"Ne serait-il pas
Plus simple alors pour le gouvernement
De dissoudre le peuple
Et d'en élire un autre ? "
Bertolt Brecht


Toutes les forces politiques de l’U.E se mettent en place pour la bataille des élections européennes de 2019. Mais déjà au vu des résultats des élections qui ont eu récemment lieu dans la plupart des pays, Autriche, Suède, Pays Bas, Italie et Allemagne pour les plus récentes, il est fort à parier que les élections européennes vont se traduire par un magistral flop et un taux d’abstention record.

Les raisons en sont multiples.

Les courants politiques pour la construction d’un marché et d’une monnaie unique placée sous la férule de l’ordo- libéralisme allemand sont devenus majoritaires au sein même de la sociale démocratie - la « troisième voie » des Tony Blair, Schroeder et Cie, Hollande étant monté dans le train plus tard.

Le renoncement à la défense du Travail et des « avantages acquis » (par les luttes ne l’oublions pas) et la lente érosion de l’Etat providence, a sonné le glas des partis socialistes et fait le « bonheur » des partis et « mouvements » du centre et de droites plus ou moins radicales, tout comme celui des « populistes » de gauche, Podemos en Espagne, La France insoumise et le M5s italien de Di Maio.

La désaffection d’une grande partie des « classes populaires » qui se sentent abandonnées, et se réfugient principalement dans l’abstention ou un vote ultra conservateur, xénophobe, voire ethnique et raciste : vers le Front National (alors premier challenger de Macron en France), l’Ukip en Grande Bretagne, ou le FPÖ parti autrichien pour la liberté, et plus récemment l’Afd en Allemagne, ou encore le retour d’un vote conséquent pour la Lega en Italie.

La peur des « classes moyennes » d’un déclassement qui détruit leurs espoirs d’une ascension sociale pour elles et leurs enfants et qui n’hésitent plus à voter pour une droite dure, pour le parti de « l’ordre ».

Une fracture toujours plus importante entre les tenants d’une intégration européenne plus poussée, ces couches supérieures, orientées vers la mondialisation et l’ouverture des frontières, alors que la majeure partie de la population a le sentiment qu’elle passera sa vie à trimer pour un travail ubérisé, qu’elle connaîtra ou endure le chômage (politique de délocalisations du tissu industriel, arrivée de nouvelles technologies qui pèsent lourdement sur le niveau des emplois) et une baisse de revenus et ne voit pas d’un bon œil survenir la concurrence de l’immigration économique. Bref, une population qui a la tête dans le guidon pour assurer sa subsistance ou maintenir son niveau de consommation.

Une structure européenne « technocrate » qui fonctionne en cercle fermé, de plus en plus hors du contrôle des populations qui ont été aux premières loges pour le vérifier plusieurs fois comme lors du vote sur la constitution européenne de 2005, repoussée par les Pays Bas et la France ; ces votes étant peu à peu contournés, d’une manière évidemment anti-démocratique.

Des lobbies industriels et autres qui agissent en toute impunité au parlement européen (et nationaux) pour imposer des politiques contraires aux vœux des populations qui souhaitent une politique du travail, du climat, de l’environnement et la reconversion bio de l’agriculture, et s’opposent aux derniers scandales en date du glyphosate ou de la signature d’accords de libre échange avec le Canada et autres sans qu’elles soient informées.

Une Europe tétanisée par l’affaire du Brexit, parce que l’Allemagne en particulier et les conservateurs européens ne veulent pas le départ d’une Grande Bretagne libérale pour se retrouver seuls face à la France et à l’ambition de Macron. Cela dit qu’ils se tranquillisent, Macron, qui s’affiche comme le meilleur « citoyen européen » n’est absolument pas porteur d’un projet alternatif pour plus de redistribution et n’est pas en capacité, seul, de diriger l’UE. Quant au Ps Français démembré, il s’était réfugié depuis bien longtemps sous la houlette du Spd allemand qui a fini par adopter une politique de coalition complaisante envers la Cdu et Merkel. Et l’un et l’autre en essuient aujourd’hui à juste titre les déboires.

Une Europe fracturée entre L’Europe du Sud et celle du Nord, entre l’ex-Europe des six et l’Europe de l’ex-Est, un « couple Franco-Allemand » largement dominé par l’Allemagne, car la France a rapidement abdiqué devant à une Allemagne soucieuse avant tout de défendre ses propres intérêts.

Bref, une Europe dans laquelle les citoyens ne s’y retrouvent pas. Mais aussi une « gauche » européenne coupable qui se perd dans des plans A et B prétentieux et inadaptés qui ne mobilisent pas.
Une « gauche » marquée par la défaite de Tsipras en Grèce.

