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La dernière décennie en Europe, aux Usa et dans bien d’autres pays,  a été ravagée par la tourmente de la crise bancaire de 2008, transformée une fois les banques renflouées en crise des dettes publiques, et par les mesures d’austérité imposées par l’axe « Bruxelles-Berlin » et le FMI. Les conséquences ne sont pas seulement économiques mais aussi politiques. La défiance des citoyens envers les partis traditionnels de droite comme de « gauche », leur inefficacité à contrer l’austérité, et leur adhésion même à cette austérité, leur soumission au capital, leur corruption souvent bien affichée, se sont intensifiées. 
Ils ont surtout renoncé à intervenir dans la transformation sociale exercée actuellement exclusivement par le capital.
En 2011, les rues se sont remplies de manifestations et les places ont été occupées : à Madrid la place del Sol, a Athènes la place Syntagma, à New York « Occupy Wall Street » (sans oublier le Moyen Orient contre les dictatures). Les manifestants ont dit non à la finance, en s’auto organisant de manière autonome, en pratiquant une démocratie directe hors des structures de partis et même des syndicats. 
Deux nouvelles organisations sont apparues à l’issue de ces mobilisations : Podemos en Espagne, ou renforcées  Syriza en Grèce.
 Pour les « autres gauches » européennes, comme en France et en Italie (qui a présenté une liste « Syriza Italia » lors des dernières élections européennes en 2014), le débat est ouvert : faut-il créer partout des Podemos et des Syriza ?

Le Parti de Gauche et quelques autres personnalités de l’alter mondialisme, du Front de Gauche, des Verts et d’oppositions au sein du Ps, ont créé fin 2014 le « mouvement pour la 6ème République », le « M6r ». Un mouvement qui ne repose que sur la volonté de ses créateurs sans les mobilisations qui ont accompagné Podemos et Syriza, mais qui s’en revendique. En quoi ce projet pourrait-il être l’occasion d’un renouveau politique dans un pays ou le terrain est labouré par le Front National ? En quoi le M6r est-il ou non adapté à la situation française ?  
Pour cela peut être faut-il revenir sur les caractéristiques essentielles de ces « nouveaux mouvements ». 

En Italie 
Alors que l’Espagne se dirige vers le quadripartisme, l’Italie, elle - une « jeune République » (1946) - en a expérimenté déjà les faiblesses et les diverses « conbinazione » toutes plus inefficaces les unes que les autres jusqu’à ce que la « casta »  (les élus et les partis politiques) soit complètement décrédibilisée. Le Berlusconisme favorisé par la transformation du Parti communiste en Parti démocrate du centre et un cadre institutionnel à la proportionnelle quasi-totale, avaient autorisé de nombreuses tactiques d’alliances tant à droite à gauche, qu’à l’extrême gauche, et ont nourri une « crise institutionnelle » Italienne très ancienne. Il y a eu en Italie la déposition de deux gouvernements élus remplacés par un « gouvernement de techniciens », dont la dernière mouture fut celle du « gouvernement Monti »  (2011/2012), un sénateur à vie, homme de la Commission européenne et de Goldman Sachs. Ce que la Grèce a expérimenté avec la Troïka. 

Les mobilisations citoyennes contre les « petits arrangements entre amis », toujours très actives et  importantes comme celle du « popolo viola » (le « peuple violet » du nom de la couleur de leur drapeau, couleur reprise par Podemos) ont été canalisées en 2009 par l’imprécateur humoriste Beppe Grillo et son mouvement 5 Stelle (23% des voix en 2013 aux législatives et 25,6 % en 2014 aux européennes). Une resucée du « ni droite ni gauche », entre populisme de droite (il a formé un groupe au parlement européen avec l’UKIP europhobe de Grande Bretagne) et soutien au centre à Renzi (comme il vient de le faire). Beppe Grillo, (éco socialiste, euro sceptique, anti « casta »), est surtout connu pour avoir lancé la mode de la « cyber démocratie participative » reprise par Podemos et que l’on va retrouver dans le M6r.

