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Après sa victoire à élection présidentielle péruvienne, au cours de laquelle il a affronté l’une des contre-campagnes les plus importantes de ces derniers temps – qui a réuni les grands médias, la majeure partie de la classe politique et les secteurs d’activité –, Pedro Castillo a dû faire face, à certaines défaites : son équipe n’a pas réussi à avoir un siège au bureau du Congrès ni à la présidence des commissions stratégiques qui lui auraient facilité son travail au sein du pouvoir exécutif. À peine 19 jours après avoir prêté serment, son ministre des Affaires étrangères, Hector Béjar, a été contraint de démissionner dans un contexte de scandale politique déclenché par ses déclarations sur le terrorisme dans le pays. 1

Le Congrès de la République vient d’accorder le vote de confiance à son premier cabinet ministériel, de sorte que celui-ci pourra commencer à entrer en fonction. Ce n’est pas rien, mais ce soutien des parlementaires aux ministres désignés, qui aurait signifié dans le passé une période de calme relatif pour le gouvernement, n’aura pas aujourd’hui, la même signification. D’autres variables se sont ajoutées au calcul politique des membres du Congrès.

Après avoir accordé la confiance, l’un des groupes de l’opposition a annoncé que la prochaine étape serait d’exercer la censure contre plusieurs ministres. « Nous le ferons, un par un » ont déclarés des membres du Renouveau populaire. On ne sait pas avec certitude si cela va se produire, mais le départ de l’un d’eux, le ministre du Travail, est presque assuré. 2

Le début de Castillo

Dans son premier message à la nation, après avoir pris la présidence pour la période 2021-2026, Castillo a étendu l’invitation qu’il avait faite aux à ses opposants il y a dix jours avant d’être déclaré officiellement vainqueur du second tour : « J’invite nos adversaires politiques, la dirigeante de la Force populaire [Keiko Fujimori], à ne plus mettre d’obstacles à l’avancement du pays. Bienvenue dans cet espace pour faire un gouvernement de tous les Péruviens (...) Nous partagerons ensemble cette lutte pour un Pérou plus juste et plus digne ».

Son discours a été considéré comme consensuel. Il n’a pas abandonné ses idées de changement, mais il a garanti que tout se fera dans la norme constitutionnelle actuelle. Le président s’est même engagé dans le cadre de son initiative pour une Assemblée constituante à ce qu’elle comprenne la rédaction d’une nouvelle Magna Carta – l’une de ses propositions de campagne les plus controversées – et qu’elle sera présentée au vote du Congrès.

La situation a changé un jour plus tard, lorsqu’il a fait prêter serment au président du Conseil des ministres. L’élection de Guido Bellido, député et ancien secrétaire général régional de Cuzco du parti Perú Libre, a été une surprise, même pour les ministres qui ont formé leur cabinet ministériel quelques heures plus tard. Les médias n’ont pas tardé à publier les antécédents les plus douteux du nouveau premier ministre. Bellido fait la une des enquêtes préliminaires pour « infraction d’apologie du terrorisme ». En outre, certains de ses écrits sur ses réseaux sociaux il y a des années – rapidement dénoncés – ont mis en évidence son homophobie.

Dans les médias, le « cabinet Bellido » a commencé à être désigné comme le « cabinet de choc » On affirmait qu’avant sa formation, il avait déjà causé un choc et il avait l’intention d’en susciter un autre. Le premier « choc » était interne : le refus initial d’Aníbal Torres et de Pedro Francke, respectivement ministres de la Justice et de l’Economie, d’assumer leurs fonctions après avoir appris qu’il présiderait le Conseil de ministres. Le second avait pour motif supposé de cette nomination : forcer le Congrès à repousser la question de la confiance. Dans ce cas, l’article 134 de la Constitution péruvienne habilite le président de la République à dissoudre le Congrès si celui-ci rejette à deux reprises la question de confiance demandée par le pouvoir exécutif. Selon cette rhèse, Castillo cherchait à mettre les députés à ses ordres.

