Dans la ville allemande de Hanovre, le président Obama et la chancelière Merkel ont discuté de nouveau sur la Grèce. La Grèce et la Syrie sont, depuis quelques années maintenant, les deux pays qui suscitent le plus l'intérêt du monde. Si l'on en juge par les faits, cet « intérêt international » a eu, jusqu'à présent, plutôt une influence négative sur la situation des deux pays.

La Syrie est détruite par des moyens militaires. La Grèce est littéralement détruite en tant que nation, comme société et État, par ses « partenaires » en alliance avec la Finance internationale et son représentant par excellence, le FMI, et avec le consentement de l'administration des USA.  (Le le vice-président du gouvernement grec, Yannis Dragasakis, a remercié publiquement l'administration américaine pour son aide pour parvenir à l'accord de capitulation de juillet 2015, qui a assuré la poursuite de la destruction de la Grèce. Et seulement quelques jours auparavant, le ministre grec de la défense, Panos Kammenos, du parti de droite « souverainiste » et des « Grecs indépendants » a répété que, sans l'aide de l'administration américaine, l'accord de juillet serait impossible. Il a tenté d'expliquer pourquoi la Grèce et les Etats-Unis restent des alliés forts.)

 

Par ailleurs, tous les principaux médias internationaux de masse cachent volontairement la réalité de la situation grecque, en fait pour protéger les ingénieurs de cette catastrophe économique et sociale sans précédent - orchestrée et imposée à ce pays sous le titre de "bail-out", "d’aide" - qui ne sont autres que les dirigeants politiques européens, la BCE et le FMI, agissant manifestement, quelques soient  leurs différences, sous la direction de la grande Finance internationale.

Je lisais par exemple un article récemment paru dans le Washington Post. Il incluait des statistiques terribles sur la chute du PIB grec – en procédant ainsi le Washington Post et ses auteurs ont en quelque sorte protégé leur crédibilité. Mais après avoir dit du bout des lèvres la vérité, il s’arrêta d'expliquer à ses lecteurs ce qui signifie une baisse de plus de 25 % du PIB, et ce qui se passe réellement dans le pays. Le lecteur n’a été informé que des différents aspects techniques des négociations en cours.

Parler de réformes – ou comment rendre Orwell jaloux

Mais il n'y a aucune  explication dans l'article sur la nature de ces « réformes » que les Merkel, Hollande, Lew, Biden, Lagarde, Draghi etc., demandent aux Grecs depuis quelques années. Ni sur ce qui se cache exactement derrière ce joli mot codé « réformes ».

Pour ne citer qu'un exemple, un établissement prestigieux d'enseignement comme l'Université d'Athènes disposait d'un budget de 88 millions d'euros avant la crise. Maintenant il est passé à 4 millions d'euros, « grâce aux réformes » imposées dans le pays. Et le FMI demande toujours plus de coupes dans les dépenses de l'Etat grec.

Il serait probablement plus simple de demander l'abolition de l'éducation publique et des soins de santé en Grèce. Il serait également plus humain de prévoir une sorte d'euthanasie pour les retraités, au lieu de les condamner à une mort lente et douloureuse, en coupant progressivement leurs pensions et remettant ainsi en cause leur absolue nécessité de se nourrir et d’acheter leurs médicaments.

On ferait ainsi, au niveau européen et international,  l'économie de réunions interminables et très coûteuses sur la Grèce, dont le seul but est de décider le rythme exact de la mort de cette nation.

Détruire et humilier le Parlement grec

Par ailleurs, je n'ai pas lu beaucoup d'articles dans ces prestigieux journaux européens pour décrire ce qui s'est passé après la reddition de Tsipras en Juillet sous la menace et le chantage. Par exemple, que les créanciers ont demandé au gouvernement d'introduire deux mille pages d’une législation qui prétend réglementer tout. Car ils étaient surtout intéressés par la suppression pour tous les citoyens grecs de protections contre n'importe lequel de leur créancier, comme le propriétaire de leur logement.