En Espagne  
La crise bancaire des subprimes à l’américaine a jeté des milliers d’Espagnols à la rue qui ne pouvaient plus rembourser leurs crédits immobiliers. Or la croissance espagnole était pour beaucoup due aux opérations immobilières qui bétonnent la « Costa del sol » pour des acheteurs venant surtout des pays nordiques. L’argent se raréfiant et les commandes aussi, les entreprises ont fini par fermer et licencier ou obliger les salariés (comme chez Renault) à accepter des conditions de travail et de salaires largement inférieures à ce qu’elles étaient. 

Politiquement, L’Espagne est une monarchie parlementaire qui sort du fascisme et qui n’a peut-être pas encore totalement porté la critique du franquisme qui est toujours revendiqué par certains conservateurs. Toutefois il ne faut pas oublier qu’elle est le pays d’une forte tradition anarchiste qui explique la résurgence du renouveau auto organisationnel chez les militants du 15 M (nom du mouvement de la plazza del Sol), qui s’exprime dans le vaste réseau de centres sociaux occupés et autogérés intégrés par la suite aux comités de quartiers nés du mouvement (comme dans l’Italie des années 60/70). 

La « démocratie directe », la prise de parole par tous, la décision au consensus, dans des Forums et des assemblées ouvertes (sauf à la participation en tant que telle des forces politiques et syndicales)  ont donné vie à une expérience citoyenne « autonome ». Les revendications étaient très concrètes : réduction du temps de travail, retraite à 65 ans, sécurité de l’emploi, contre les expropriations, pour une fiscalité juste, le contrôle de l’évasion fiscale, des banques,  la fin du bipartisme, la consultation par référendum, une libre expression  totale sur internet. 
Ce mouvement qui se voulait « apolitique », c’est à dire contre les partis politiques, a donné deux ans plus tard, Podemos, « nous pouvons », (version espagnole du « Yes we can » d’Obama) dont un certain nombre de militants actifs (proches de Chavez, Venezuela) décida de porter leur action au niveau des institutions pour préserver autant que faire se peut l’originalité démocratique du mouvement, disent-ils. 

En Grèce. 
La « République » Grecque est aussi « jeune » (1974) et aussi fragile.
La construction de Syriza « coalition »  (fondé en 2004), est  le résultat d’un long processus politique intervenu entre le parti communiste grec (pro soviétique) et l’un de ses courants favorable à l’intégration de la Grèce à l’Union européenne et à l’euro, qui est devenu la base du « synaspismos » avec Alexis Tsipras comme président. La coalition s’est développée à partir d’une alliance de plusieurs petits groupes politiques ex-maoïstes, trotskystes, de l’écologie radicale et du féminisme (semblable en cela à la formation du Front de Gauche). 
Syriza est bien implanté et actif dans les usines, les quartiers et les universités et dans un large réseau qui est à la base de mobilisations pour la défense de la santé ou contre les expulsions. Il a aussi une certaine influence dans les syndicats. 

L’austérité là comme ailleurs a produit les mêmes effets. Les Grecs découvrent l’endettement du pays et ils se trouvent rapidement confrontés à une situation sociale insupportable renforcée par les mesures brutales de l’Allemagne et du FMI. Ils s’emparent de la place Syntagma en mai 2011, tout de suite rejoints et soutenus par Syriza. 
Les Grecs ont choisi Syriza contre les mesures de l’ « axe Bruxelles-Berlin » et de la Troïka illégitime car non élue, pour effacer tout ou partie de la dette, obtenir de ses créanciers une restructuration du reste et rétablir la légitimité et la confiance envers les élus politiques. Or, le gouvernement de Tsipras affronte l’ « axe », mais seul. Etant seul, comme il refuse de rompre ni avec l’Europe  ni avec l’euro (alors que les Allemands eux-mêmes n’y seraient pas hostiles, sauf si cela a une incidence sur l’euro), il ne peut que céder du terrain et accepter des compromissions avec ses créanciers (dont la France). Il va lui être difficile de sauver un minimum social vital pour les Grecs qui renouent avec une pauvreté extrême, car son programme social est rejeté par Bruxelles qui lui demande de poursuivre les privatisations et la casse du système social. 

