Le 31 mars, le secrétaire d'Etat américain John Kerry a rencontré le dictateur de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, à Washington et a appelé à la « résolution finale » d’un conflit vieux de plusieurs décennies dans la province contestée du Haut-Karabakh. Le vendredi, alors que le despote azéri était sur ​​le retour à Bakou, les troupes azéries lançaient une offensive contre la République séparatiste du Haut-Karabakh. L'une des premières victimes était un enfant âgé de 12 ans. Naturellement, les Azéris affirment qu'ils ont été attaqués en premier, mais cela semble peu probable. Les lignes de front de ce conflit larvé ont été assez stables depuis la fin de la guerre postsoviétique entre l'Arménie et l’Azerbaïdjan qui a pris fin de facto avec la victoire pour l'indépendance de la région principalement arménienne du Haut-Karabakh.

 

Déjà en possession du territoire contesté, le Haut-Karabakh n’avait rien à gagner en reprenant les combats, et c’est plus qu'une coïncidence que de nouvelles hostilités aient commencé immédiatement après cette déclaration assez absurde de Kerry. Absurde parce que la «crise» a déjà été résolue - aujourd'hui le Haut-Karabakh est un État indépendant, en dépit du refus des États-Unis de le reconnaître, et il a bénéficié de ce statut depuis 1994, lorsque les dernières troupes azéries ont été chassées du territoire. Que le secrétaire d'Etat choisisse d'intervenir à ce stade semble, au mieux, très suspect. Est-ce que Kerry donne le feu vert aux Azéris?  Je n’en serais pas vraiment surpris.

Après tout, les États-Unis ont toujours été du côté des Azéris, peu importait quel le parti qui se trouvait dans le bureau ovale. Les raisons de Washington sont de deux ordres : la géopolitique et le business, et pas nécessairement dans cet ordre.

Le facteur géopolitique de la politique américaine réside dans l’encerclement de la Russie. Depuis la chute de l'Union soviétique, Washington a cherché à étendre sa sphère d'influence profonde sur le territoire de l'ex - URSS en courtisant les despotes Orientaux, comme le clan Aliyev, qui règnent sur ces anciennes « républiques » communistes. Ce qui nous amène au second facteur tout autant influent : le business. Les pays d’Asie centrale comme l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, etc. sont riches du pétrole de la mer Caspienne, où d’énormes gisements ont été découverts. Le seul problème est de savoir comment transporter le pétrole vers les marchés européens et américains - sans qu’il passe par les pipelines russes.

La solution: le BTC (pipeline de Bakou à Ceyhan en Turquie). En 1994, le père de Ilham Alivey, Heydar, a annoncé «le contrat du siècle» dans un discours à l'Institut Harriman à New York. Son gouvernement venait de signer un accord avec un consortium de compagnies pétrolières et de banques d'investissement, qui donnait un droit exclusif sur les réserves de pétrole et de gaz de l’Azerbaïdjan aux plus grandes compagnies pétrolières dans le monde - Amoco, Pennzoil, British Petroleum, Unocal, McDermott, Statoil, Lukoil, aux entreprises pétrolières de la Turquie et du royaume saoudien.

Quelques années plus tard, Aliyev était reçu à la Maison Blanche avec le vice - président Al Gore qui présida une cérémonie et annonça un contrat entre Chevron, Exxon / Mobil et la compagnie pétrolière nationale d'Azerbaïdjan (SOCAR).

L'administration Clinton a repris ce projet avec empressement. Et  à l'été 1998, Bill Clinton a créé le Bureau de Conseiller spécial du Président et un Secrétaire d'Etat pour le bassin de la Caspienne « Basin Energy Diplomatie » - un titre superlatif pour ce qui n’était  que l’un des projets mercantilistes effrontés du gouvernement des États Unis, depuis celui de l’Export-import Bank avec Morningstar.

Morningstar avait commencé sa carrière en tant que juriste d'entreprise et il est devenu président et chef de la direction de la Costar Corporation, un fabricant de matières plastiques et d’autres sous - produits à base de pétrole. Clinton l'avait  nommé à la tête de l'Overseas Private Investment Corporation, une autre caisse noire capitaliste de copinage, et il est devenu secrétaire d'Etat pour ​​l'assistance aux nouveaux États indépendants de l'ex - Union soviétique et ambassadeur des États Unis à l'Union européenne.

Son expérience de copinage capitaliste internationalisé et engagé, le rendait apte au projet concernant le bassin de la mer Caspienne, au cours duquel des milliards de l’argent des contribuables ont été distribués à Big Oil et aux entrepreneurs sous-traitants pour financer le pipeline BTC. Il a été nommé ambassadeur américain en Azerbaïdjan par le président Barack Obama, en 2012, et il a démissionné en 2015 pour un emploi à Stonebridge-Albright Group, le think tank de Madeleine Albright.

La carrière de Morningstar a surfé sur les intérêts politiques des entreprises qui ont manipulé les gouvernements et jonglé avec le sort des nations présentes le long de la soi-disant Grande Route de la Soie - la région du Caucase du Sud qui promet de grandes richesses à celui qui peut le contrôler.

Ce carrefour historique des armées conquérantes, est aujourd'hui le théâtre de conflits larvés ethniques et religieux qui menacent les plans des hommes les plus puissants de la terre. Les aspirations nationales du peuple du Haut-Karabakh sont seulement l'un de ces conflits.