Le fait est que cette stratégie sophistiquée n’a jamais été mise en œuvre bien que dans la pratique refuser la confiance signifie s’approcher d’une éventuelle dissolution. Or, le « cabinet de choc » était plutôt une tentative de former un cabinet de consensus entre les différentes gauches.

La première altercation a mis en évidence les nuances et les divergences entre eux. Torres et Francke ont finalement prêté serment en tant que ministres un jour plus tard que les autres, après d’intenses négociations. Francke – qui était, lors du second tour de la présidentielle, la garantie de Castillo auprès des secteurs qui voyaient en lui un danger pour la stabilité macroéconomique – l’a fait avec des pincettes sur son site « Egalité » ; dans un twett publié un jour après son entrée en fonction, il s’est engagé à soutenir « une lutte ferme contre une balade meurtrière ».

La configuration du « cabinet Bellido » était la suivante : Péru libre, le parti au pouvoir, a obtenu la présidence du Conseil des ministres et deux autres ministères. Le Nuevo Péru, le mouvement dirigé par Verónika Mendoza, a obtenu deux portefeuilles : un pour Juntos por el Péru, l’autre pour l’union entre le Frente amplio et Renacimiento Unido Nacional. Des représentants de différents syndicats et organisations sociales ont également été inclus. Par exemple, le dirigeant principal, Iber Maraví, appartenant à la faction d’opposition au Syndicat unitaire des travailleurs de l’éducation du Pérou (SUTEP), a été nommé dans le portefeuille du travail et de la promotion de l’emploi, et Víctor Maita, secrétaire de la Fédération agricole révolutionnaire Tupac Amaru de Cusco (FARTAC), a obtenu le portefeuille du développement agricole et de l’irrigation 3  Des personnalités reconnues de la gauche péruvienne, comme le sociologue Hector Béjar et plusieurs indépendants proches du président, ont été ajoutées.

Les questionnements de la presse et des secteurs opposés au gouvernement peuvent être séparées en deux.

D’une part, certains ministres sont critiqués pour leur faible expérience dans leur région ou parce que, bien qu’ils aient cette expérience, ils ne sont pas jugés aptes à l’assumer. Ce type de critique a été formulé contre le ministre de la Défense Walter Ayala, avocat et ancien président de la commission d’éthique du barreau de Lima, qui, lorsqu’il a pris ses fonctions, ignorait totalement son secteur. Un autre ministre a fait l’objet de critiques, Juan Silva, responsable des transports et des communications, qui a été lié à une entreprise de transport condamnée à une amende pour avoir fourni des services de manière informelle. En outre, des nominations douteuses ont été faites, dont certaines, face au scandale médiatique, ont été annulées.

D’autre part, il y a les critiques motivées par le rejet des idéologies politiques de certains ministres. Comme cela a déjà été mentionné, Castillo a réussi à regrouper dans son cabinet l’ensemble de l’échiquier politique de la gauche, alors que les forces de droite – qui ont manifesté pendant le second tour un discours anticommuniste contre sa candidature – se regroupent au Congrès. Cette pluralité de la gauche apporte sur la scène nationale des positions politiques qui n’ont jamais eu accès au pouvoir auparavant, et qui avaient été marginalisées par le radicalisme de leur discours et même désignées comme terroristes.

Les allégations sur le Sentier lumineux

« Le ministre du Travail a des liens avec le Sentier lumineux » était le « scoop » d’un quotidien national 4 seulement deux jours après le serment des ministres. Il s’agissait d’Iber Maraví, chef d’Ayacucho, qui, des années auparavant, avait accompagné Castillo lors des grèves nationales de son syndicat d’enseignant. Maraví est accusé d’être l’un des fondateurs du Comité national de réorientation et de reconstruction du SUTEP (Conare), une faction opposée au syndicat officiel des enseignants qui, selon la Direction contre le terrorisme de la police nationale du Pérou, est le « deuxième bras politique » du groupe subversif Sentier lumineux.

