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Giorgio Airaudo (ex syndicaliste de la Fiom, député de Sel)

Giulio Marcon (critique, député de Sel)

Comment construire une force politique en Italie qui ressemble à Syriza et Podemos ? Nous voulons présenter un cadre qui pourrait réunir les forces politiques et les mobilisations sociales, c'est-à-dire, réinventer le Front populaire. Avec un programme basé sur cinq campagnes : contre l'austérité, contre la Loi sur l'emploi (le Jobs act), pour les droits, la paix et l’environnement.

Les âpres négociations entre la Grèce et Berlin- Bruxelles, nous rappellent l'urgence de rompre avec l'Europe de l'austérité et d’ouvrir une stratégie du changement. Mais elles nous rappellent aussi que nous sommes, en Italie, en retard, bloqué au bord du chemin.

Nous savons comment en Grèce Syriza, la coalition de la gauche, a été en mesure de gagner les élections de janvier dernier, à partir d’un parti ouvert à la société qui regroupe les mouvements et les expériences d’auto-organisation issues de la crise. 

Nous savons comment Podemos en Espagne, a su transformer les mobilisations des « indignados » en une force politique radicalement nouvelle, qui refuse d’utiliser le terme de « gauche » et qui est arrivée à la tête des sondages dans le pays.

Nous savons qu’en Italie, les luttes de la Fiom (ndt, Fédération unitaire des ouvriers de la métallurgie au sein de la Cgil toujours combattive et critique envers les compromissions de la direction) et la grève générale appelée par la Cgil (Confédération générale italienne du travail) et l’Uil (Union italienne du travail) en décembre dernier ont redonné vie et espace à une mobilisation sociale trop longtemps fragmentée et étouffée durant ces sept années de crise.

Nous sommes maintenant dans une nouvelle phase d'offensive du gouvernement contre le Travail, avec les premiers décrets relatifs à la Loi sur l’emploi, qui vont en aggraver les effets – en facilitant les licenciements collectifs sans aucun droit pour les précaires - et une attaque honteuse et instrumentalisée de Matteo Renzi contre Maurizio LandiniM. Landini, Secrétaire national de la Fiom – Cgil, vient de créer en mars 2015, un nouveau groupe, la « coalisation sociale », pour « unir ceux que le gouvernement a désunis », qui sera « indépendante et autonome » et qui affirmera une « vision neuve du travail, de la citoyenneté, de l’Etat providence, et de la société ».

Or il y a quand même une nouveauté importante, c’est l'ouverture par la Cgil d’une réelle volonté d’action pour reconstruire la mobilisation des travailleuses et des  travailleurs pour la défense de leur statut contre ces nouvelles lois concernant le Travail.

Nous pouvons remarquer aussi beaucoup de mobilisations, locales, catégorielles ou spécifiques qui se regroupent dans des manifestations contre le F35 (ndt, projet d’un nouvel avion militaire), le Sblocco Italia (modernisations des conditions de constructions, de transports…), le Tav (projet de trains à grande vitesse), les exercices militaires dans l'Adriatique, la mafia, la crise de l'environnement.

Cependant ces signes d'éveil social, restent fragmentés, sans cadre unitaire qui permet leur transformation en réel mouvement politique. Des années de silence et de mouvements incapables de produire une nouvelle force politique, sauf lors de la victoire au sujet du référendum contre la privatisation de l'eau en 2011, qui pèsent sur le plan social –  et sur la Fiom, toujours seule –.

La société italienne a réagi à la crise pour défendre son niveau de vie et sa dignité individuelle, en ne comptant que sur elle-même, à l'aide des ressources économiques disponibles – l'épargne, les réseaux familiaux… – mais non en retrouvant le chemin de la lutte politique, autrefois si importante en Italie, de la solidarité et de mobilisations contre la politique imposée.

Et nous savons que la transformation politique introduite par Matteo Renzi a renforcé la mutation génétique du parti démocrate en un parti regroupé autour d’un leader, sous le drapeau de la « gouvernance » à tout prix, une conception politique du « vite fait » qui privilégie la vitesse des décisions sans jamais expliquer « ni pourquoi ni pour qui ».

Matteo Renzi est en grande partie l’héritier des thèmes berlusconiens : finances, pensions, entreprises, il abandonne les travailleurs et les syndicats, au profit des plus forts. Il a ouvert aux affairistes le domaine public, en vendant le patrimoine social démocrate. Il gouverne avec le centre-droit. Néanmoins il doit affronter aujourd’hui une opposition très critique  à l'intérieur du Pd.

Cette transformation politique a brisé l'alliance de centre-gauche qui avait caractérisé le panorama italien depuis vingt ans et qui aujourd'hui ne survit que dans quelque administration locale ou régionale dans laquelle le modèle du « renzismo » a du mal à s'affirmer. Mais cette rupture en fait ouvre un vaste espace permettant la reconstruction de l'opposition. Le Choix de « Sel » (ndt, « Sinistre, ecologie, libertà », Gauche, écologie, liberté) de conduire une opposition rigoureuse au gouvernement de Renzi, et de contribuer à l'émergence de « la liste Tsipras » aux dernières européennes a été un tournant important.

