Imprimer

 

Macron l’a réaffirmé lors de ses « vœux à la Nation » le 31 décembre 2019 : « la réforme sera menée à son terme » dans un discours-credo parfaitement libéral à la Ayn Rand, la papesse du libéralisme qui fait fureur aux Usa et dont le livre « La grève » écrit en 1957 est devenu le livre « le plus influent après la Bible ». (Ed. Les Belles Lettres, 2017). Dans ce livre les manœuvres d’une fraction de la bourgeoisie dominante génèrent une grève insurrectionnelle. Incapables de la maitriser ils décident alors de fuir le chaos qu’ils ont créé pour s’expatrier vers un « nouveau monde », rêvé, créé et connu par eux-seuls : un entre soi, où règne une utopie libérale pure et sans concession.

La violence sociale de ces dernières années n’a jamais été aussi présente en France que depuis l’élection de Macron. Un an de contestation des gilets jaunes, brutalement réprimés avec près de 4000 blessés et autour de 200 manifestants éborgnés, qui s’est inscrite, en fait, dans la durée sur le champ social et politique. Et presque tous les corps de l’Etat (justice, santé, éducation, police, pompiers etc.) se sont emparés de la rue de manière récurrente.

Le « nouveau monde » dessiné par Macron, puise en fait ses racines dans les « réformes » mises en place par Thatcher et Reagan dans les années 1980 au nom de la liberté absolue du marché. Oui, il y a du Margaret Thatcher chez Macron, la « dame de fer » qui a réduit en cendres le système social anglais. En fait Macron, l’ancien banquier d’affaires, n’a que du mépris pour la question sociale. Il considère la question des retraites comme un problème financier.

Il a choisi l’affrontement avec les syndicats, et table sur le pourrissement de la mobilisation en faisant trainer les « discussions ». Après 18 mois de parlottes avec les syndicats, plus d’un mois de grève, les « discussions » ne seront reprises qu’au début du mois de Janvier 2020.

Le régime français des retraites, hérité du conseil de la résistance de 1945 inscrivait l’égalité de traitement entre tous les Français. Il serait injuste, aux yeux de Macron, par la présence de régimes spéciaux (3% du montant global des retraites). Il dit vouloir rétablir la « justice et l’égalité » de traitement, en démantelant ce système trop social.

Jamais l’attaque n’aura été aussi forte depuis 1995, date de la dernière mobilisation avec une grève qui avait duré 3 semaines contre un projet moins sauvage que celui-ci.

Il faut comprendre que le régime de retraite par répartition (les actifs payent pour les retraités) est l’exact contraire de la retraite par capitalisation (boursière), vers lequel s’oriente Macron.

L’Europe. Il faut comprendre aussi que ce régime par répartition est perçu par l’Europe libérale comme une anomalie héritée du « vieux monde » qui doit disparaître dans ce « nouveau monde » où règne la loi absolue d’une finance déréglementée. L’Europe ne peut tolérer un tel système social basé sur la solidarité entre générations. Elle est à la manœuvre et pousse Macron à faire la « réforme » et rejoindre ainsi l’ensemble des européens qui l’on déjà faite.

Macron veut réduire le niveau des prestations en instituant un régime à point. Le régime actuel est calculé sur les 6 derniers mois de salaires pour les fonctionnaires - en général les plus rémunérateurs car situés en fin de carrière et qui venait aussi compenser la faiblesse des salaires - et sur les 25 meilleures années pour les salariés du privé. Un régime général pris en charge par la sécurité sociale auquel s’adjoint une retraite complémentaire déjà calculée sous forme de points, par l’Agirc (pour les cadres) et l’Arco (l’ensemble des salariés cadres compris) qui viennent de fusionner. Un organisme géré paritairement par le patronat (les entreprises adhérentes) et syndicats.

Fin, donc, des régimes « spéciaux ». Mais Il n’a pu s’empêcher une ultime provocation : introduire l’allongement de l’âge de départ à la retraite fixé légalement à 62 ans, en annonçant un « âge pivot » à 64 ans pour toucher une retraite à taux plein. L’âge légal demeure 62 ans, mais entre 62 ans et 64 ans votre retraite sera durablement impactée par un malus. Et au-delà de 64 ans, c’est un bonus permanant qui viendra augmentera votre retraite si vous « choisissez » de partir entre 64 ans et 67 ans.

Les Français ont tout de suite compris à juste titre qu’il leur fallait aller jusqu’à 64 ans pour toucher une retraite à taux plein.