Aucun journaliste étranger n'a parlé de cette dame, d’environ 60 ans, que j'ai rencontrée il y a quelques jours alors que j'entrais dans la station de métro Evangelismos, dans le centre d'Athènes. Elle était assise là, et en fixant son regard sur moi, elle pensait sans doute qu’ainsi elle pouvait pénétrer directement mon âme. "Ils m'ont expulsé de ma maison. Il y a déjà six jours. Que vais-je faire ? Où vais-je aller ?" me demanda-t-elle, et ce qui était vraiment choquant, ce n'était pas ce qu'elle m’a dit, mais la terreur absolue qui se reflétait dans ses yeux.

Le FMI insiste fortement pour que le gouvernement grec applique ce qu’il a voté en juillet dernier et vende les crédits aux particuliers en détresse à des fonds étrangers agissant en coopération avec des banquiers. Voilà le genre de « réformes » européennes que les politiques et les autorités européennes demandent à la Grèce de mettre en œuvre et ils ne sont jamais satisfaits de la façon dont les Grecs les appliquent !

En juillet, ils ont voulu punir et humilier le gouvernement grec qui a cédé, ils l’ont l'obligé à voter l’intégralité de ces deux mille pages de « l’accord » en seulement trois jours. Personne n’avait eu le temps de les traduire dans le temps imparti, et les autorités grecques ont du utiliser des programmes de traduction automatique. Maintenant, ils ont besoin de temps pour la correction, parce que ces programmes font beaucoup d'erreurs !

Les médias européens et américains, ne parlent pas de tout cela. Probablement parce qu'ils craignent que les citoyens européens ne comprennent que ce qui se passe avec la Grèce ne concerne pas que les grecs, mais aussi eux-mêmes et leur propre « dette ». Pourtant il s'agit d’un avenir, auquel tous les européens doivent se préparer.

Traiter la Grèce comme un pays occupé

J’ai lu les différents articles sur les négociations entre le FMI, l’Allemagne, l’Union européenne et la Grèce. Mais je ne vois nulle part l'information publiée  le 2 avril par le journal « Agora », un grand tirage hebdomadaire grec, très bien informé. Parmi les autres choses que les créanciers demandent à la Grèce ils lui imposent d’accepter la nomination par eux-mêmes des dirigeants et des conseils d'administration des entreprises principales encore sous contrôle de l'État (comme la compagnie des eaux, les postes grecques, la société qui gère tous les biens publics immobiliers etc.)

La corruption grecque

Qui est responsable de cette catastrophe ? Les gouvernements européens, l'Union européenne ou le FMI ? Non, c'est impossible. Ce sont des Messieurs respectés. Il reste donc un auteur possible du crime. Les Grecs eux-mêmes.

Le Washington Post rappelle à ses lecteurs qu’il y a l’énorme problème de la corruption et de la mauvaise gestion du pays.

Qui peut maintenant s'opposer à cette remarque ? Pourquoi le Washington Post ou les journaux européens n’analysent-ils pas pour leurs lecteurs l'ampleur du scandale Siemens dans le cas de ventes d’armes à la Grèce ? Pourquoi ne pas déclarer à leurs lecteurs le fait que cette entreprise allemande a massivement soudoyé les deux principaux partis au pouvoir en Grèce et beaucoup de fonctionnaires de l'Etat ? Il y a d’amples éléments de tout cela.

Qui sont les Grecs corrompus, qui les a corrompus et qui assume la responsabilité des conséquences à cette corruption ?

Nous espérons que Washington Post publiera prochainement un bon rapport analytique sur tout cela. Il ne lui faudra pas beaucoup de travail d'investigation. Il y a des milliers de publications dans la presse grecque et les conclusions même de la Commission parlementaire qui a enquêté sur ce scandale.

Politiciens corrompus qui ont été, par ailleurs, les plus fanatiques supports de la  volonté allemande.

Peut-être allez me dire que les Grecs, après tout, ont élu les partis au pouvoir. OK, mais alors pourquoi, en 2012, quand ils semblaient vouloir essayer un changement en élisant SYRIZA, tous les gouvernements européens et l’UE ont commencé une campagne de terreur et de chantage pour les convaincre qu’il fallait voter pour les vieux partis corrompus et leurs politiciens ?