Cette solitude est de la responsabilité des « autres gauches » qui voudraient bien les mêmes résultats électoraux sans les inconvénients de la crise grecque, comme le Front de Gauche par exemple, qui rêve d’une influence à la Syriza dans le « peuple ». Il est vrai que le Front de Gauche, a créé des liens avec et parle de Syriza, il s’« indigne », mais n’organise pas réellement la mobilisation solidaire des Français pour effacer la dette des Grecs à leur égard.

Aux Usa, Occupy Wall Street « OWS ».
Obama en plaçant son élection sous le signe du « Yes we Can » ne savait pas qu’il allait être pris au mot par les « campeurs » de la place  Zuccotti à New York. Le mouvement « Occupons Wall Street » a commencé en septembre 2011 à New York pendant la campagne électorale pour la présidentielle de 2012. 

Au départ ce sont des étudiants endettés, des précaires qui ne supportaient plus le discours des Républicains sur la : « responsabilité individuelle » de chacun face à la crise,  ni l’arrogance du lobby industriel et financier. Ils se sont insurgés essentiellement « contre le développement de la pauvreté » et en solidarité avec Madrid. 
Ce sont ces manifestants qui ont inventé le mot d’ordre des « 99 % » contre le « 1% » des plus riches, dénonçant leur pouvoir cupide et leur corruption. Leur slogan très explicite a été repris dans le monde entier. Ils exigeaient une « économie au service du peuple », « une réglementation des marchés financiers limitant leur influence sur la vie politique », et « la création d'une banque publique équitable ». Le mouvement a été soutenu par les syndicats, comme celui des travailleurs de la Santé très important et très actif dans la ville.
Clairement anticapitaliste, anti autoritaire, pour un programme socialiste, le mouvement était animé par un noyau dur composé principalement d’anarchistes ou d’anarchisants. Aux Usa, l’anarchisme n’est pas absent de la tradition de luttes (cf. «Une histoire populaire américaine » d’Howard Zinn, ou encore mieux voir le film d’Olivier Azam et Daniel Mermet qui  reprend l’ouvrage de Zinn et vient de sortir dans les salles). 
OWS, aujourd’hui n’a pas totalement disparu, certains réfléchissent toujours au moyen de rendre cette lutte pérenne ce qui est d’autant plus difficile au cœur même de l’empire capitaliste. 


Conclusions
Le livre de Stéphane Hessel « Indignés-vous » (2010) est devenu un beat seller mondial. Les « Indignés », « les Anonymes » ont trouvé là matière à se mobiliser. Ils ont rejeté les partis qui ne sont plus conçus comme intellectuel collectif ou chacun participe, s’exprime, et décide, mais comme une machine pyramidale regroupée autour du Chef pour emporter son élection. 

Ils n’avaient pas le projet de «prendre le pouvoir ». Plutôt celui de constituer un « contre pouvoir » plus ou moins permanent, par la mise en place d’organismes fédérés et populaires de résistance et de contrôle de la vie économique et politique, sans vouloir toutefois se substituer à la lutte des classes. 

Ils ont renoué avec ce « socialisme utopique »  dont Fourier à été l’un des initiateurs avec sa théorie de « l’harmonie universelle » basée sur des associations se regroupant par affinité en « phalanstères ».

Ils présentent les mêmes caractéristiques, avec quelques différences plus ou moins relatives à leur histoire ou culture propre, mais dont l’origine puise dans l’histoire des formes d’organisations lors des ruptures insurrectionnelles, la Commune de Paris en 1871, de Mai 68 en France, des formes de lutte du mouvement ouvrier lors de grèves, et de divers mouvements comme celui des droits civiques des afro-américains, ou le mouvement des femmes, avec ce parfum inaltérable d’autogestion : l’anti autoritarisme, l’anticapitalisme, le refus du bipartisme, le rejet des formes traditionnelles de la politique, l’auto organisation « horizontale » spontanée et anti hiérarchique, la libre participation à la prise de parole, la démocratie directe  - OWS a même inventé un langage de signes permettant à chacun(e) des manifestants d’exprimer son choix  -, les décisions au consensus, ,la participation à des groupes de travail thématiques librement déterminés, aux assemblées plus ou moins ouvertes...

