Andrew Dowling, maître de conférences en histoire catalane et espagnole à l’Université de Cardiff. Il est l’auteur de ' The Rise de Catalan l’indépendance. Crise territoriale de l’Espagne (Routledge)

Après sa percée aux élections européennes de juin 2014, avec 8 % des suffrages, Podemos est devenu seulement, quelques mois après sa création, le parti politique espagnol le plus en vue, et au début 2015, il semblait suivre une irrésistible ascension vers le pouvoir national.

Podemos a été particulièrement efficace pour attirer les électeurs de moins de 40 ans et le secteur des classes moyennes espagnoles qui ont vu leurs perspectives érodées par la crise économique intense qui touchait l’Espagne depuis 2008. Cet élément générationnel a eu des répercussions sur la croissance du parti et par la suite sur son décrochage.

L’ascension apparemment implacable de Podemos en Espagne a coïncidé avec la formation par Syriza, en janvier 2015, d’un gouvernement radical en Grèce. Dans une grande partie de l’Europe, la profonde crise économique produisait les populismes de droite, l’Espagne et la Grèce semblaient contraire à cette vague, tandis qu’en Italie elle donnait naissance à un Mouvement idéologiquement confus, le M5s.

Lors de sa première année d’existence, Podemos semblait capable de trouver un équilibre judicieux entre ses origines, les manifestations de rue, une communication politique très réussie, et un récit politique novateur. L’élite au pouvoir en Espagne était perçue comme la casta (la caste) qui devait être balayée par l’intermédiaire d’un renouveau démocratique radical.

En janvier 2015, Podemos effectuait un saut quantitatif en atteignant 27 % des voix, et ce lors d’un moment politique important. Aux élections générales de décembre 2015 et juin 2016, Podemos n’a pas réussi à battre les socialistes espagnols d’un PSOE considérablement affaibli. En 2018, le soutien à Podemos a oscillé autour de 14 à 17 %.

Qu’est-ce qui a mal tourné pour Podemos ? Trois éléments importants.

Les limites de la comparaison grecque.

SYRIZA a inspiré et a été imité par Podemos. En Janvier 2015 Syriza formait un gouvernement en Grèce, offrant ainsi à Podemos de capitaliser en Espagne les impacts de cette modification importante du système politique grec. Cependant, en septembre 2015, Syriza perdait son combat contre l’Union européenne et se résignait à n’être qu’un gouvernement administrant l’austérité. Cette défaite de Syriza a joué sur Podemos en termes de perte de confiance d’une partie des Espagnols comme quoi une refonte majeure de l’Espagne ne pouvait être réalisable.

En outre, l’Espagne n’est pas la Grèce pour un certain nombre de raisons. Le parti socialiste espagnol, le PSOE, bien qu’amoindri, n’est pas proche de la marginalisation subie par le PASOK. L’économie espagnole a été jugée trop importante par Bruxelles pour être en faillite, et bien que l’austérité ait considérablement endommagé le tissu social espagnol, il n’y a eu aucun effondrement social comme en Grèce. Enfin, la Grèce ne connait aucun problème de minorités nationales organisées sur le plan politique, alors qu’un tiers de l’Espagne est gouverné par un système de partis régionalistes et de composantes nationalistes.

Podemos a dû créer des liens et former des alliances avec ces forces progressistes, malgré des récits politiques contradictoires tant au niveau local qu’au niveau national. Dans le cas de la Catalogne et du pays Basque, la dimension nationaliste locale s’est avérée particulièrement difficile à gérer. Malgré tout, ces liens ont offert une plus grande opportunité à Podemos, et au printemps 2015, il se renforçait, notamment en Galice, Navarre, pays Basque, Valence et Catalogne.

 

Alors que le gouvernement espagnol semblait peu capable de faire face au défi des indignados, la possibilité que Podemos puisse atteindre le pouvoir a galvanisé une forte réaction des élites espagnoles traditionnelles. La finance, la presse écrite et la classe politique se sont révélées prêtes à tout pour bloquer Podemos sur la route du pouvoir. Le journal El País, a joué un rôle clé dans cette lutte implacable contre Podemos, comme d’autres médias plus traditionnellement conservateurs.

Alors que les institutions de l’Etat espagnol ont été sous une pression intense, entre 2008 et 2018 elles ont également démontré la capacité d’adaptation des pouvoirs publics.

Podemos à peut-être surestimé ses capacités politiques ainsi que les sources traditionnelles du pouvoir espagnol au niveau social, économique et politique.

Les erreurs de Podemos.

L’élément principal qui explique le blocage de Podemos est à voir du côté des facteurs internes à l’organisation elle-même.

