Pendant des années les États-Unis ont tenté de mettre fin à la révolution cubaine avec des guérillas, par l'invasion de mercenaires et un blocus qui a coûté à l'île des alliances inutiles, de la souffrance, des pénuries mais aussi plus de  100 milliards de dollars.

La résistance du peuple cubain a poussé Barak Obama à un changement de tactique mettant entre parenthèse le blocus pour lâcher sur le pays une armée de touristes et une invasion de dollars et tenter d’obtenir ainsi ce que, depuis 60 ans, ni lui ni ses prédécesseurs n’ont pu faire.  C’est pour cela que la visite d’Obama peut être considérée comme le signal de la victoire du peuple cubain et celui de la défaite de l'impérialisme. Mais, bien qu’il ait changé de  méthode, il n’a pas abandonné ses objectifs contre-révolutionnaires.

Obama n’a donc pas été  à Cuba comme une personne sensée qui a réalisé son erreur, mais comme un ennemi qui a changé de procédé.

Fidel Castro, le rappelle à ceux, qui - dans la bureaucratie du gouvernement et de Cuba – pensent qu’est arrivée l'heure de la transformation de la bureaucratie en une classe capitaliste,  propriétaire des moyens de production et d’emplois des salariés, comme cela est arrivé sous Leonid Brejnev et la bureaucratie soviétique et sous Deng Xiaoping et la bureaucratie chinoise.

Or Cuba a une histoire différente de celle de la Russie ou de la Chine. La quasi-totalité de la bourgeoisie cubaine a émigré en 1959 et les secteurs privilégiés qui lui ont succédé étaient faibles, usurpant le pouvoir, tout en laissant la corruption agir sans la condamner ni la juger.

Cependant, bien que la bureaucratie cubaine ait des valeurs bourgeoises, et des méthodes, des comportements et des privilèges de classe, ce n’est ni une classe ni même une bourgeoisie.

La révolution anti Batista  a été une révolution démocratique et anti-impérialiste baptisée socialiste par Fidel socialiste deux ans plus tard, en réponse au blocus Yankee et pour se rapprocher de l'Union soviétique, afin d'en obtenir le soutien et la technologie.  

Derrière la révolution cubaine il y a José Martí et Antonio Guiteras et son histoire libertaire, beaucoup plus que marxiste. Et Fidel, lui-même, n’a fait que la carrière politique d’un nationaliste radical luttant contre le stalinisme cubain allié à Fulgencio Batista. Certes, il y a Raúl Castro qui vient du parti socialiste populaire (PSP), l'ancien parti communiste. Mais ni Fidel, ni les cadres du 26 juillet, ni la majorité du peuple cubain, n'ont été staliniens. Par ailleurs, une des premières mesures de Fidel a été de démanteler la micro fraction d’Aníbal Escalante, par l’entremise duquel les staliniens cherchaient à contrôler le parti communiste cubain né d’une alliance entre plusieurs tendances révolutionnaires.

Personne n'oublie que Cuba fut envahie plusieurs fois par les États-Unis, et qu’ils lui ont imposé l'amendement Platt : leur occupation de Guantánamo. [Le 20 mai 1902, les forces armées des États-Unis évacuent l'essentiel du territoire cubain et la République de Cuba est officiellement créée. Mais aux termes de l'amendement du sénateur américain Orville H. Platt les États-Unis conservent des bases navales – Guantánamo et Bahía Honda – et sont garants de la Constitution, avec le droit d’intervenir dans les affaires du pays en cas d'effondrement constitutionnel].

Le moteur de la résistance cubaine a été et reste l'anti impérialisme. Ce n’est pas « un socialisme tropical paresseux », qui ne produisait rien d'autre que des revendications réformistes à la social démocrate, nationaliste et gradualiste. D’autre part, une sortie à la chinoise, ou à la vietnamienne (avec la politique libérale d’un parti unique monolithique se transformant en capitalisme d'État) n'est pas viable ni recherchée à Cuba.

La révolution cubaine a eu lieu en 1957-59, et si les anciens se souviennent des infamies du capitalisme et du racisme, les plus jeunes qui  l’idéalisent, ne veulent pas toutefois faire de Cuba un Puerto Rico ou un Guatemala.

Dans le parti communiste cubain et une partie de l'intelligentsia, la Révolution et l'Indépendance défendues pendant plus de 60 ans  avec une rhétorique enflammée, est une réalité qui ne peut être abandonnée, comme cela est arrivé en Europe de l'est.