Ils ont éprouvé et critiqué les dysfonctionnements traditionnels de ce type de mouvement ou « il est interdit d’interdire » et qui se traduisent par une bureaucratisation occulte, un certain apolitisme et des querelles sur des questions peu importantes (végétarisme ou végétalisme, etc.).  

Ils ont tissé entre eux des liens en temps réel par l’intermédiaire des « réseaux » sur Internet mais aussi de nombreux voyages, d’Athènes, à Madrid et New York. Madrid et Athènes ont même diffusé un appel commun en septembre 2011, pour la « nationalisation des banques, la redistribution des richesses et le contrôle populaire sur l’économie et la production ». Mais, hors ces liens en réseaux, à l’image des forums de l’alter mondialisme, ils n’ont pas mis en place une centralité déléguée permanente, renouvelable, souple, dans le temps.

Certes, Podemos et Syriza ont franchi le pas du « réseau horizontal » vers la « la structure pyramidale » de l’organisation politique, mais ne font que rejoindre la posture électoraliste des forces classiques qu’ils veulent combattre. Ils héritent des contradictions inhérentes à ces mouvements « ni gauche ni droite ». Ils s’inscrivent en fait dans un renouveau social et démocrate de type centre gauche. 

Et le M6r ?

En France il faut tout d’abord se rappeler qu’à la différence des pays  de l’Europe du Sud », l’institution républicaine existe depuis plus de 200 ans et qu’elle s’est consolidée au cours de cette histoire malgré des périodes difficiles (comme Vichy sous l’occupation allemande, par exemple). Aujourd’hui c’est la représentation politique qui est remise en question avec le développement de l’abstention. L’abstention ne veut pas dire pour autant que  les citoyens sont près à se regrouper autour d’un projet de refondation des institutions.

Le M6r apparait essentiellement comme un mouvement « décidé par le haut », une structure pyramidale, s’étant dotée d’une assemblée « représentative » élue en toute opacité, qui s’adresse au « peuple » pour aménager les conditions d’exercice du pouvoir, et de la « représentation » politique,  sans mobilisation sociale importante récente qui ait exprimé cette volonté. Alors même qu’il y a eu des mouvements importants en France ces dix dernières années. C’est en 2005 la révolte des « banlieues », les grandes mobilisations sur la question des retraites en 2010, la jacquerie des « bonnets rouges » en octobre 2013, et les 4 millions  en janvier 2015« je suis Charlie ». Ces mobilisations n’ont pas donné naissance à un renouveau politique. On est en droit de se demander si le M6r répondra à cette exigence. 

1 - Une 5ème République à bout de souffle

La 5ème République est attaquée à gauche pour son caractère anti démocratique, une présidence de nature monarchique, l’absence de représentation à la proportionnelle,  le gel des débats avec l’art. 49 qui permet au gouvernement de faire passer ses projets quel que soit l’avis de l’Assemblée Nationale,  le nombre de mandats et la durée des mandats, etc. Cette question est importante car la vie politique ne reflète pas la représentation réelle des forces politiques et donc de différentes couches de la population dont certaines se voient ainsi dessaisies du droit à être représentées. 

La représentation politique est manifestement en crise. Mais la gauche a la mémoire courte. C’est bien Mitterrand, le héraut de la lutte contre ce « Coup d’Etat permanent » (Plon 1964) qui n’a absolument pas été troublé, une fois élu, par le fait de se glisser dans le costume présidentiel gaullien, sans une retouche. 