Mais le plus grand scandale a été l’enquête préliminaire sur le délit présumé « d’apologie du terrorisme » auquel est confronté le président du Conseil de ministres. Les procédures ont débuté en avril – pendant la campagne pour le second tour –, à partir de déclarations qu’il avait faites dans une interview télévisée, répondant à une question sur un post publié sur son compte Facebook en 2017, qui rendait hommage à Edith Lagos, une jeune militante du Sentier lumineux tuée au début du conflit armé interne et qui a eu des funérailles importantes à Ayacucho : « Le Sentier lumineux était un ensemble de Péruviens qui a pris un chemin avec lequel nous étions en désaccord, un chemin par lequel ils voulaient prendre le pouvoir par la force (...). Ils ont eu des actions terroristes, et les actions terroristes ont été autant celles du Sentier lumineux et celles des forces armées », avait déclaré Bellido à cette occasion.

Les scandales générés par ces événements ont affaibli le gouvernement de Castillo. D’une part, il a perdu des alliés qu’il avait réuni au Congrès et, d’autre part, il a subi des attaques de l’opposition parlementaire, qui a poussé des motions visant à déclarer l’« immoralité » du président Castillo – sans résultats – pour avoir désigné Maraví comme ministre, ce qui amène à débattre publiquement, une fois de plus, l’article controversé 133 de la Constitution sur la vacance présidentielle pour cause d’ «incapacité morale permanente ».

L’opposition a profité de la situation pour frapper le pouvoir exécutif. Et il a réussi. Selon une étude d’opinion ipsos réalisée en août, 57 % des personnes interrogées estimaient qu’il y avait la présence de sympathisants du Sentier lumineux ou du Mouvement pour l’amnistie et les droits fondamentaux (Movadef) au sein du gouvernement. 83 % estimaient que tous ceux qui avaient sympathisé avec le groupe subversif devaient être retirés du gouvernement.

Selon les accusations, la proximité du chef du gouvernement avec le Parti communiste du Pérou-Sendero Luminoso, se vérifierait à la fois dans son militantisme syndical antérieur, et dans l’idéologie de gauche radicale que représenterait Le Péru libre. Passons brièvement en revue ces deux organisations.

Le syndicat des enseignants

Depuis que Castillo a attiré l’attention en 2017 en tant que chef d’une grève des enseignants de 75 jours qui a été respectée par plus de 70% des enseignants de la fonction publique à l’échelle nationale, il a été accusé d’avoir des liens avec Sentier lumineux. « Nous avons un grave problème. Il y a une petite minorité de dirigeants du magistère qui ont un lien évident, qui est documenté, avec le Sentier lumineux », a alors alerté le ministre de l’Intérieur, pointant – entre autres dirigeants – sur qui occupe aujourd’hui le fauteuil présidentiel.

La preuve qui incriminait Castillo et d’autres dirigeants enseignants était son appartenance présumée au « Conare » 5, une faction du syndicat des enseignants dissident du SUTEP (pour l’unité syndicale des travailleurs de l’éducation) unitaire et adepte du marxisme orthodoxe qui serait l’une des nombreuses contre-directions du syndicat officiel des enseignants. C’est la ligne idéologique de classe qui a amené les professeurs de la gauche la plus radicale à se regrouper dans le  « Conare », dont certains ex-militants du Sentier lumineux qui, après avoir purgé leur peine pour des infractions de terrorisme, cherchaient à réintégrer la société.

Après de grandes grèves menées par un membre du « Conare » dans le dos du syndicat officiel – entre 2003 et 2007 –, le gouvernement et les médias ont commencé à signaler une infiltration du Sentier lumineux chez les enseignants qu’ils tenaient responsable d’endoctriner les enseignants. Accuser « Conare » d’être un organisme infiltré qui répond du Sentier lumineux, le gouvernent en aurait eu la preuve en 2011, à l’occasion de la tentative d’inscrire comme parti politique officiel le Mouvement pour l’amnistie et les droits fondamentaux (Movadef).