Les forces anticapitalistes à Cuba et en Amérique latine restent importantes or le capitalisme n'offre que ses crises. Le peuple cubain n'a pas dit son dernier mot et c’est pour cela que Fidel s’adresse à ces forces dans un langage codé, mais assez clair pour elles.

Avec l'Union soviétique s'est écroulée une intégration qui s’est transformée en une subordination à un bloc dirigé par la bureaucratie stalinienne et socialiste. Elle a été idéalisée et présentée comme étant le socialisme jusqu'à son effondrement peu glorieux.

Aujourd’hui il y a l’échec fracassant du Venezuela. Or jamais le gouvernement cubain n’a voulu associer les masses ni leur donner la possibilité de déterminer leurs objectifs et d’en contrôler leur mise en œuvre. Et pour défendre la Révolution, il se disperse dans d’infructueuses tentatives technocratiques (comme le port à Mariel pour recevoir des conteneurs, qui devait être construit avec le brésilien Odebrecht), alors qu’il faudrait tout d’abord recourir à la mobilisation des capacités créatives du peuple cubain.

Il est toujours possible de mettre en œuvre des mesures qui, sans être anticapitalistes, favorisent la défense du niveau de vie des travailleurs que le capitalisme pourrait anéantir. Comme renforcer le monopole du commerce extérieur, contrôler ce qui est importé, maintenir un contrôle strict des changes afin de réduire le gaspillage et la corruption. Il est tout autant possible de concentrer tous les efforts pour assurer la sécurité et la souveraineté alimentaire ; comme il est possible de faire appel à des fonds impérialistes non US (européen, canadien, chinois), afin de moderniser le secteur agricole et augmenter sa productivité.

Mais avant toute chose, il est impératif, possible et nécessaire d'ouvrir un débat public avec le peuple cubain, localité par localité, sur la stratégie et les objectifs économiques  immédiats et à moyens termes et sur l'urgence à adopter les mesures ainsi discutées.

L’autarcie est impossible, mais l'idée de « complémentarité » entre l’économie américaine et cubaine est une idée réactionnaire. Fidel  y a fait référence quand il dit dans sa dernière lettre que les Cubains peuvent sortir de la crise par eux-mêmes. Des accords avec d'autres pays d'Amérique latine pourraient venir les soutenir pour y parvenir.

Le Congrès du PCC

Du Congrès du parti communiste cubain, ne sont connues que les lignes très générales des résolutions mais qui semblent importantes.

Comme en Chine et au Viet Nam, l’équipe de dirigeants âgés va essayer un rajeunissement de la direction du parti et de l'État, qui avait déjà été tenté dans le passé par  Fidel Castro, sans grand résultat. Même si la jeunesse ne garantit pas la capacité, la culture, le savoir et l’ouverture d'esprit (beaucoup de jeunes sont conservateurs et sans défiances vis-à-vis de la bureaucratie), cette mesure peut favoriser certaines des innovations qui sont nécessaires dans l'île.

Plus important, est que Raúl Castro a confirmé l'existence au sein du parti d’une tendance nostalgique de la période pendant laquelle l'appareil de l'Etat cubain avait pour modèle le soviétisme, et aussi d’autres tendances, beaucoup plus dangereuses qui se sont ouvertes au capitalisme, comme en Chine. L'équipe dirigeante actuelle semble rejeter ces tendances et préférer suivre une ligne plus pragmatique et prudente.

Mais le Congrès a confirmé publiquement sa conception bureaucratique de substitution à la classe ouvrière et à la société qu’il prétend représenter.

L’axe déterminant reste donc le parti : cette avant-garde éternelle toujours infaillible qui décide pour les travailleurs (selon Marx ou Lénine), malgré le fait que les cubains ont au moins 10 ans  de scolarité, une grande créativité et capacité, un niveau culturel beaucoup plus élevé que celui déjà important qu’ils avaient en 1959.

Il n'y a pas de République sans Citoyens, elle existe en filigrane  dans un État de transition lorsqu’il y a au moins le projet de construire les fondations du socialisme.