Bref, « l’autre gauche », devant ses déboires électoraux depuis un certains nombre d’années, revient à la critique des institutions républicaines : la « Convention pour la 6ème république » (Dray, Mélenchon, Lienemann du courant « la Gauche socialiste » en 1992), repris par Montebourg en 2001. La « démocratie participative » chère à Ségolène Royale et sa « démocratie citoyenne » et un site internet pour recueillir les « propositions citoyennes », lors de sa campagne pour la présidentielle de 2007. 
Plus récemment, le Front de Gauche  et de membres d’Europe Ecologie Les Verts (EELV) qui vient de publier un appel à une nouvelle Constitution (sur internet), (cf. le dossier de Politis du 15 septembre 2014). 
Politis a oublié l’ «  Association pour une Constituante » créée en 2011 par André Bellon, Ancien Président (Ps) de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale : « la crise de la représentation politique, la dérive opportuniste du PS, l’absence de crédibilité des autres formations de gauche, autant de symptômes qui poussent certains à proposer de créer de nouveaux partis, d’autres à vouloir aiguillonner le PS de l’intérieur. ». Et Anne Cécile Robert, Vice présidente de cette association, de compléter ce qui ressemble à une critique du « M6r » : « Nous ne prétendons pas nous transformer en constituante mais inciter à l’élection d’une constituante par l’ensemble du peuple français. » (www.pouruneconstituante.fr).

En effet, proposer la 6ème République comme la réponse à la crise de la politique, risque au contraire d’être ressenti par les Français comme un moyen de se défausser de la responsabilité d’une absence de  politique à  l’offensive du capital. Et à susciter une nouvelle défiance devant une proposition qui vise à réaménager des rapports hiérarchiques et des structures bureaucratiques qui n’offrent pas au corps des citoyens d’être un corps réellement agissant. La réforme de la Constitution doit-elle devenir la priorité à « gauche » ? Peut-elle « dresser le peuple dans une même volonté » mais sur quel programme économico social ?  Et quel est ce « peuple mythique » qui est appelé à la rescousse ? 

2 - Genèse et questions autour du « mouvement » pour la 6ème république.

Le mouvement pour la 6ème république, nouvel Ovni politique dans le ciel bleu de France, a été lancé en septembre 2014 sur Internet à partir d’un appel d’un certain nombre de personnalités de « gauche » après un processus décrit en partie ci-dessous. Le 18 mars 2015 c’est l’annonce de la création d’une assemblée « représentative » ( ?) 

 Le « connecting people » (peuple connecté, c'est-à-dire « in ») a cliqué. 83000 personnes y ont été de leur clic. 
En quoi est-ce un processus totalement nouveau ? Certes,  les nouvelles techniques de communication permettent de se faire rapidement connaître et de diffuser vraies et fausses informations. La pratique n’est pas très nouvelle, le marketing en a été l’initiateur bien avant la politique pour consulter les consommateurs. Et la « démocratie clic » a déjà été mise en œuvre au niveau d’un pays, l’Italie, par Beppe Grillo (cf. l’Italie en prise avec ses vieux démons, Utopie critique n°60, mars 2013), « technique » reprise à son compte par Podemos. 

Il reste à savoir si  le clic est démocrate ? En fait cette pratique pose un vrai problème de manque total de transparence. Les inscrits, par exemple, n’étaient pas tenus à le faire sous leur nom. Sur les « réseaux »,  on a pris l’habitude  de l’anonymat ou du pseudo. Alors en quoi un « clic » anonyme peut-il engager, en quoi dire qu’il est démocratique ?
Un mode de désignation opaque. «  Avec plus de 1 000 candidatures et de 10 000 votes en dix jours, l’élection des membres de l’assemblée représentative du M6R est un grand succès ! Elle clôt un processus totalement nouveau, combinant 3 modes de désignation pour tenir compte de la diversité du mouvement :
50 personnes tirées au sort parmi les 83 000 signataires du mouvement sur le site m6r.fr.
108 personnes élues par un vote électronique dans des circonscriptions virtuelles sur la plate-forme de débat du M6R « Nous le peuple » qui compte plus de 19 000 membres.
30 personnes choisies parmi les personnalités et groupes initiateurs du mouvement.  Cette assemblée est paritaire.»