La route la plus originale et la moins chère pour le pipeline BTC traverse l'Arménie, mais elle a rencontré le veto d’Aliyev, et alors une voie plus détournée (et donc plus coûteuse) a été cartographiée. Aliyev jubilait alors car Erevan se trouvait « isolée» de ce pipeline. En fait le pipeline passe à quelques miles du Haut-Karabakh, et il n’est pas difficile de comprendre que cette flambée récente de violence pourrait mettre en danger l’opération - et l’investissement considérable - du gouvernement américain. Il est facile d'imaginer la reprise du conflit déclenchée par ce toujours vieux moyen utile aux interventionnistes de la défense des  «intérêts américains» qui seraient menacés (à savoir les intérêts financiers des principaux bailleurs de fonds des entreprises jusqu’aux coffres de guerre des candidats politiques)!

Washington a toujours pris le parti des Azéris en ce qui concerne le Haut-Karabakh. Comme je l’ai écrit en 1999 : « L'inclinaison du Département d'État des États-Unis envers l'Azerbaïdjan sur la question du Haut-Karabakh a été exprimée, mais d’une manière détournée, dans une récente déclaration : « Le respect de l'Arménie au droit international et les obligations et engagements de l'OSCE à cet égard a été marqué par le conflit en cours au Haut- Karabakh. Les Arméniens du Karabakh, soutenus par la République d'Arménie, détiennent désormais environ un cinquième de l'Azerbaïdjan et ont refusé de se retirer des territoires occupés jusqu'à ce qu'un accord sur le statut du Haut-Karabakh soit atteint ». Mais l'Azerbaïdjan est une fiction soviétique, créée par Staline qui a fixé sa frontière pour garder les Arméniens et les Azéris sous sa coupe. Mais l'idée que les frontières des fausses «républiques» soviétiques sont permanentes, et représentent, même approximativement une cause juste, est absurde. Pourtant, c'est la position que le gouvernement des États-Unis a pris dans le passé, et continue de prendre ».

La position des États - Unis est toujours conforme à ce jour, à celle du Département d' Etat qui demande le retrait des forces arméniennes du Haut-Karabakh et le déploiement de "casques bleus" soutenu par l' Occident pour s’assurer que les Arméniens ne puissent déposer une demande impudente pour  leur autodétermination. Le référendum qui a eu lieu en 1991 - les habitants ont voté pour la sécession avec l’Azerbaïdjan - est dédaigneusement ignoré par les autorités américaines, tout comme le référendum de la Crimée avec lequel les électeurs ont choisi massivement la sécession avec l’Ukraine, dénoncée comme "illégitime".

En effet, l'analogie avec la Crimée convient tout à fait au Haut-Karabakh. Comme en Ukraine, que le despote soviétique Nikita Khrouchtchev avait « récompensé » par le rattachement de la Crimée en 1954, comme dans le Caucase, où Joseph Staline - avant son ascension au pouvoir absolu – avait rendu le Haut-Karabakh à l’Azerbaïdjan  avec l'approbation de Lénine. Comme les Soviétiques se répandaient en Asie centrale, conquérant l'Arménie et l'Azerbaïdjan, les communistes avaient décidé que ce serait mieux pour apaiser le régime de Kemal Ataturk en Turquie de permettre aux Haut-Karabakhians le droit de mettre en place leur propre "république" autonome.

La politique stalinienne « diviser pour régner » - séparait les zones arméniennes repeuplées de manière à affaiblir le sentiment nationaliste "antisoviétique» - a persisté jusqu'à l’éclatement de l’ex Urss.

En Ukraine, le gouvernement américain avait insisté sur la légitimité de la décision de Khrouchtchev à séparer la Crimée de la Russie et d’en faire un don à l'Ukraine. Dans le Haut-Karabakh, ils défendent l'héritage de Staline et de Lénine, qui tentaient mettre les Arméniens sous la domination azérie.

Tout comme aux temps de Lénine et des bolcheviks, une partie de l’objectif de Washington avec cette position est d'apaiser la Turquie, qui soutient sans équivoque ses alliés "turcs", les Azéris.

Le conflit actuel n’est que la reprise du conflit russo-turc, qui a commencé en Syrie et s’est maintenant étendu dans le Haut-Karabakh. L’Arménie, pour sa part, est alignée sur la Russie. Les Turcs ultranationalistes - dont l'idéologie du «panturquisme» aspire à une Turquie superpuissance en expansion avec une influence sur toute l’Asie centrale jusqu'à la frontière de la Chine (!) - , sont largement impliqués dans ce scénario. Et il ne faut pas oublier que : la Turquie est membre de l’OTAN.

Dans tout conflit entre la Turquie et la Russie, les Etats Unis sont tenu par leur traité de venir à sa défense.

On peut donc dire que Donald Trump a raison lorsqu’il a déclaré que l’OTAN est "obsolète."

Qu’aurait dit Kerry à Aliyev junior qui a précipité cette crise? Nous ne le saurons jamais avec certitude, mais une chose est peut-être certaine : l'ingérence de Washington dans ce gâchis aura pour résultat une catastrophe. Cette guerre du 1er avril sera-t-elle considérée comme une blague de poisson d’Avril, ou la provocation de Kerry sera-telle retenue comme une nouvelle « gaffe » des Américains dans une région troublée où ils n’ont rien à faire?

4 avril 2016

Justin Raimondo est le fondateur du site « Antiwar », un conservateur « libertarien », c'est-à-dire non interventionniste et opposé aux guerres impérialistes. Contre l’intervention au Kosovo,  l’invasion en Irak il a soutenu la candidature en 2004 de Ralph Nader et est très critique envers Barak Obama.