Or la question des retraites est taboue pour les Français. Ils considèrent qu’elles sont partie intégrante du pacte social républicain. Ils l’ont déjà démontré lors de la grève de 3 semaines en 1995, contre la réforme Juppé.

Macron ne reculera pas. Il utilisera tous les moyens pour réussir « sa réforme » comme il l’a fait jusqu’à présent, sauf à lâcher des broutilles sur la pénibilité et peut-être une variabilité de l’âge pivot. Mais au fur et à mesure que s’ébauche la nouvelle loi, le projet de « réforme » semble si confus et impréparé qu’il suscite déjà une grande hostilité et un certain nombre de questions. Quand prendra-t-elle réellement effet ? Pourquoi supprimer les régimes spéciaux si « l’universalité » du nouveau système provoque déjà des exceptions ? Comme pour les policiers qui menaçaient de rejoindre le mouvement ? Autre exemple stupide, l’incompréhensible suppression du régime spécial pour les danseurs du corps de ballet de l’Opéra de Paris qui partaient en retraite à 42 ans et devrons aller jusqu’à 64 ans ! Une série de professions ont déjà obtenu, semble-t-il, de conserver leurs avantages. Enfin comment croire que le gouvernement va augmenter les primes (et non les salaires) des enseignants qui vont perdre de 20 à 30% entre le régime par répartition actuel et celui de la retraite à point ? Or les enseignants français sont les moins bien payés d’Europe.

Bref un projet qui se veut flou, une série d’informations et de déclarations plus ou moins contradictoires, parfois des contrevérités, une cacophonie émanant du gouvernement lui-même et qui n’est pas rassurante.

Quelle riposte d’un mouvement syndical, scindé en deux courants rivaux : le « réformisme » de la Cfdt, face à une Cgt de plus en plus « radicale » ?

La CFDT. Macron avait une carte dans sa poche, qu’il a rejeté par orgueil et dédain : l’ouverture de la direction du syndicat CFDT, qui veut cette réforme par points, qui était prête à signer contre quelques aménagements si le gouvernement abandonnait l’âge « pivot » de 64 ans. La CFDT qui n’a pas appelé à la grève, sauf la fédération Cfdt des cheminots, a fini par rejoindre le clan des opposants (CGT, FO, Sud) à partir de la manifestation du 17 décembre même si elle s’est tenue bien loin du cortège de la CGT. Il faut se rappeler que la CFDT depuis les années 1970 a fait un choix politique, celui « d’accompagner les réformes », y compris une réforme libérale comme celle des retraites, tout en rêvant toujours d’une cogestion à l’allemande.

La CGT. Quant à la CGT elle refuse, avec raison, purement et simplement le projet de liquidation du régime actuel et propose pour conserver le système par répartition une augmentation générale des salaires (proposition reprise par Mélenchon), une augmentation des charges sociales à payer par le patronat qui a été particulièrement gâté depuis Hollande, par un crédit d’impôt de 40 milliards, contre un développement de l’emploi qui n’a pas eu lieu, renouvelé par Maron sous la forme d’un allègement de charges sociales pour le patronat..

La CGT vient de démontrer les 5 et 17 décembre, avec succès, sa capacité à mobiliser les salariés concernés, plus d’un million et demi de manifestants en France. Les militants CGT se mobilisent, parfois de concert avec les gilets jaunes, partout dans le pays y compris pendant la « trêve des confiseurs », la période des fêtes, les grévistes ayant décidé de continuer le mouvement sous d’autres formes pour montrer leur détermination car la « négociation » ne devant reprendre que lors de la première semaine de Janvier.

Mais elle a un problème. Peut-elle, seule (même avec FO et Sud), contraindre Macron à lâcher « sa » réforme ? Que les salariés des régimes spéciaux se soient mobilisés c’est fondamental. Mais derrière la suppression des régimes spéciaux, il y a la retraite « universelle » par point pout tous les salariés. Les Français sont inquiets. Ils refusent majoritairement le projet Macron, ne sachant pas ce qui les attend concrètement. Ils n’accordent aucune confiance à ce gouvernement. Mais pour l’instant leur attention se focalise sur les régimes spéciaux. Ils soutiennent le mouvement de grève tout en n’étant pas hostiles à voir disparaître les régimes spéciaux, au nom d’un égalitarisme dévoyé.