Il est vrai qu'ils ne l’ont pas refait lors de la campagne en janvier 2015 (mais ils l'ont fait avant le référendum de juillet). C'était uniquement parce qu'ils avaient en 2015 des raisons de croire que SYRIZA finalement ne respecterait pas ses engagements envers la population.

Pendant la dictature militaire de 1967-74 en Grèce, imposée par l'OTAN et la CIA (le Président Clinton lui-même, dans un geste plutôt rare, a présenté ses excuses en 1999), les Grecs tentaient de s'informer par le biais de la presse étrangère ou le service grec des radios de Deutsche Welle, BBC etc. L'Europe a été pour eux, pendant deux siècles, une source d'espoir pour la libération de la Grèce. Maintenant, elle est devenue source de peur, de déception, d’humiliations continues. Comme Varoufakis l’a déjà dit, de nos jours, ce ne sont pas des chars qui nous font la guerre, mais des banques !

La Grèce et le Moyen-Orient

Le processus grec et le catastrophique processus syrien ont une importance historique fondamentale, qui dépasse la Grèce ou la Syrie. Parce qu’ils vont finalement se retourner contre « L'Europe ».

Nous entendons par cela, la situation créée par le « régime » qui a prévalu dans la partie occidentale du continent depuis 1945 : c'est-à-dire un régime caractérisé par un climat de relative démocratie et de bien-être généralisé. Un tel état qui a existé en effet dans les parties « socialistes » et « capitalistes » du continent après la 2ème guerre mondiale et qui demeure une des réalisations historiques les plus importantes sur le plan humain comme celui de la civilisation.

Beaucoup de gens critiquent ce régime pseudo-démocratique et oligarchique sur certains de ses aspects. Ils ont sans doute raison, mais cela ne signifie pas que ce régime ne puisse pas être remplacé, un jour, par un autre bien pire. Par exemple, l'Union soviétique était une structure tout à fait inacceptable. Mais le remplacement en 1991 d'une dictature dite « prolétaire » par un régime bureaucratique-oligarchique, «cleptocratique» et parfois clairement par des mafieux « démocratisés », (également sous la supervision du FMI), ne peut être considéré comme un réel progrès. Ni la disparition de l'URSS en tant que contrepoids à la puissance mondiale, au monopole américain.

Par ailleurs, la destruction de l'Europe d'après-guerre, telle que nous l’avons définie, est la condition nécessaire pour le lancement de nouvelles "guerres des civilisations", y compris la guerre généralisée avec l'Islam, la Russie, demain la Chine. Ou vice versa.

Le président Obama semble comprendre ce qui se passe au Moyen-Orient. Il a pu en quelque sorte contenir la folie néolibérale qui se déroule là. Il a eu encore le courage de faire une alliance tactique avec Poutine pour atteindre l’objectif de stabiliser la situation et stopper les plans de guerre contre l'Iran, susceptibles de conduire au premier conflit nucléaire après 1945.

Au Moyen Orient, Obama pouvait utiliser un argument tout à fait logique. Après tout beaucoup de personnes, à l'intérieur même de l'armée américaine, ou des services secrets, considéraient que les guerres au Moyen-Orient après 2001 seraient difficiles à mener dans l'intérêt national des États-Unis.

Avec la politique économique et la « guerre des dettes » les choses sont plus difficiles, les intérêts investis sont énormes. Il y a d’énormes bureaucraties, y compris l'Union européenne et la BCE, qui travaillent comme agents de ce « capitalisme de catastrophe », suivant les principes du consensus de Washington et de l'idéologie néolibérale. Il faut avoir la compréhension historique de Helmut Schmitt ou le génie poétique de Gunder Grass pour comprendre où tout cela nous mène.

Il faut, aussi, étudier Faust, pour saisir le mécanisme par lequel Berlin, en alliance avec la Finance internationale et ses dirigeants, agissent pour détruire la Grèce, l’Europe et, enfin, l'Allemagne elle-même.

Athènes, 23 avril 2016