Le Movadef est une organisation fondée en 2009 par les avocats d’Abimael Guzman, le leader du Sentier lumineux, qui vise, parmi ses objectifs centraux à renforcer le slogan de la faction du Sentier lumineux qui, en 1992, a laissé tomber les armes et misé sur un accord de paix : « Solution politique, amnistie générale et réconciliation nationale ». « Ceux qui ont terminé leur peine ont le droit de participer à la vie politique du pays », a noté l’un des défenseurs juridiques de Guzman lors de l’annonce de la création du mouvement politique. Mais cela ne s’est pas concrétisé. Le jury national des élections a rejeté la demande en faisant valoir que le « marxisme-léninisme-maoïsme-pensée Gonzalo » suivi par le groupement impliquait « des actes violents contraires à la Constitution politique de l’État ».

Sur les 350 000 signatures souhaitant que le Movadef s constitue en parti politique, 4 819 venaient des enseignants. Un travail de renseignement de la police a permis de déterminer quels étaient les membres organiques qu’ils ont commencé à appeler « bras juridique du Sentier lumineux ». Plusieurs des ex-condamnés pour des infractions de terrorisme faisaient partie du Movadef et, en même temps, du « Conare », ce qui a conduit à la thèse officielle selon laquelle ce dernier était une tentative du Sentier lumineux d’infiltrer les enseignants. Mais, comme le souligne le journaliste et chercheur Gerardo Saravia, « si l’on tient compte du fait que les militants organiques du Movadef présents dans l’enseignement n’atteignent pas 15 membres, cette thèse est peu crédible ».

En 2017, les groupes opposés au syndicat officiel des enseignants souhaitaient entamer une grève générale. Une loi fixant de nouvelles conditions pour poursuivre une carrière dans l’enseignement public rejetée à l’unanimité par la grève, venait d’être adoptée. Pedro Castillo a été élu représentant de tous les enseignants en grève nationale. Cette fois, le dirigeant n’appartenait pas au Conare, car les enseignants savaient que sinon on tenterait de délégitimer leurs demandes. Cependant, le Conare et certains de ses membres, également membres du Movadef, ont soutenu le professeur Castillo.

Un discours d’excuses ?

Les réponses données par Bellido dans une interview concernant cette grève ont conduit à l’ouverture d’une enquête préliminaire, car – comme le dit le document d’appui du parquet – il n’a pas qualifié les membres du Sentier lumineux de « terroristes, mais de Péruviens qui se sont trompés, c’est-à-dire comme tout type d’erreur commise par une personne ordinaire, et ont donc des droits comme tous ».

Depuis le début du conflit armé dans les années 80 et alors que la violence politique s’intensifiait, différents secteurs accusent 6 la gauche légale d’être la « façade du terrorisme ». Avec le retour de la démocratie en l’an 2000, cette suspicion ne s’est pas estompée. Bien qu’il n’y ait pas eu d’attentat contre l’État péruvien depuis plus de vingt ans et qu’il n’existe aucun groupe subversif en activité, ces craintes sont aujourd’hui utilisées pour frapper les candidats antis système, en particulier pendant les campagnes électorales.

En ce qui concerne Ollanta Humala, ni son statut d’ex-militaire ni son refus d’être considéré comme un candidat de gauche ne l’ont exempté de ce genre de signalement lors de ses deux candidatures en 2006 et 2011. Veronica Mendoza a reçu les mêmes attaques lors de ses campagnes de 2016 et 2021. Les répliques à ces accusations sont des condamnations et des rejets catégoriques de Sentier lumineux et du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (MRTA).