Une « gauche » qui sous l’aiguillon de l’extrême gauche, refuse d’aborder clairement la question de la migration économique autrement que par la formule du « No border » (sans frontières). Et lorsqu’il lui arrive de le faire, elle suscite toute de suite l’opprobre et l’accusation de fascisme. Ainsi, en Allemagne où Die Linke, voit s’affronter l’une de ses dirigeantes, Katja Kipping, qui insiste sur l’ouverture des frontières et de la solidarité internationale, tandis que l’autre, Sahra Wagenknecht, chef du groupe populaire au Bundestag, critique ceux qui agissent surtout pour les réfugiés plutôt que pour les droits des travailleurs et met en évidence l’arrière-plan néolibéral des politiques identitaires.

En fait tout ce qui est opposé à la politique européenne actuelle est rapidement décrié comme fasciste : le gouvernement italien, ou les pays du groupe de Visegrad et encoure des sanctions !

Une « gauche » qui a du mal à construire une réponse politique unitaire et a laissé la place à un « nouveau populismede gauche » européen, inspiré pour l’essentiel par le « chavisme ». « Construire le peuple », peut-on entendre du côté de la France Insoumise. Ce « populisme » dit de « gauche » vient brouiller la perception du vrai rapport de force entre le Travail et le Capital et reculer la prise de conscience des enjeux fondamentaux comme celui de l’environnement détruit par l’accumulation capitaliste.

Il ne peut y avoir de victoire simplement électorale, sans projet de repenser et refondre l’Europe. Car car elle n’est pas réformable. En l’absence d’un programme unitaire et anticapitaliste, qui part des besoins, que les populations consultées, ont elles-mêmes définis : travail, santé, éducation, logement, environnement, culture, contre les violences faîtes aux femmes et les inégalités de salaires, etc., et qui soit proposé à la discussion la plus large, à l’image de ce qui s’est passé en France en 2005 lors du débat sur le projet d’une constitution européenne entre des groupes politiques de gauche et d’extrême gauche, et des associations comme Attac dans des assemblées de citoyens réunis pour en discuter. Le résultat est connu : 55% de Non, conscients et responsables.

Autrement, toute agitation électoraliste risque de se terminer par un immense flop, un record des abstentions qui renforceraient les « populistes de droite » et une nouvelle crise existentielle des groupes de « gauche ».

De la France...

La saga de la « Macronie » commence à marquer le pas.

Le psychodrame autour de l’affaire Benalla - ce « chargé de mission » responsable de la sécurité du président qui s’arrogea des pouvoirs de police auquel il n’avait pas droit, un proche du président couvert par la présidence d’une manière qui rappela aux Français les meilleures heures des barbouzes et autres polices parallèles des années 1960.

Le départ de Hulot « issu de la société civile » vaincu faute d’alliés au gouvernement, sans poids politique malgré la confiance que lui portait une partie des Français. Puis celui du « fourbe vizir » Collomb, ministre de l’intérieur, quittant son prince pour retourner dans sa bonne ville de Lyon et préparer sa « réélection », montrant ainsi qu’il n’a été, sous le Ps comme sous Macron, qu’un « baron félon » jaloux de son pouvoir communal et hostile à « Paris ».

Tout cela a donné lieu à un scenario très médiatisé qui vient de se conclure par un « remaniement gouvernemental » qui précise la coloration très centre droit de ce soi-disant « nouveau » gouvernement. Le désir bonapartiste de rassembler les Français « ni de droite ni de gauche » ou « de droite et de gauche » autour de sa personne impériale est un lointain mirage.

Mais, il ne faut pas que les Français s’attendent à un « changement de cap », les « réformes », le renforcement des privilèges du Capital et de la rente, contre la braderie des acquis sociaux vont, semble-t-il, continuer au même rythme.

Malheureusement Macron a encore les coudées franches. Son opération de torpillage de la droite classique et de la gauche sociale-démocrate a réussi. La droite ne peut qu’approuver ses « réformes », celles qu’elle aurait voulu conduire elle-même. Quant à la gauche, elle ne cesse de se fragmenter, son éventuelle recomposition étant d’une certaine façon bloquée par la présence incontournable mais sectaire de la France insoumise.

En effet si la recomposition de la droite est bloquée, coincée entre La république en marche et le Rassemblement National de Marine Le Pen, la lente agonie du Parti socialiste conforte JL Mélenchon dans une posture de « sauveur de la République sociale » et lui permet d’entrouvrir sa liste pour les européennes à quelques anciens camarades du Ps, comme Emmanuel Maurel et Marie Noelle Lienemann.

Car après le départ de la plus grande partie des « caciques, génération Mitterrand » de la gauche du Ps ; après celui d’Hamon - grand perdant de la présidentielle dont la campagne n’a cessé d’être vilipendée par les Valls et les Hollandistes, qui a fondé en juillet 2017, « Génération s. » sur une ligne qualifiée de « social-écologiste » - c’est maintenant Marie Noelle Lienemann qui sort - pour « Préparer le Front populaire du XXIème siècle... Participer à une dynamique de convergences avec la France insoumise, à un nouveau Front populaire » - d’un Ps en lambeaux refusant de faire l’inventaire de l’échec de la mandature Hollande -

M. N. Lienemann est une militante dont on ne peut douter de son positionnement historique de gauche au sein du Ps, pendant près de 46 ans. On peut cependant se demander, pourquoi n’a-t-elle pas approché Hamon alors qu’elle avait lancé avec Hamon et Montebourg un appel pour une candidature unique à la présidentielle de 2017, contre celle de Valls ?