La grève générale ? Comment mobiliser l’ensemble des salariés du privé et de la fonction publique, contre la retraite à point sauf à lancer une grève générale ? Même si l’atmosphère est à la convergence des luttes ou plutôt des colères, on ne voit aucun signe de mobilisation réel chez les salariés du privé, retenus entre autres par leur peur de perdre leur emploi et la refonte d’un code du travail édulcoré qui les protège moins bien.

Autre problème : la CGT veut politiser le conflit. Certains de ses militants les plus actifs ont retrouvé les accents d’une CGT « syndicat révolutionnaire ». Un noyau dur existe, dans les transports, et qui dans l’Energie a pratiqué des coupures de courant, tout de suite impopulaires car elles ont touché des citoyens. Ou encore des grévistes pour bloquer les raffineries dont 2/3 d’entre elles sont fermées. Toutefois la fédération de l’énergie est revenue à une solution plus populaire : rétablir l’électricité dans les foyers qui ne peuvent plus payer leur facture, ou passer la consommation de certains ménages sous le régime de la décote du trafic de nuit.

Politiser le conflit, c’est poser la question ouverte du relais politique. Quel relais politique dans un pays qui n’a plus confiance dans la politique institutionnelle ? Ou s’agirait-il d’une stratégie préparant la présidentielle de 2022 et l’échec de Macron ? Quel candidat, Le Pen ? Mélenchon ? On peut espérer qu’il y ait un sursaut républicain contre Le Pen. Quant à Mélenchon, il semble aujourd’hui ouvert à des alliances, par exemple avec les verts – mais c’est une galéjade car ceux-ci se voient déjà aux commandes – et il n’est toujours pas capable de fédérer une gauche morcelée en différentes obédiences.

Quant à la convergence des luttes, le rêve de l’extrême gauche, elle n’est pour l’instant qu’une convergence des colères, car même à la SNCF ou à la Ratp la grève touche essentiellement les roulants, mais pas l’ensemble des personnels de ces entreprises. Les autres salariés des secteurs concernés par la suppression des régimes spéciaux et qui le refusent, s’expriment dans la rue ou par des grèves intermittentes comme les enseignants, les avocats, etc.

La question des retraites pourrait être un moment fédérateur unifiant les salariés, comme en 1995. Mais l’espoir d’un mouvement tel que celui de 1995 est une illusion. La crise de 2008 a fait des ravages, installé un chômage structurel massif (9,6% de la population active). La pauvreté a augmenté : autour de 15% de la population, ainsi que la précarité. Sans oublier tout le travail de casse du code du travail commencé, là aussi, sous Hollande, livrant de plus en plus les salariés à l’arbitraire du patronat.

Tous ces évènements ont altéré la conscience politique de classe ou favorisé l’individualisme. Les forces politiques traditionnelles ont disparu, la droite défaite par Macron hurle plus fort pour se différencier du « macronisme » avec lequel par ailleurs elle est totalement d’accord pour les « réformes » qu’elle juge insuffisantes. Le PS qui avait oublié qu’il était de gauche a quasiment disparu du paysage. Il pourrait ne rester que Macron, Le Pen et Mélenchon. Macron devrait-être sanctionné pour sa réforme. Mais Le Pen, malgré les efforts de Marion Maréchal Le Pen pour une alliance avec une partie de la droite « dure », tout comme Mélenchon, ne peuvent prétendre gouverner sans alliances. Ce dernier devrait aussi méditer sur l’échec de Corbyn et la crise au sein de Podemos.

C’est l’heure du choix : préserver et améliorer un modèle social démocratique, ou voir s’instaurer un modèle libéral anglo-saxon anti-social et anti-démocratique, avec en vue la privatisation à terme de grands pans du secteur public, comme la Sncf, la Ratp, le système de santé, et même l’enseignement primaire comme l’avait envisagé un ministre de Sarkozy.

La « gauche » s’est réunie le 12 décembre, appelée à l’initiative du Pcf et a rassemblé pour la première fois depuis une vingtaine d’années, l’ensemble des groupes éparpillés qui se reconnaissent à gauche : Les Insoumis, Europe Ecologie-les Verts, le NPA, Lutte Ouvrière, Génération. S, ainsi que le Parti socialiste. Un premier pas vers un projet unitaire ?

Œuvrons pour que cela ne soit pas une simple photo d’une famille déchirée.

Œuvrons pour créer des comités de citoyens et soutenir le mouvement et son extension.

Seule l’unité dans des comités de soutien, l’unité syndicale et celle des forces de gauche pourront donner un nouvel élan politique et poser la base d’une république sociale et autogérée.