Mémoire et proximité

Dans son livre Sur les héros et les victimes, le critique littéraire Juan Carlos Ubilluz identifie trois discours sur le conflit armé interne dans la société péruvienne : le « discours de la sécurité nationale », qui affirme que pendant les années 1980 et 1990, le pays a subi une attaque terroriste et ce sont les forces de l’ordre qui nous en ont protégé ; le « discours subversion » – aujourd’hui minoritaire –, qui affirme qu’une guerre révolutionnaire d’une durée de deux décennies a finalement échoué ; et ce qu’il appelle le discours du « tournant éthique », une position critique vis-à-vis des deux précédentes, qui dénonce et rejette les inconduites humanitaires des groupes insurgés et des forces de l’État. Pour Ubilluz, le virage éthique est celui supposé de la gauche péruvienne. Mais cette gauche à laquelle il fait référence est celle que l’on appelle dans le programme du Péru libre la « gauche de la Capitale » : la gauche réformiste qui, jusqu’à l’arrivée surprise de Castillo au pouvoir, était la seule à être présente dans la politique nationale.

« Peru Libre » est qualifié de « courant de gauche provincial, [qui a commencé] comme un mouvement régional pour ensuite devenir un parti de portée nationale ». Et, en effet, leur développement politique est surtout localisé dans les régions et dans les syndicats, des espaces avec des dynamiques et des codes différents, où, après deux décennies de fin de conflit, on cohabite avec ceux qui, dans le passé, avaient portés les armes. Ce n’est pas la première fois qu’une position 7 déshumanisante avec les ex-condamnés pour terrorisme apparaît dans la politique péruvienne. Cependant, il est difficile aujourd’hui de l’éradiquer du débat public comme d’autres fois dans le passé.

Si cela a motivé un secteur restreint à discuter de la réinsertion sociale des personnes condamnées pour terrorisme et même de la nécessité de dépénaliser le Movadef, les attaques contre le gouvernement par les politiciens de l’opposition et les grands médias qui, pendant la campagne de second tour, ont fait une couverture contre le candidat du Pérou libre ne font pas de ce débat le scénario le plus propice.

Pas assez de forces ?

Castillo célèbre son premier mois de gouvernement avec 38% d’approbation C’est 15 points de moins que le mois dernier, de sorte qu’il ne semble pas avoir assez de forces pour soutenir les nominations qui génèrent le plus de questions parmi l’opinion publique Il était facile de prévoir que les désignations de Bellido, Maraví et Béjar susciteraient une forte opposition, mais le pouvoir exécutif a choisi de garder le silence face aux attaques contre ses ministres.

La démission de Hector Béjar du ministère des Affaires étrangères est la conséquence de ce comportement. Alors que son passé de guérilla dans l’Armée de libération nationale (ELN) a conduit plusieurs voix à le critiquer depuis qu’il a pris la Chancellerie, le scandale qui a incité son départ a été certaines de ses déclarations relayées hors de leur contexte par un média. Béjar a été accusé d’avoir tenu la marine péruvienne responsable du début du conflit armé interne, parce que lors d’un événement en novembre 2020, il a déclaré que « le terrorisme au Pérou a été initié par la Marine et cela peut être démontré historiquement ; ils ont été formés pour cela par la CIA ». Le scandale a été unanime, à tel point que la Marine, sans consulter le ministre de la Défense, a publié une déclaration déplorant ces allégations et lui a envoyé une lettre officielle lui demandant de rectifier ce qui a été dit. En réalité, l’affirmation de Béjar faisait allusion aux attaques contre des diplomates et certains amiraux soutenant Juan Velasco Alvarado, survenues sous le gouvernement révolutionnaire des forces armées dans les années 70. Plusieurs historiens ont rétabli le sujet après la démission de Béjar.

L’exécutif a peut-être contourné cela sans problème, mais il n’a jamais fait de déclaration officielle ni coordonné de défense pour le chancelier avec les membres du cabinet ministériel, qui ont ignoré le scandale ou se sont limités à « se débarrasser du terrorisme du Sentier lumineux », sans s’en demander des explications à celui qui occupait jusqu’alors le portefeuille des affaires étrangères.

