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Catégorie : Editorial

Ces élections européennes ont été impactées par 3 questions essentielles : les flux migratoires, le climat, la question sociale.

L’absence d’une politique des flux migratoires commune aux 27/28 pays européens a été déterminante à plusieurs titres.

- Dans la crise du Brexit en Grande Bretagne.

La dureté de l’échange entre la Commission et les Britanniques - tellement divisés que la tentation d’un nouveau référendum pour le leave (sortir) ou le remain (rester, voté majoritairement dans Londres, la City et sa région)) - a été très forte. Ce projet vient de trouver sa réponse définitive dans les résultats qui mettent le parti « pour le Brexit » (construit en quelques jours par Farage, ex-Yukip qui avait porté en 2016 le référendum pour la sortie de L’UE), à la première place avec 33%, devant les libéraux démocrates (20,9%), le parti travailliste (14,6%) (avec Corbyn, partagé entre le Oui ou le Non), et les Tories de Thérèsa May qui préfèrent une sortie sans accord et chutent à entre 8 et 9 %, du jamais vu.

Th. May avait prévu que le résultat du référendum de 2015, l’expression majoritaire du peuple britannique, devait être respecté par la classe politique, au risque que les Conservateurs et même les Travaillistes soient sanctionnés. C’est fait. Th. May a annoncé son départ pour la mi-Juin. De toute façon, celui ou celle qui va la remplacer va se trouver face à ce même dilemme : la gestion du Brexit.

Si la classe politique Britannique a montré une incroyable légèreté dans les décisions à prendre pour régler le Brexit, il faut dire aussi que l’attitude des Européens n’a pas été très claire. Tant et si bien que les Britanniques ont pu participer à ces élections alors qu’ils vont sortir de l’UE, en principe dans quelques mois. On ne sait jamais jusqu’où peut aller l’hypocrisie et le cynisme en politique.

- Dans la montée de Salvini en Italie.

Un électeur italien sur trois vient de voter pour Salvini (33,3%). Un Salvini qui s’est construit sur le déni de l’Union européenne (et surtout de l’Allemagne et de la France) du problème posé par l’accueil de plus d’un million de migrants en trois/quatre ans, attirés par les promesses faîtes en 2015 par Merkel, dans un pays à l’économie fragile, où la pauvreté est en augmentation et qui est passé de terre d’émigration à terre de migration. Les Italiens étaient au départ plutôt accueillants, éducation catholique oblige. Et puis l’Italie, tout comme l’Allemagne, avec une démographique en baisse, pouvait avoir besoin de bras. Le résultat de ce déni, autre que la crispation des Italiens, c’est que les nombreux migrants qui se sont stabilisés par exemple dans le Sud, pour un séjour plus ou moins légalisé, se retrouvent exploités dans l’agriculture par l’intermédiaire et sous le contrôle de la Mafia, car contrairement à l’Allemagne, les capacités d’accueil de l’Italie sont devenues rapidement insuffisantes.

La poussée de Salvini est un fait. Mais la remontée du Parti démocrate à 22,7 % en est un autre. Le PD esquissant un début de tournant à « gauche » a résisté avec plus de 40% des voix dans ses régions traditionnelles du centre (la Toscane) et les grandes villes : Turin, Rome, Milan, Gênes, Florence. Il obtient des scores intéressants à Bologne autour de 30%, et même à Venise l’épicentre de la Lega avec plus de 27%. Par contre la défaite nationale du M5S de Di Maio (quoique toujours bien implanté dans le Sud) a montré la faiblesse de réponse politique de ce mouvement « gazeux » de citoyens (qui ont cherché à un moment se rapprocher des Gilets jaunes Français). Toutefois même si le rapport de force s’est déplacé dans la coalition vers la Lega, Salvini a encore besoin du M5S car il n’a pas la majorité même avec le soutien de Forza Italia de Berlusconi à 8,7% et celui d’une vieille formation mussolinienne : Fratelli d’Italia à 6,5%. Salvini, « homme fort » de l’Italie et de l’Europe ? Du moment, car il ne faut pas oublier qu’en Italie les majorités se font et se défont assez rapidement, car proportionnelle quasi parfaite oblige.