Grand reste le mystère : qui a voté pour qui et pour quoi ? Qui a tiré les 50 personnes au sort ? Qui est cette plate forme virtuelle chargé de la sélection ? Qui a désigné les 30 personnalités ? 

Pour l’instant il s’avère que cette « assemblée représentative » est surtout représentative, au vu de ses initiateurs, de la vieille « gauche plurielle » plus ou moins élargie : Front de Gauche, Europe écologie les Verts, Pcf, quelques membres critiques du Ps, de  l’alter-mondialisme, de l’extrême gauche, etc. D’ailleurs certains candidats inscrits se sont déjà retirés en dénonçant un processus qui leur a fait craindre la suite : « la récupération de la voix des citoyens par des partis politiques en voie de déliquescence ».

3 - « L’ère du peuple » ou « L’adieu au prolétariat »  de JL Mélenchon

Jean-Luc Mélenchon ne figure pas sur la liste de l’assemblée représentative. « Il a toujours exprimé le souhait que le mouvement s’auto-organise », rappelle-t-on au M6r. Oui, mais il n’en est pas moins le pivot et cela fait longtemps qu’il clame vouloir : « Rendre le pouvoir au peuple ». Que dit-il dans son dernier ouvrage : « l’ère du peuple » (éd. fayard septembre 2014) ? 

Le « peuple » ? 

En fait, le concept de peuple est assez vague et extensible pour donner cours à de nombreuses interprétations et manipulations.  Aujourd’hui, c’est la pagaille, chacun des courants politiques en appelle au « peuple », à Son peuple. 
Certains auteurs, plus avisés que d’autres, lui donnent trois sens : - peuple démocratique : communauté de citoyens pleinement souverains, libres et égaux en droits et en devoirs (p 65), - peuple social : acteur de l’émancipation de l’homme moderne  (p. 69), - peuple national : reconnaissance identitaire absolue, le « peuple charnel » de Michelet (p. 71). (Laurent Bouvet « le sens du peuple », éd. Galllimard, déc. 2011).

Le peuple est de droite, le peuple est de gauche,  plus ou moins républicain, plus ou moins démocrate, plus ou moins national, plus ou moins social. Pour l’extrême droite il est la « race ». 
Certes, il arrive que le « peuple se soulève » d’un « seul homme », dans certains cas extrême contre l’absolutisme ou la dictature ou une invasion militaire étrangère. Mais il peut être aussi dans le même temps, « résistant » avec de Gaulle et les maquis et « collabo » avec Vichy, Pétain et Laval. Tout comme il peut désigner  les  « multitudes » du « Livre » : celle du peuple juif de la thora, du peuple du Christ des évangiles, le peuple soumis au Coran de Mahomet, etc.  
Il est ethnique et il veut un Etat pour soi et contre les autres (revoir l’éclatement de la Yougoslavie). Ou il est créé de toutes pièces par le colonialisme et casé dans des Etats qui n’ont d’autre sens que de servir les intérêts de l’ancien colon, Etats qui éclatent aujourd’hui. 

Bien sûr que le « peuple » a été l’artisan de la République française pour : « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Mais Victor Hugo de rappeler : « Le peuple donne son sang et son argent, moyennement quoi, on le mène » (le Petit Robert). 

Héler le « peuple », n’est-ce pas en appeler à une transcendance illusoire  qui dépasserait les différents antagonismes, comme les antagonismes de classes qui existent et se vérifient quotidiennement dans une société en pleine transformation, à un mythe permettant de cacher l’échec et l’absence d’une politique offensive réellement alternative ? 