Après son départ, Béjar Rivera a 8 a déclaré à différents médias que le premier ministre Bellido lui avait demandé sa démission. Il était prêt à accepter l’invitation que le Parlement lui avait faite pour clarifier ses propos, mais l’exécutif ne lui en a pas donné l’occasion.

Pour le remplacer, Oscar Maurtua a été nommé, un diplomate de carrière qui était en charge du même secteur sous Alejandro Toledo. Cette désignation a provoqué des querelles internes au gouvernement et le rejet total de la gauche péruvienne. Maurtua est considéré comme un représentant de la continuité dans la politique étrangère. « Le nouveau chancelier, Óscar Maúrtua De Romaña, ne représente pas le sentiment du Pérou libre. Notre parti est un organe intégrateur et souverain, parier sur une Amérique latine unie indépendante, rejetant toute politique d’ingérence ou de servilité », a écrit le secrétaire général du Péru libre, Vladimir Cerrón, sur son compte Twitter, après l’annonce de la nouvelle.

La décision du gouvernement de retirer Béjar de la Chancellerie a probablement été la plus grande erreur au cours des premières semaines de gouvernement. Il a ainsi exposé sa faiblesse et ses conflits internes et a permis à la Marine d’exercer des pressions, même si les faits qu’ils ont imputés à l’ancien ministre n’étaient pas vrais. En outre, il a perdu un des ministres avec l’un des programmes les plus complets du Cabinet : Béjar a mis les questions environnementales et en faveur de la communauté LGBTI parmi les priorités du portefeuille. Avec son retrait, un secteur de la gauche péruvienne s’est senti lésé.

 Le conflit à Chumbivilcas

Quelques jours avant le changement de commandement présidentiel – sous l’administration de Francisco Sagasti 9, les communautés paysannes de Chumbivilcas, à Cuzco, ont entamé une grève reconductible contre le gouvernement et la société minière MMG Las Bambas en raison d’un conflit socio-environnemental entamé en 2018.

Dans la province du Sud, 96,45 % des habitants ont voté pour « El lapiz » 10 En présence des médias les communautés ont exprimé l’espoir que leurs demandes seraient réglées par l’arrivée à la présidence de Castillo Terrones.

Cinq jours après, le premier ministre Bellido s’est rendu à Chumbivilcas 11 accompagné des ministres de l’Agriculture et de l’Énergie et des Mines pour dialoguer avec la population de la région. Avec son discours, passant de l’espagnol au quechua, Bellido a réussi à faire lever la décision de grève aux cinq communautés, après s’être engagé à résoudre le conflit sous 60 jours. Cela a été considéré comme une grande réussite du gouvernement. Lors de l’entrevue Bellido a indiqué que le gouvernement aborderait les conflits sociaux différemment, avec la population.

Deux semaines plus tard, le redémarrage du mouvement a surpris tout le monde. Le Frente Unico de défense des intérêts de la province de Chumbivilcas a publié une déclaration dans laquelle il a indiqué, entre autres, que la présidence du Conseil des ministres n’avait pas respecté l’installation d’une « table de dialogue » pour écouter ses demandes et ne répondait pas non plus à ses appels ou à ses documents officiels.

Bien que le gouvernement ait agi rapidement et obtenu des communautés qu’elles abandonnent l’épreuve de la force après avoir convenu avec elles d’installer une table de dialogue, ce qui s’est passé à Chumbivilcas est essentiel pour comprendre la complexité de ce qu’est la base dure du gouvernement. Et que c’est l’un des plus grands défis de Castillo de ces premiers mois : gérer les attentes de son électorat, qui n’a pas une fidélité inconditionnelle et qui a une sensibilité à fleur de peau.

La victoire de Castillo aux urnes n’est pas un exemple de la construction d’une organisation de parti. Le soutien massif à son égard est dû à l’identification de l’électorat (« il est humble comme moi ») et à sa promesse de changement (option antisystème), dans un pays où 55% de la population est perçue comme la « perdante » de la croissance économique des 30 dernières années. Dans ce scénario, avoir la confiance de leurs bases est essentiel, car elles seront les seules à le défendre face à une tentative de le chasser du pouvoir.