C'est-à-dire une démocratie pleine et entière,  l’autogestion, les décisions librement discutées en Assemblée puis assumées ensuite, la solidarité dans la lutte pour des objectifs communs, une information populaire ample et démocratique qui offre aux travailleurs des éléments pour comparer, décider et comprendre  ce qui se passe dans un monde hostile à la Révolution cubaine et qu’il n’y a pas de socialisme nulle part dans ce monde, seulement de petites minorités de militants qui ont cette orientation et cet objectif.

Le secret pratiqué par les appareils, comme le latin par les prêtres, ne sert qu’à masquer et à défendre les privilèges de quelques-uns. La vérité est révolutionnaire, il faut éliminer tous les obstacles à une pleine transparence et éduquer au socialisme.

Une information libre de censure et la construction d’organismes de presse  qui décrivent la réalité devrait être l’un des objectifs immédiats de ce Congrès.

Le peuple cubain, qui est le seul vrai protagoniste de la lutte pour l'indépendance nationale et pour la construction d’éléments du socialisme dans la démocratie, doit savoir ce qui se  passe, ce qui se discute dans les cercles dirigeants, de quoi il s’agit dans les allusions voilées des documents officiels.

Raoul Castro a raison quand il déclare que dans la  phase actuelle il faut défendre la souveraineté nationale, et non un socialisme qui n’existe pas à Cuba, ni dans aucun autre pays. C'est une phase nécessaire pour l’extension de la démocratie. C'est-à-dire des capacités créatrices et politiques, de la résistance à l’oppression impérialiste, de l’entrée dans la lutte nationale d’une grande partie de la jeunesse qui n’a pas vécu sous le capitalisme et qui ne connait depuis 30 ans que les erreurs et les difficultés de Cuba. Il devrait y avoir un effort spécial vers ces jeunes, qui n’ont confiance ni dans le socialisme ni dans l’avenir de Cuba et qui pourraient être attirés par la réaction internationale si le tourisme de masse étasunien qui débarque à Cuba se développe avec ses dollars et son idéologie.

La bureaucratie n'est pas une arme de combat parce qu'elle est conservatrice. Seule la discussion libre de tous les problèmes – et le recours à des arguments de qualité  - peut gagner la tête et le cœur du peuple  et dresser ainsi une muraille infranchissable aux misérables propositions de l’impérialisme et à ses valeurs hédonistes et égoïstes. Il faut avoir confiance dans le peuple cubain !

Pour Lénine et Trotski, le « parti unique » sans les discussions ouvertes entre les tendances qu’ils ont du accepter dans les premières années de l’union soviétique,  était une aberration transitoire, le résultat de la guerre civile et de l’invasion par les grandes puissances. Ce « parti unique », comme le dénommé parti marxiste léniniste, est une invention de la bureaucratie stalinienne qui a ensuite dirigé l’Union soviétique et le bloc « socialiste ». si mal nommé. Cuba doit se rappeler le Lénine qui  était, jusqu'en 1922, le leader d’une tendance révolutionnaire dans un parti – la social démocratie internationale –dans lequel il n’a pas hésité à se retrouver minoritaire.

 Il n'y a pas de socialisme sans socialistes ni socialistes sans démocratie et sans discussion libre dans le parti qui prétend combattre pour le socialisme. Le peuple cubain peut supporter les difficultés, - il le fait depuis tant de temps - mais il ne peut supporter ni les mensonges ni les demi-vérités, ni être traité  comme mineur par une bureaucratie qui décide de tout à sa place et lui fait porter le poids de ses erreurs.

Cuba après, l'ignominieux effondrement des gouvernements « progressistes » capitalistes sur lesquels elle s’appuyait, et pour redevenir le symbole, perdu, de phare des révolutionnaires Latinos américains, doit pour renouveler sa vie politique tout comme son Etat, en appeler aux socialistes autogestionnaires qui existent tant dans le parti qu’au dehors de lui. La révolution et l’indépendance même de Cuba est en péril et nous devons tous la sauver !

Le Congrès du PCC une fois terminé, ce devrait être un tout autre « congrès » beaucoup plus important qui devrait commencer. Celui du peuple cubain, en toute liberté, qui retiendrait certaines des résolutions positives du premier, mais qui en discuterait, supprimerait, ou enrichirait ce qui l’est moins, pour en faire un plan de lutte contre l’impérialisme, contre les privilèges, contre la bureaucratie et pour un vrai socialisme. Avec la démocratie interne et l’aide internationale des révolutionnaires, le peuple cubain Vencera.

Mexico, Avril 2016