sont échoués de nombreux peuples venant de 4 coins de la terre ? Un pays du droit du sol que certains veulent remettre en cause à droite ?

La droite n’ayant pas admis son échec en 2012, la France est depuis près de 4 ans en période de « primaires ». A droite comme à gauche. Un spectacle offert aux Français pour leur laisser croire qu’ils vont choisir celui ou celle qui sera le mieux placé(e) pour diriger le pays. Toutefois les médias auraient déjà décidé du candidat (Sarkozy) comme ils l’ont fait précédemment en 2012, Hollande étant lui-même soutenu par ces mêmes médias hostiles à Martine Aubry.

Il faut s’attendre à ce que le candidat du « PS » quel qu’il soit, ne mobilise pas les masses. Car si le modèle social français a vécu, c’est avec la loi El khromri que le parti au gouvernement a montré qu’il n’a plus rien de socialiste. Il a cassé le code du travail (à la suite des autres pays européens) à la demande des Entreprises et des « marchés ». Des centaines de milliers de manifestants se sont déversés dans les rues. Cette mobilisation a été à l’origine du forum de « Nuit debout », un météore de rêves citoyens passé sur la Place de la République. Mais cette loi est aussi responsable d’une fracture irréparable entre les deux principaux courants syndicaux, d’un côté la CFDT (syndicalisme d’accompagnement à la restructuration du capital, à l’allemande) et les autres, dont la CGT (lutte de classes) et FO.

Or la période exige plus que jamais l’union de toutes les forces d’opposition. Il n’en est rien.

JL Mélenchon, « JLM 2017 », joue les trublions en se déclarant candidat dès le début de l’année 2016, court-circuitant ses « amis » du Front de Gauche, dont le Pcf. Il oblige la gauche de la gauche à se déterminer sur sa candidature et son projet « éco-socialiste », qu’il ne veut pas rediscuter, tout au moins pour l’instant. Ou lui, ou rien ! JL Mélenchon réalise ainsi une belle mise à mort de cette « gauche plurielle », plus ou moins alliée au parti socialiste dans une posture électoraliste pour récolter quelques postes éligibles ou de gouvernement. Un patchwork d’ex de mai 1968 courant derrière une alternative qu’ils n’arrivaient pas à définir.

Pour le Pcf, c’est l’heure de vérité où peut se jouer sa survie. Il ne veut pas encore se prononcer sur sa tactique. Présenter une candidature mais avec quel résultat en nombre de voix ? Soutenir JL Mélenchon ? S’allier aux Verts ? Au Ps ?

La gauche du « Parti socialiste », se divise entre plusieurs personnalités qui pour l’instant ne semblent pas vouloir agir ensembles ne serait-ce que sur un projet social-démocrate à proposer aux Français. On se demande bien cependant où se trouvent leurs différences. De Lienemann qui en appelle à Jaurès, à Montebourg (ex ministre du redressement industriel, pour la 6ème République) en passant par Filoche (Démocratie et Socialisme) à Benoît Hamon (économie sociale et solidaire, pour un revenu universel d’existence (fort belle mauvaise idée)), elles semblent minimes. Martine Aubry dans le rôle de l’Arlésienne des « frondeurs » refuse toute participation à cette « primaire ».

Ne parlons pas de Macron, ce petit dernier « en marche » vers le ni-ni.

Montebourg est peut-être le mieux placé car il a mis au cœur de son projet les thèmes qui préoccupent les Français : « travail, nationalisation, produire en France, protection sociale, etc. ». Mais, d’une part ses camarades estiment qu’il n’a pas fait encore ses preuves ! Et de l’autre, il y a JL Mélenchon, qui bloque toute possibilité d’un rassemblement de la gauche autour d’un seul candidat sur un programme commun même minimal en faveur du travail et du social.

Ne parlons pas du ridicule de 4 candidatures vertes ! Quant à l’extrême gauche, trotskiste ou ex trotskiste rien de changé : une candidate des Travailleurs pour Lutte ouvrière, un candidat des luttes pour le NPA, à chacun son programme. 

Donc, il est fort possible que le Front national profite à nouveau de cette situation. Même si on ne la voit pas parvenir réellement au pouvoir, la louve fait les doux yeux à un peuple désarmé au bord de la crise de nerfs.

Il n’y a rien d’autre que l’union de toutes les forces de gauche, de gauche de la gauche, syndicales, pour analyser les échecs précédents, tenir compte des réussites et tracer quelques réponses et axes de luttes capables de proposer des alternatives, sinon le pire est toujours à craindre.

Septembre 2016