En grandissant Podemos a cherché à atteindre un équilibre entre son objectif de changement radical et son désir d’accéder au pouvoir politique. Cela se voyait, en particulier à partir de 2016, dans ses messages politiques souvent confus et déroutants.

Au départ, Podemos a construit un récit politique autour du fait qu’il était une formation radicale hors des expériences traditionnelles de gauche et de droite. Le groupe a su par la suite occuper l’espace politique à la gauche du PSOE. Mais Podemos a été souvent déstabilisé par des disputes entre son aile gauche radicale plus traditionnelle et ce que nous pouvons appeler un gauche post-moderne.

D’autres tensions surgirent au sein de l’organisation plus largement autour des questions de la démocratie interne et de la désignation des élus sur les listes du parti. Ces querelles intestines portaient aussi sur la question de la base sociale du parti. Podemos a eu du mal à recruter parmi les travailleurs pauvres, les précaires, organisés ou non. Cela provenait dans une certaine mesure d’un problème générationnel, les figures de proue de Podemos étant des trentenaires. Ce sont les moins de 40 ans qui ont vu leurs perspectives de carrière et d’emploi brisées par la crise économique qui ont afflué à Podemos.

La classe ouvrière traditionnelle, une génération plus âgée, qui avait connu le privilège tout relatif d’une stabilité de l’emploi, a vécu une détérioration de la situation économique depuis les années 1980. En ce sens, l’arrivée de la crise économique a été un choc pour certains, mais surtout pour de nombreux travailleurs traditionnels. Cette différence a joué particulièrement dans le mouvement indignados du 15M, incapable de tendre la main à la classe ouvrière traditionnelle. Les syndicats Espagnols ont aussi joué rôle en soutenant ou non Podemos.

Comme les travaillistes de Corbyn, Podemos est plus écouté parmi les classes moyennes, éduquées, urbaines, pour des raisons de culture, d’identité et de récit politique, alors qu’il n’a obtenu que peu d’écho réel parmi les pauvres et précaires, les « post-industriels ».

La crise de la nation

Le troisième et dernier élément à considérer limitant la progression de Podemos c’est la question des nationalités. Nationalisme et questions de l’identité nationale ont ressurgi à l’automne 2017.

La question catalane et sa quête pour l’indépendance a produit la plus grande crise politique en Espagne depuis les années 1970. La crise nationale autour de la Catalogne a été une expérience négative pour la plupart des Podemos. Podemos a été le plus critiqué de tous les principaux partis espagnols, y compris par ses propres électeurs.

Jusqu’en 2017, Podemos avait obtenu un modeste succès avec ses appels à la reconnaissance de la réalité multinationale de l’Espagne. Toutefois, la tentative de sécession unilatérale de la Catalogne à l’automne de 2017 a produit une rassemblement national intense dans une grande partie de l’Espagne et c’est la droite qui en a été la principale bénéficiaire politique.

Podemos a été ébranlé par son incapacité à faire face à l’attachement affectif réel de la plupart des Espagnols à l’unité nationale. Et les erreurs importantes des principales forces indépendantistes en Catalogne, contribuèrent au problème.

Quand Podemos a démarré, il a été violemment attaqué par les secteurs conservateurs au sein de l’indépendance Catalane, et quand la question de l’indépendance est devenue la question politique essentielle, le discours nuancé de Podemos a été inaudible. Et Podemos a été également condamné par la droite espagnole pour avoir été trop proche de l’indépendance de la Catalogne, tandis que les nationalistes Catalans de droite l’accusèrent d’être le cheval de Troie du nationalisme espagnol.

Les votes dans toute l’Espagne pour Podemos sont tombés à 14 % fin 2017. En avril 2018, les deux partis rivaux de la droite espagnole ont obtenu ensemble plus de 50 % dans les sondages, et Podemos malgré le soutien des socialistes, à peine 35 %. Bien que la crise politique persiste en Espagne, il semble que la droite espagnole va maintenant dominer la vie politique national indépendamment de la poursuite de la crise Catalane.

L’Espagne se retrouve maintenant à faire face à une réaction conservatrice Thermidorienne, et une bataille politique à mener telle une lutte à mort entre l’ancienne et la nouvelle droite.

Bien que Podemos soit devenu un élément permanent du paysage politique espagnol, ses espoirs de transformation politique sont reportés. La prochaine épreuve majeure des partis politiques en Espagne sera les élections locales de mai 2019, et pour Podemos et ses alliés un test essentiel s’ils veulent conserver les gains de 2015. La perte des fleurons des mairies de Madrid et de Barcelone produirait une grave crise dans Podemos.

C’est un long chemin depuis la vague d’euphorie de 2014 et 2015 pour un changement politique majeur en Espagne.

29 avril 2018 (Brave new europe)