- Dans une forte critique envers Merkel.

La CDU perd 6 points à 28,9% un quasi séisme qui devrait rebattre les cartes pour faire majorité au Bundestag, suivie par les Verts à 20,5%, les sociaux-démocrates en troisième position avec 15,8%, Alternative für Deutschland à 11%, et die Linke à 5,5 %, formation plus rouge que verte qui a du mal comme la FI à progresser durablement.

Un million et plus de migrants ont été attirés sur le sol Allemand en 2015, par une décision impériale sans concertation avec les autres européens. A ce jour, seulement 250000 à 300000 migrants auraient trouvé un emploi. Les autres attendent une régularisation qui tarde et se voient offrir des boulots à 0,80 centimes de l’heure. Bien que, comme en Italie, les Allemands ont été d’abord généreux, le poids social de cette migration massive sur quelques mois a représenté un coût politique pour Merkel. Obligée de renoncer à la conduite de la CDU, dont elle a passé les rênes à une « A. kka » qui ne semble pas très conciliante, elle vient de subir un autre revers avec ces élections européennes qui peut compromettre sa politique de coalition.

- Dans le le maintien des droites très conservatrices, en Pologne, en Hongrie, dans les pays du Visegrad, qui refusent toute atteinte à leur souveraineté nationale et la présence de migrants sur leur sol et s’en trouvent forts aises. Elles tiennent la première place même si elles ont été contestées ces derniers temps sur leur politique sociale (Orban, au sujet des horaires de travail) ou sociétale (le refus de l’avortement en Pologne). Le parti d’Orban qui devait être exclu du PPE ne le sera certainement pas, le PPE ayant besoin des 56% de voix hongroises. Quant au Pis Polonais il réalise plus de 42%.

Le climat

La pression des verts a été manifeste dans plusieurs pays. En Allemagne ils deviennent le deuxième parti derrière la CDU, en France ils dépassent les Républicains et la gauche Ps et FI réunies.

La politique de l’UE en matière environnementale est soumise aux intérêts des multinationales de l’agriculture, des laboratoires et autres lobbies, ce que l’on a par exemple découvert dans les scandales sanitaires du glyphosate et des perturbateurs endocriniens possiblement cancérigènes. Ou lors de la signature de traités d’échanges avec le Canada et d’autres régions du monde, quasiment secrets, qui généralisent l’importation de produits dont on sait qu’ils peuvent se traduire par des problèmes sanitaires, là où ils sont produits sans respect des normes, comme là où ils seront consommés sans informations. Tout cela favorise la déforestation, la sécheresse, et la sixième extinction serait en marche.

Cette montée, relative, des Verts a été favorisée sans aucun doute par les manifestations des jeunes dans le monde. Mais les Verts seront-ils capables de répondre à cette jeunesse ? Comment entendent-ils œuvrer politiquement pour la transformation écologique ? Avec quelles alliances ? Ne seraient-ils, ou non, que l’expression d’une défense de la qualité d’un mode de vie propre à une certaine petite bourgeoisie ?

Si l’on se fie aux Verts Allemands qui ont une certaine antériorité en la matière, on risque d’être déçus. Les Allemands selon les Landers où ils se trouvent font alliance avec le Spd, la CDU, et même les Libéraux. Font-ils vraiment avancer la cause de l’écologie en Europe, dans un pays qui ferme les centrales nucléaires mais réouvre les centrales à charbon et vient de racheter Monsanto ?

Les Verts actuels seraient-ils des « libéraux compatibles » prêts à développer un nouveau capitalisme « vert », avec une banque dédiée ? Or les libéraux sont avant tout pour le marché ouvert. Seule une minorité d’entre les Verts est anticapitaliste.