L’opposition

Le politologue Carlos Melendez a souligné que les élections pour la période 2016 -2021 pointaient deux phénomènes politiques. Premièrement, la prédominance de la droite au Pérou, et deuxièmement, la double base de celle-ci : la technocratie-libérale et le populisme-conservateur, représentés respectivement par Pedro Pablo Kuczynski avec son parti péruvien por el Kambio (PPK) et par Keiko Fujimori avec Fuerza Popular. En effet, avec la présidence de Kuczynski et ensuite celle de Fuerza Popular, la majorité parlementaire a été marquée par une polarisation et une confrontation entre ces deux forces politiques.

L’arrivée du Péru libre sur la scène politique a réussi à unifier ces deux droites, qui ont désormais pour objectif commun ce qu’elles appellent la « lutte contre le communisme ». S’il est vrai qu’en peu de temps il y a eu plusieurs conflits internes au Parlement qui ont pris fin avec la démission de certains membres élus au Congrès, mais cela n’a pas modifié beaucoup le scénario hostile à l’égard du Péru libre, car les plus grandes brèches se trouvent aujourd’hui dans l’axe gauche-droite et le vote contre les initiatives du pouvoir public se maintient.

La presse et les leaders d’opinion plus progressistes qui ont tendance à parier sur la gouvernance ont pris comme un affront la configuration du cabinet, de sorte qu’ils se prononcent actuellement en faveur de la vacance présidentielle. C’est l’un des plus grands coups portés au gouvernement, car le discours médiatique devient de plus en plus homogène à son égard, et qui pourrait légitimer l’opposition.

Une autre remarque constante de la part de ce secteur est l’ingérence présumée du secrétaire général du Péru libre dans les décisions du gouvernement. Cette accusation a été lancée par la Fuerza Populare lors du second tour de la présidentielle et c’est un piège dont le président n’a pas pu s’échapper. Vladimir Cerrón, médecin formé à Cuba qui n’a pas peur de se dire socialiste, est une cible facile pour la campagne anticommuniste. La réalité est apparue ces derniers jours : les relations entre le président et le dirigeant du Péru libre sont tendues. Il est avéré qu’avant le vote de confiance, Castillo avait décidé de changer Bellido et la moitié de son cabinet, malgré le rejet de Cerrón. La dirigeante de Nuevo Perú, Verónika Mendoza a dû intervenir pour éviter cela.

Il est important de noter que le Congrès à majorité d’opposition n’est pas populaire auprès de la population : qui ne lui accorde que de 31 %. Cependant, le récit imposé par ce secteur, qui rend le nouveau gouvernement responsable de facteurs qui échappent à son contrôle – comme l’inflation, dont souffrent également d’autres économies d’Amérique latine, et le retard dans l’arrivée de vaccins en provenance de Chine, qui a également causé des problèmes en Equateur –, crée un espace pour l’émergence d’un leadership d’opposition qui n’a pas encore de visage.

Face à ce tableau, il est logique de se demander si le programme de gouvernement de Castillo a des chances de succès. La réponse est incertaine. Castillo doit trouver un équilibre qui lui permette de garder ses bases satisfaites tout en préservant un climat de gouvernance politique qui lui permette de réunir les conditions minimales pour progresser avec un programme de changement. La confiance accordée au Cabinet n’est qu’un répit.

Une première tâche consiste à regagner le soutien des secteurs progressistes qui ont pris position en sa faveur pendant la période où le fujimorisme et ses alliés avaient tenté d’ignorer les résultats des élections. C’est possible à moyen terme en plaçant des cadres de gauche avec un profil technique dans des secteurs stratégiques ; Le large soutien à la nomination de Pedro Francke au poste de ministre de l’économie est un exemple clair de ce fonctionnement.

