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Catégorie : Opinions / Débats

Réponse à la critique de Jean-Pierre Garnier publié dans Utopie critique n° 44

Les observations de Jean-Pierre Garnier sont toujours très stimulantes même si nous ne nous sentons pas tout à fait concerné par la majeure partie de ses critiques.

En fait, et pour aller directement au cœur du problème, il nous est reproché de ne pas reprendre les catégories marxistes de « plus-value » et « d'exploitation » dans le cadre de notre analyse et de construire une version « relookée » de l'association capital-travail.

Or, il faut savoir que si nous partageons pour l'essentiel l'analyse de Marx, nous pensons que celle-ci ne peut pas être reprise en l'état sous peine de ne plus être vraiment opératoire.

L'analyse de Marx relève de la critique de l'économie politique Elle est encore valide pour comprendre les fondements du capitalisme car ce système ne répond pas aux besoins humains, aux exigences environnementales et aux relations internationales nouvelles qu'appelle la mondialisation.

En prenant appui sur cette analyse, on peut toujours proposer de faire valoir la nécessité d'une « alternative au capitalisme ». Mais que signifie concrètement une alternative au capitalisme si celle-ci se réduit à une incantation sans leviers opérationnels ?

Qui va-t-on convaincre ? Quels sont les agents et les forces sociales susceptibles de porter cette alternative et sur quel contenu programmatique ?

Pour changer le monde écrivait Pierre Bourdieu, il faut changer les manières de représenter le monde.

Quelles sont par conséquent les grilles à notre disposition dans une économie mondialisée et qui a beaucoup évolué depuis le XIXe siècle ?

Nous affirmons dans nos deux ouvrages qu'il faut refonder certaines catégories de pensée pour avoir réellement prise sur le réel et être vraiment audibles. Cela implique que les concepts utilisés soient indissociables d'un nouvel espace de modélisation porté par une vision renouvelée de l'activité productive et des rapports de pouvoir.

Il faut rappeler brièvement que pour un auteur comme Fernand Braudel par exemple, le capitalisme historique est avant tout appréhendé comme un « anti-marché ». Il s'agit d'un niveau supérieur de pouvoir où opèrent les grands prédateurs dans la jungle de la politique mondiale et locale. Selon lui, l'économie de marché (la division du travail et les échanges) est bien antérieure au capitalisme qui apparaît lorsque se constitue précisément, au-dessus du marché, cet anti-marché, véritable « pouvoir » dont l'histoire va façonner celle du capitalisme.

Selon nous, dépasser le capitalisme implique de s'attaquer au fondement de l'accaparement capitaliste : les droits issus de la propriété privée des moyens de production.

S'agit-il de remettre en question le droit à la propriété?

Le fait de posséder une maison, une automobile ou un téléphone portable doit-il être remis en cause? Non bien entendu car il ne s'agit pas ici de la propriété des moyens de production.

L'enjeu c'est de revoir radicalement le droit issu de la propriété qui confère à quelques acteurs privilégiés - les actionnaires de contrôle en particulier - la capacité de décider seuls de l'avenir de l'entreprise et du travail c'est-à-dire des moyens de vivre de nombreuses populations.

Aussi, il faut donner aux dirigeants les moyens de résister aux demandes des actionnaires en établissant des règles juridiques les obligeant à prendre en compte les autres intérêts affectés par {jo_tooltip} Voir le travail essentiel de Jean-Philippe Robé L'entreprise et le droit, que sais-je ? PUF, 1999. | leurs décisions {/jo_tooltip}.

Distinguer l'« entreprise » comme entité productive et économique de la « société » au sens juridique, c'est plaider en faveur d'un contrat passé entre toutes les parties prenantes : salariés, apporteurs de capitaux et dirigeants. Sa finalité ne serait donc plus de maximiser les résultats financiers, mais de trouver des compromis viables entre les parties prenantes ?

Ainsi, dès aujourd'hui, le fait de prendre acte de la distinction entre les deux entités et de refonder les {jo_tooltip} Voir sur ce point les travaux décisifs de Paul-Louis Brodier en particulier La valeur ajoutée, Une approche de la gestion fondée sur la distinction entre société et entreprise, Addival, 2001. | outils de gestion {/jo_tooltip} offre la possibilité de repositionner un certain nombre d'entreprises sur des sentiers de développement et souvent, de leur éviter la faillite à court ou moyen terme.

Cette position est peut-être « réformiste » mais elle permet ici et maintenant de sauver des emplois et de dynamiser activement la mobilisation des travailleurs.

Peut-on croire qu'il serait pertinent d'indiquer à des salariés et à des chefs d'entreprise en difficulté que le dépassement du capitalisme sera le moyen par excellence de résoudre leurs problèmes économiques et sociaux ?

Dans la perspective d'un pilotage orientée « valeur ajoutée » les travailleurs peuvent être en mesure de penser la gestion en participant à des décisions argumentées et accéder ainsi à la production de connaissances sur l'organisation du travail.

Jean-Pierre Garnier affirme dans son texte que la remise en cause des critères de rentabilité, de productivité et de compétitivité ne semble pas très réaliste car la bourgeoisie française est loin d'adhérer à ce projet.
Cette bourgeoisie va-t-elle pour autant souscrire plus facilement à une alternative plus directe, autrement dit à un processus révolutionnaire de transformation radicale de l'ordre capitaliste, comme il l'appelle de ses voeux ?

Suite dans Utopie Critique n°47