C’est que M.N. Lienemann a critiqué ceux qui rejoignaient le mouvement de Hamon : « Je pense que les camarades qui voulaient quitter le PS pour aller à Génération.s, auraient dû avoir le courage de leur conviction et ne pas faire cette espèce de départ perlé, organisé, qui n’est pas tombé du ciel où tous les deux jours pendant le congrès il y en avait un qui disait "je quitte le PS" ». Elle se disait à ce moment là, au contraire « faire le pari de la reconstruction d’un mouvement socialiste capable de rassembler et d’être acteur dans l’unité de la gauche ».

Elle a donc décidé de se retrouver aux côtés de JL Mélenchon (avec qui au début des années 1990 elle animait dans le Ps le groupe « gauche socialiste »), tout en s’inscrivant en même temps comme sénatrice au groupe « communiste, républicain, écologiste et citoyen » du Sénat.

Un œcuménisme de bon aloi qui sort un peu le Pcf de son isolement. Un Pcf qui lui aussi ne sait plus vraiment quelle ligne adopter. Alors qu’il prépare un congrès extraordinaire en novembre, le texte présenté par la direction du Pcf et son dirigeant Pierre Laurent « le temps du commun, pour un communisme de nouvelle génération » vient d’être mis en minorité et ne recueille que 37,99%. Alors que 42,15% des adhérents ont privilégié un texte alternatif « Le Manifeste pour un PCF du 21ème siècle » soutenu notamment par Chassagne qui milite pour un retour à une certaine orthodoxie, lassé d’une certaine politique erratique entre la gauche plurielle et le courant vert.

On peut se demander alors avec ce renforcement socialiste, si JL Mélenchon ne s’estime pas comme le maître d’œuvre absolu d’un « renouveau » de la social-démocratie à la Mitterrand. Mitterrand que par ailleurs il avoue admirer.

Mitterrand avait réussi en un temps plus ou moins long à rassembler les divers clubs de sensibilité socialiste dans une « Convention des institutions républicaines » (1963), puis à créer une « Fédération de la gauche Démocrate et Socialiste » (1965), pour finir par s’emparer au congrès d’Epinay, en 1971, de la direction du Parti socialiste.

JL Mélenchon, ne serait-il pas tenté par cette même stratégie de fédérer autour de lui les groupes sortant à gauche du Ps ? On pourrait le penser.

Quand il propose des « alliances » c’est d’abord et toujours sans discussion et sur ses propres thèses. Et s’il a choisi la forme « mouvement », c’est que la forme « parti » est pour lui désuète et porteuse de discussions inutiles, de tendances, et surtout qu’il ne peut accepter de se voir contesté. N’est-ce pas, la vraie nature du populisme « Un chef charismatique et son peuple ? »

Son programme comporte des flous en ce qui concerne sa position sur l’Europe, l’Euro, et des plans A ou B assez courts. Il est vrai qu’il a fait ses classes dans une social-démocratie pour qui l’adhésion à cette Union européenne est un credo inoxydable (même Hamon), et qu’elle mériterait d’être « réformée ».

Que propose-t-il ? de « désobéir » aux traités européens. Une esquive sur la pointe des pieds, illusoire, là où le peuple britannique a clairement voté pour la rupture, et le nouveau gouvernement italien - tant décrié - qui se prononce clairement contre la politique d’austérité budgétaire de l’UE, même si ce n’est qu’en vue de renforcer sa base en vue des élections européennes.

L’arrivée de socialistes de la gauche du Ps, en rupture de ban, qui renforce une France Insoumise et l’ancre principalement au centre gauche, pourrait-elle lui permettre de se séparer de son courant « gauchiste » ?

Il reste que l’incident de sa violente altercation avec les officiers mandatés par la justice qui enquête sur ses comptes de campagne présidentielle de 2017 et sur l’embauche de 4 ex-assistants parlementaires européens, peut abimer cette image « présidentielle », même si l’on peut se poser par ailleurs la nature de ces actions en pleine campagne pour les européennes, qui touchent aussi Marine Le Pen, c’est-à-dire les deux chefs de mouvements d’opposition à Macron un tant soit peu consistants ?

Bref, les élections européennes en vue précipitent les ralliements. Il est peut-être un peu tôt pour anticiper les conséquences : ouverture d’une dynamique unitaire sur un projet radicalement socialiste et anticapitaliste, ou nouvelle fragmentation de la « gauche » ?

Octobre 2018