Le peuple de JL Mélenchon ? C’est celui des « nuées humaines urbanisées » (p. 13). Qui se « mettent en réseau » (p. 107). 
On peut dire que l’urbanisation s’est globalisée en suivant les rythmes du capitalisme. Cependant, elle recouvre une réalité de l’occupation de l’espace physique, politique et social bien différente. La « cité métropole monde » est une ville globalisée en soi où se trouvent les élites elles-mêmes « globalisées » et dont le fonctionnement échappe un tant soit peu à l’Etat (Saskia Sassen). Ensuite, le centre ville, la banlieue, le « quartier », le péri urbain, font que les « nuées » ne sont pas toutes logées  à la même enseigne. Le centre ville est protégé socialement et politiquement des autres couches de la population. La banlieue « populaire » est stigmatisée tout en étant délaissée par les services de l’Etat et encore plus le « péri urbain », cette représentation floue d’un ailleurs indéfini, entre urbain et rurbain, mais qui fait les voix du Front National.  « L’urbain ne gomme pas les différences de pratique urbaine des groupes et des classes sociales » (Henri Lefebvre).

Ces « nuées » (bibliques ? Les nuées de l’apocalypse ?  Les nuées de crickets qui s’abattent sur les récoltes ?), s’organisent autour d’un projet « éco socialiste » qui « dépasse le système du socialisme » et du « capitalisme ». Fichtre, nous voilà donc au cœur du problème : la fin de l’affrontement (ou le début de la réconciliation ?) entre socialisme et capitalisme par l’écologie ?  

Ces « Multitudes informelles qui deviennent le peuple en cherchant à assurer sa souveraineté sur l’espace qu’il occupe » (p. 115), quelle est donc leur tâche ? Elles n’auront la tâche pragmatique que d’opter entre  « parlementarisme ou présidentialisme » (p. 125). 

Elles participeront au nom de la « démocratie participative » et  par « référendum révocatoire ». 
Ce « participatif » là, rappelle trop un slogan de Mai 68 : « je participe, tu participes, il (elle) participe. Nous participons… Ils dirigent ». Sinon, le référendum révocatoire, voilà une bonne idée. Sauf que, par qui sera-t-il proposé, comme l’objet de ce référendum par le « peuple » ou le « château » ? Et pourquoi ne pas étendre la révocation aux élus eux-mêmes ?

Enfin, la « révolution citoyenne », qui surgira de « l’organisation des pouvoirs avec la 6ème république », une révolution dans les urnes qui en limite sérieusement l’aspect révolutionnaire, doit rompre avec le « socialisme productiviste ». 
Ah le socialisme productiviste ! Que n’a-t-on pas dit sur lui ? C’est simple, quand on renonce au projet « socialiste » on accuse toujours le socialisme et la classe ouvrière d’être productivistes. Cela donne une note très écolo. Mais on ne met que rarement, ou si peu, l’accent sur le fait que le premier des « productivistes » c’est le capitalisme lui-même, qu’il s’est construit en deux cents ans sur la course à la productivité, à la croissance des richesses qu’il s’approprie en exploitant l’intelligence, la force de travail, le servage, y compris des enfants, et encore aujourd’hui, car si le travail est moins physique et a été remplacé par l’ordinateur ou le robot dans les pays de « l’Ouest », ailleurs,  en Inde, en Chine, en Afrique, il reste déterminant. 
Enfin, comme si la classe ouvrière n’avait jamais combattu pour l’amélioration de la vie (8h de repos, 8h de sommeil, 8h de travail), pour sa santé, comme si elle avait accepté sans broncher les boues, les fumées toxiques, les matériaux d’abord polluant pour les salariés qui les utilisent (par ex. comme l’amiante ou les produits pour l’agriculture intensive), les accidents, et aujourd’hui le stress scotchés devant les écrans ? Pourquoi donc le capitalisme ne met-il pas la technologie au service d’un développement moins pollueur, moins destructeur, alors qu’il en a tous les moyens ? Parce que cela réduirait les dividendes à court terme.

Mélenchon n’ignore pas la réalité sociale du « peuple ». Mais pour lui ce n’est plus à partir du salariat, [du prolétariat, classe ouvrière et petite bourgeoisie], que « s’exprime dorénavant la conscience politique. » (p. 112). Ce sont les « multitudes » qui prendront « la place qu’occupait hier la classe ouvrière dans le projet de la gauche » (p. 110). 


4 – Le M6r  pourra-t-il parvenir à modifier le rapport entre les citoyens et leurs institutions politiques ?