Dans leurs prochaines étapes, Castillo et son gouvernement doivent réfléchir à leur stratégie. La gouvernance ne signifie pas nécessairement s’approcher du centre ou se mettre en « pilote automatique » parce que, comme l’a déjà demandé le politologue Alberto Vergara à Ollanta Humala, la modération a-t-elle un sens ?

Diplômée en journalisme de l’université de Lima. Il écrit pour l’Institut péruvien de défense juridique et dans le journal La Plaza. Il a fait partie de la rédaction du Pérou21.

 

4 septembre 2021, Sinpermiso

 

 

Notes

1 l’ancien ministre a affirmé que « le terrorisme au Pérou a été initié par la Marine, cela peut être prouvé historiquement, ils ont été formés pour cela par la CIA (la Central Intelligence Agency des États-Unis). » Il a également affirmé que le groupe terroriste Sentier lumineux « a été en grande partie l’œuvre de la CIA et des services de renseignement. » (la republica.pe) 17/08/2021

2 Le banc du renouveau populaire a avancé qu’il demanderait la censure des ministres d’État, à commencer par le ministre du Travail, Iber Maraví, après que le cabinet ministériel présidé par Guido Bellido eut obtenu le vote de confiance du Parlement. « Ensuite, nous verrons lequel viendra, nous finirons un par un », a déclaré le porte-parole Jorge Montoya. (rpp.pe) 27/08/2021

3 Día del Campesino : Gobierno anuncia nueva medida para impulsar compras a pequeños agricultores 24/06/2021 (rpp.pe)

4 Día del Campesino : Gobierno anuncia nueva medida para impulsar compras a pequeños agricultores (31/07/2021) Peru21.pe

5 Depuis 2006, les dirigeants du SUTEP ont été amené à s’engager à plusieurs reprises avec le gouvernement péruvien ce qui a provoqué le rejet d’un secteur des syndicalistes qui se sont séparés pour former le Conare (Comité national de réorientation du SUTEP).

6 El sistema político durante el proceso de violencia (Colección Cuadernos para la Memoria Histórica N.o 5 nstituto de Democracia y Derechos Humanos de la Pontificia Universidad Católica del Perú (idehpucp), 2009 Tomás Ramsey 925, Lima 17 – Perú, 2009

7 Révision due à une faute grave Par Maria Sosa Mendoza, Grancomboclub - Publié le 23-03-2019

8 Excanciller de Perú : Quieren impedir una política exterior soberana, pressa latina.cu 17/08/2021 ‎Ex-chancelier péruvien : Ils veulent empêcher une politique étrangère souveraine‎

9 Francisco Rafael Sagasti Hochhausler, né le 10 octobre 1944 à Lima, est un homme d'État péruvien. Membre du Parti violet, il est président de la République du 17 novembre 2020 au 28 juillet 2021. Après avoir travaillé au Centre de recherches pour le développement international et à la Banque mondiale, il participe en 2017 à la fondation du Parti violet, d'orientation centriste. Lors des élections législatives de 2020, provoquées par la dissolution du Congrès de la République par le président Martín Vizcarra, il est élu représentant de la circonscription de Lima.

10 EL LÁPIZ COMUNISTA. Le symbole utilisé par le régime communiste est maintenant utilisé comme l’emblème du Pérou libre. Mais ce n’est plus seulement une idée de campagne.

11 Tweet du conseil des ministres : AHORA | El titular de la PCM llegó al Cusco liderando una comisión de alto nivel para dirigirse a Muyoq Orcco en Chumbivilcas y buscar solución al conflicto del corredor minero, donde comunidades campesinas mantienen bloqueada la vía en contra de la empresa minera Las Bambas.2/08/2021 ( Tweet du conseil des ministres : MAINTENANT | Le titulaire de la PCM est arrivé à Cusco en dirigeant une commission de haut niveau pour se rendre à Muyoq Orcco à Chumbivilcas et chercher une solution au conflit du couloir minier, où des communautés paysannes bloquent la voie contre l’entreprise minière Las Bambas.2/08/2021)