L’absence de la question sociale, comme marqueur essentiel de cette campagne

Ce n’est pas nouveau. L’ordo libéralisme de conception allemande, qui traque le moindre centime d’inflation, de déficit budgétaire pour la stabilité de l’euro et le niveau des retraites allemandes, qui ouvre le marché européen à la concurrence mondiale, pèse de plus en plus sur les Européens, Allemands compris. Pas de relance, pas d’investissements pour prendre en charge les défis : réchauffement climatique, transformation de l’appareil productif pour qu’il devienne environnementalement compatible, économie casino, privatisations des « biens communs », des transports, de la fonction publique, évasion fiscale dans les paradis fiscaux au cœur même de l’Europe...

Bref une économie de rente à courte vue, qui oblige, par exemple, une grande partie de la jeunesse européenne à se débattre avec l’ « ubérisation » des emplois, ou à partir s’installer ailleurs pour survivre, comme ceux des pays du Sud et de l’Europe centrale. Où les salariés, même s’ils résistent çà et là, se retrouvent démunis peu à peu de tout recours légal en matière de contrat de travail, de conditions de travail, de salaires, abandonnés aux lois du marché, etc. Sans parler de l’augmentation de la pauvreté. Selon Macron : « les pauvres, ça coûte un pognon de dingue ». La norme européenne est donc toujours de liquider peu à peu tout ce qui viendrait entraver la marche vers un dumping globalisé. Et il n’y a pas eu ou très peu de débat fondamental sur ces questions.

Premières conclusions

Certes, en moyenne un européen sur deux a voté. C’est légèrement plus que le taux de participation de 2014, qui était de 42,61%. Mais globalement même s’il y a quelques modifications, les coalitions sont à redéfinir, les élections ne devraient pas changer fondamentalement la politique de l’UE.

Les sociaux-démocrates (malgré la bonne performance en Espagne, au Danemark et en Hollande), et le PPE ont perdu une quarantaine de sièges chacun. Il leur faut trouver des alliances pour faire majorité. Les Verts, eux, ont des stratégies variées. Ils peuvent s’associer avec les sociaux-démocrates comme avec le PPE, ou les Libéraux, qui devraient accueillir Macron et sa liste « Renaissance ». Notons qu’en France l’appellation « les libéraux » devient « le centre réformateur » !

L’extrême droite et les droites populistes se renforcent avec 20 sièges supplémentaires, mais ils sont divisés en 3 blocs et chacune de ses formations défend d’abord ses intérêts nationaux, contradictoires avec ceux des autres. Par exemple, Salvini veut résoudre le problème de l’accueil des migrants en obligeant l’Europe à définir un quota pour tous, quota que les pays refusent. Les extrêmes Allemands ou des Pays Bas, ou Orban bon élèves de l’ordo libéralisme, ne veulent pas entendre parler d’un soutien au déficit Italien. Certains d’entre eux refusent l’alliance avec Marine Le Pen comme raciste. Et le parti du Brexit va tirer sa révérence. Le projet d’un regroupement de toutes ces forces sera donc une tâche plus qu’ardue pour Salvini qui se voudrait l’homme fort de l’UE.

L’ère des tractations s’ouvre. Et pendant ce temps-là, le bruit des armes se fait entendre de plus en plus fort. L’Amérique de Trump et l’Otan, fourbissent leurs armes contre l’Iran, les Palestiniens, le Yémen ; mènent une guerre commerciale et d’intimidation contre la Chine ; cherchent à encercler, à menacer la Russie et entraîner les européens derrière eux.

Après une trentaine d’années et les espoirs de paix, suivant la chute du mur de Berlin, nous revoila au point de départ confrontés aux risques d’une nouvelle guerre froide, si ce n’est pire.

Voilà une question si importante et qui n’a pas été débattue pendant cette campagne européenne. Sauf en Italie. Des militants Italiens attachés à la lutte contre la guerre et la présence de l’Otan, veulent offrir une perspective de luttes pour la paix avec la déclaration de Florence du comité « NO NATO ».

Mai 2019