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Catégorie : Actualités

Le rachat de la dette des pays par la BCE, à laquelle vient s’ajouter maintenant celle des entreprises, et dont le taux directeur est tombé à 0%, serait une bonne nouvelle pour l’économie, si cette masse de liquidités venait à servir les investissements, le redéploiement économique, industriel et l’emploi. Or il n’en sera rien. Cet argent va  surtout permettre aux entreprises de rétablir leur marge, c'est-à-dire de maintenir le versement des dividendes aux actionnaires à des taux très rémunérateurs.

Certes les emprunteurs vont emprunter, à crédit, ce qui va augmenter le taux d’endettement des particuliers et des entreprises, mais quelle sera leur capacité de remboursement ?

 

Il se peut aussi qu’avec des taux à O%, voire négatifs!, les banques ne soient pas très enclines à prêter sans rémunération pour le risque de non remboursement qu’elles prennent. Elles ont comme toute entreprise des frais de fonctionnement, des immobilisations, de la technologie, du personnel, et des ratios de solvabilité à maintenir, etc.

 Pour un économiste classique, partisan d’un « cercle vertueux », le rôle des banques est simple : elles collectent l’épargne pour la transformer en crédits aux différents agents économiques : Etats, Entreprises, Particuliers, Artisans, PME, Institutionnels, etc., et soutenir ainsi un financement « sain » de l’économie contre une rémunération acceptable du risque, tout en étant soumises par l’Etat au contrôle des Institutions de régulation bancaire.

La déréglementation de l’économie bancaire et financière depuis les années1970/1980 a depuis belle lurette, laissé place à la « financiarisation » de l’économie, c'est-à-dire à une recherche de capitaux directement sur les marchés financiers qui sont soumis aux aléas de la spéculation, et  dont le fonctionnement est si peu « vertueux »et tellement opaque qu’il ne cesse de produire des crises de plus en plus importantes et rapprochées. (Par exemple, les « produits dérivés » utilisés par les banques représentent 720000 milliards de dollars, en 2015, soit 10 fois plus que le Pib mondial. « L’art de la guerre financière » par JF Gayraud, Ed. Odile Jacob, avril 2016).

La politique actuelle de la BCE serait donc une hérésie pour notre  économiste classique. Un vrai danger qui  pourrait pousser les banques à délaisser encore plus leur cœur de métier, et chercher leur rentabilité et celle de leurs grands actionnaires (les multinationales) en intervenant toujours plus sur les marchés financiers par le biais d’opérations toujours plus risquées très spéculatives, contribuant ainsi encore plus à déstabiliser ce système déjà livré à lui-même et, entre les mais de ces 1% les plus riches.

Et cela le sera tant que les banques ne se trouverons pas sous la tutelle de leurs salariés, des citoyens, des Etats,  c'est-à-dire, sans renationalisations sous contrôle des salariés, des citoyens et des Etats. UC

La BCE se prépare à acheter les actions des grandes entreprises sur le continent. Une autre manière très utilisée de redistribuer la richesse du bas vers le haut.

La vraie nouvelle de la « super-QE » (Quantative Easing = Assouplissement Quantitatif !) annoncée par Draghi le 10 mars dernier - en plus de la hausse des achats mensuels de titres d’Etats portés de 60 à 80 milliards et le lancement du nouveau TLTRO (« Target Long Term Refinancing Opérations » = Opérations de refinancement à Long terme) par lequel les banques centrales pourront emprunter auprès de la Banque centrale européenne même à des taux négatifs (un avantage considérable pour elles) – est qu’elle va s’élargir aux obligations des grandes entreprises industrielles, un marché qui représente une valeur d'environ 900 milliards.

Une aubaine pour les grandes entreprises du continent – et pas seulement ? – qui vont émettre de nouveaux titres et les vendre directement à la BCE (et obtenir ainsi un crédit de la Banque centrale) et/ou racheter leurs propres titres au taux de rendement actuel (opération de buyback) pour les placer à nouveau sur le marché et donc à un prix plus élevé, puisque le prix des titres est inversement proportionnel au rendement.

Il s'agit d'une mesure sans précédent qui, pour la première fois, verra la Banque centrale remettre directement de l'argent aux entreprises non financières (se substituant de fait aux banques commerciales). Pas à toutes les entreprises, bien sûr. Restent exclues de l'opération, les moyennes et petites entreprises – en particulier en Italie, mais aussi ailleurs – qui représentent la grande majorité des entreprises et des emplois et qui sont pour la plupart touchés par la crise provoquée par les politiques d'austérité.

Une fois de plus, c’est la nature de la politique monétaire des banques centrales -  une pure politique de classe exprimant le rapport de force entre les pays et entre les classes - qui apparait dans ces choix toujours présentés comme « neutres » et qui détermine la politique économique en Europe.

Et comme l’a révélé Merril Lynch, en effet, le cadeau de Draghi concernera surtout les grandes multinationales du continent – qui non seulement n’ont pas été touchées par la crise mais qui sont celles qui recueillent les fruits de la déflation salariale poursuivie par les classes dirigeantes européennes (cette même déflation qui diminue les bénéfices des petites et moyennes entreprises dépendantes de la demande intérieure) – en particulier les grandes entreprises françaises et allemandes.

Il n'y a là rien de surprenant. Comme le rapporte un article récent dans le journal la Repubblica, Draghi n’a cessé de répéter  pendant des mois : « Je vais porter les achats de titres d’Etats de 60 à 70 milliards, à coup sûr. Mais si je veux les porter à 80 milliards, je serai dans l’obligation de répondre aux demandes des Allemands et des Français qui veulent étendre cela aux obligations de sociétés. ». Et ainsi ce fut fait.

Cela devrait convenir aussi aux multinationales italiennes. Si le montant d'obligations de sociétés « admissibles » Français est de 209 milliards et celui des Allemands de 122 milliards, les obligations italiennes le sont pour 69 milliards.

Sans surprise, la décision de la BCE a provoqué une vague de nouvelles émissions de titres des entreprises, alors que les rendements obligataires ont chuté fortement. Mais ce n'est pas seulement le fait des émetteurs européens. On a même vu les Américains sur ce marché qui, depuis le début de l'année, ont fait des émissions d'environ 30 milliards d’euros, dépassant ainsi les volumes totaux de la période de 2015 qui était de 27,6 milliards.

Pour le moment rien ne dit que l’opération de la BCE sera limitée aux titres européens ou non, mais exclure les compagnies non européennes pourraient s'avérer difficile d'un point de vue technique (de nombreuses multinationales U.S possèdent des succursales européennes).

Ce qui est certain : c’est qu’une fois de plus, la grande majorité des citoyens européens ne recevra pas un euro des 80 milliards « imprimés » chaque mois par la BC, Que penser alors de la déclaration il y a quelques jours de Peter Praet,  chef économiste de la Banque centrale européenne, que la Banque centrale pourrait "tout simplement remettre l'argent au public" s’il le souhaitait !.

Entre dire et faire, cependant, il y a quarante ans de redistribution de la richesse du bas vers le haut.

30 mars 2016, sbilanciamoci