Les « nuées », les « multitudes » se détournent actuellement de la « gauche », s’abstiennent ou votent à droite et à l’extrême droite. C’est un fait avéré dans toute l’Europe. Et l’élection Britannique ne vient pas le démentir.
Un récent sondage du journal Le Monde (jeudi 7mai 2015) montre qu’à la question « avez-vous confiance dans les partis politiques ? ». Les sondés répondent : oui pour 9 % ; « Dans vos députés ? » Oui pour 26 % ; « Dans les syndicats ? Oui pour 35% ». Ces chiffres bien sur sont à prendre avec toutes réserves, mais ils  indiquent une tendance permanente depuis plusieurs années. Il est à remarquer que les réponses sont plus favorables aux syndicats, malgré le faible taux de militants qu’aux politiques, car les syndicats tentent de lutter contre le démantèlement des droits, surtout la CGT. C’est donc que le « prolétariat » existe encore. 

Le M6r, prend le risque de transformer son projet de réforme des institutions en une vaine campagne hors des préoccupations directes du « peuple ».

Le Front de Gauche et le M6r en se référant à Podemos et à Syriza, négligent aussi le fait que les situations sociales et politiques sont très différentes. Les pays du Sud de l’Europe (Portugal, Italie, Grèce, Espagne) doivent faire face à une crise économique et politique sévère alors que leurs institutions sont fragiles comparées à celles de la France, même si là aussi les mesures d’austérité pèsent de plus en plus sur certaines couches de la population et renforcent la précarité. 

Faire abstraction du « prolétariat »  ne peut conduire qu’à renforcer les confusions et les illusions qui existent autour des thèmes centrés sur la « meilleure gouvernance », la « démocratie participative » et  « l’électoralisme » comme seule pratique alternative.

La seule « démocratie participative », la seule façon de « rendre le pouvoir au peuple » serait de militer pour « l’autogestion généralisée de la société » (Henri Lefebvre), c'est-à-dire du pouvoir social, économique et politique. C’était et c’est toujours la tâche du Prolétariat élargit aux nouveaux mouvements sociaux. Le Prolétariat, comme construction dynamique clairement antagonique avec certaines classes et pratiquant  l’alliance avec d’autres classes sociales au plan national comme international, ne peut disparaître par la seule volonté d’un tribun drapé dans une rhétorique grandiloquente qui se veut « moderniste ». Et ne lui en déplaise, le prolétariat est même en voie de développement avec l’arrivée de certaines de ces « couches moyennes » qui subissent les déclassements, les conséquences d’un capitalisme  plus concentré et brutal que jamais. Le prolétariat existe et se renforce au niveau international, en Chine, en Inde, en Afrique, au Brésil et ailleurs. Il y a même là les bases d’un nouvel internationalisme que n’ont pas rempli les forums alter mondialistes même s’ils permettent des échanges et une certaine solidarité. 

L’action pour démocratiser le gouvernement du peuple n’est rien si on ne met pas en même temps fin à la domination du capitalisme.


Mai 2015


Références 
 «Indignados », la fuerza del anonimato (la force de l’anonyme) par Santiago Lopez et Giancarlo Pizzi, éditions l’Haremattan 2012 « Occupons Wall Street », l’anarchisme d’Occupy Wall Street, par Mark Bray, édition Rouge/Noir, 2014
« D’Athènes à Wall Street, Indignés, écho d’une insurrection des consciences », textes rassemblés par la revue contre temps, éditions la découverte 2012
« le mouvement Occupy » par Judy rebick, éd. Hermann, 4ème trim 2014
« Le symptôma grec » (pluralité d’auteurs intervenant à l’occasion du colloque du même nom, organisé à l’université de Paris 8 et à l’ENS en janvier 2013, éditions Lignes, octobre 2014)
« Démo-cratie, pouvoir du peuple » par Monique et Roland Weyl, éditeur Le Temps desCcerises)
« La révolution urbaine » Henri Lefebvre, idées, Gallimard 1970.
« La globalisation, une sociologie », Saskia Sassen, Nrf essais, gallimard, mars 2009