Bien sûr, Il y a eu beaucoup de forces qui ont protesté et manifesté leur opposition au gouvernement. Ces dernières années, le succès du mouvement des cinq étoiles a été une diversion qui a détourné les énergies et les votes vers un populisme incapable d'influer sur la politique. Et maintenant nous avons Matteo Salvini (ndt, secrétaire fédéral de la Ligue du nord à Milan) qui imite le Front National français et ses dangereuses dérives fascistes et racistes. Paradoxalement, ce sont ces forces qui captent la représentation populaire, la voix du refus, la protestation des exclus.

La reconstruction d'un changement de politique en Italie devrait peut-être commencer d'ici, de la capacité de parler aux personnes, d’être avec elles, d'interpréter les angoisses provoquées par la crise et de rétablir un sens commun, qui sorte de l'individualisme et de l'ivresse de ces trente années autour du « marché » libéral. Une politique qui doit être principalement populaire, qui construise une digue contre le populisme –de Grillo et de Salvini, comme à celle de la politique « par en haut » de Matteo Renzi.

L'expression politique des pressions sociales pour le changement – nous le savons tous – a été bloquée en Italie par la fragmentation et par les divisions entre les forces politiques du pays : les différentes oppositions dans le Pd, Sel, Refondation communiste, l’expérience importante mais non entièrement développée pas la liste « une autre Europe avec Tsipras » aux élections européennes de 2014, la dispersion des Verts entre « verts Italie » et d'autres organisations..

Les dernières propositions de Nichi Vendola (Sel), l'élargissement des initiatives sociales et syndicales venant de la Fiom, la discussion proposée par Stefano Rodotà (ndt, candidat à l’élection présidentielle de 2013, soutenu par Sel et le Mouvement des 5 étoiles, et d’autres parlementaires du Pd qui ont  en fait fini par choisir la réélection de G. Napolitano), sont des signaux importants de la volonté de mettre en commun les énergies et le projet politique.

Mais il leur est encore difficile de converger vers un cadre commun, réellement partagé, capable de devenir un nouveau sujet du changement.

Quelle pourrait être la « voie italienne » d’un changement politique pour approcher les résultats de Syriza et Podemos ?

La réponse se trouve dans un processus de convergences, impliquant aussi bien le sens commun populaire, l'engagement des organisations sociales, des syndicats et associations pour l'action politique.

Il faut repartir de la division dont nous avons hérité entre « coalition sociale » et « coalition politique » entre gauche sociale et gauche politique au-delà du blocage sur le leadership. Syriza gagne parce qu'elle a aussi transformé le siège du parti en une cantine pour les pauvres et une clinique pour les personnes qui ne peuvent plus se soigner.

Ceux qui travaillent dans le social et dans les mouvements font preuve de dignité politique autant que celles et ceux qui sont dans les institutions ou dans les structures du parti.

Les formes d’organisation doivent aller bien au-delà d’une coordination entre dirigeants politiques : offrir une structure pouvant accueillir – en toute égalité - tous ceux qui travaillent contre l'austérité, pour les droits, la solidarité, et l'environnement.

Ce cadre commun à tous est un nouveau modèle d'agrégation politique et social, qui pourrait s’appeler « Front Pop ». Ce qui lui ressemblerait le plus c’est le front populaire contre les fascismes dans l'Europe des années 1930 et qui anticipait le projet de l’Etat providence qui s’est affirmé au lendemain de la guerre. Un « Front Pop » - ou sous n'importe quel autre nom – pour créer la convergence nécessaire rassemblant ceux qui votent contre Renzi et le Parlement et qui organisent la cantine de Caritas, et l'écologiste qui travaille à la prochaine Conférence du climat à Paris, et ceux qui s'opposent aux guerres autour et à l'intérieur de l'Europe, et celui qui défend les droits du travail et ceux des migrants, et ceux qui organisent les mobilisations contre le Tav, et les femmes discriminées et les jeunes sans avenir.

Ce nouveau modèle pourrait surgir d’une convention de toutes les organisations, forces politiques, syndicales et groupes de base qui défendent un projet commun de changement et pourrait être dirigé par un groupe dans lequel seraient représentées toutes les composantes. Chaque force conserve son autonomie d'action dans ses domaines d'activités respectifs, mais se retrouverait unie pour le changement de politique. Tout comme ont réussi à le faire, sous des formes différentes, Syriza et Podemos.

Comme cela se faisait aux origines du mouvement socialiste, avec le parti, le syndicat, la société de secours mutuel, qui étaient les expressions de divers fronts mais d’une même identité collective.

Le « Front Pop » pourrait agir et se développer sur les bases de cinq campagnes qui sont communes à tous.

Changer l'Europe : en finir avec l'austérité, limiter la finance, les personnes avant les marchés, l’accueil des migrants au lieu du racisme.

La défense du Travail et des droits du travail à reconstruire contre la Loi sur les emplois de Renzi.

La sauvegarde de l'environnement : il ne faut plus tergiverser si l'on veut éviter les dommages irréversibles du réchauffement climatique.

Pour les droits civiques et l’Etat providence : l'école, la citoyenneté civile et sociale pour toutes et pour tous.

La Paix à construire: les conflits se résolvent par la politique et non avec des armes.

Ne pensez-vous pas que ce pourrait être un programme passionnant ?

Février 2015, Sbilanciamoci, it