Le récent conflit Israélo-palestinien a fait ressurgir le danger de conflits armés. Tant que la « question » d’une « terre Palestinienne, Indépendante et libre » ne sera pas réglée, les conflits succéderont aux conflits avec toujours le risque d’un embrasement international impliquant les puissances nucléaires ou non, c’est-à-dire une bonne partie de l’Orient, la Russie, la Chine et les Usa et leurs supplétifs européens.

Mais pour les européens, et particulièrement pour la France, quelle que soit l’actualité politique, internationale, brulante ou non, pandémie ou pas, elle va se concentrer bientôt sur les élections allemandes. En effet, les élections au Bundestag, le parlement allemand, et la désignation de la ou du nouveau chancelier(e), vont avoir lieu en Septembre 2021.

18 ans de gestion d’Angela Merkel ont façonné la relation germano-française, et l’Europe, passant – depuis la réunification - d’un équilibre relatif à une montée en puissance de l’Allemagne.

Le postulat des Français, selon lequel Berlin était « une puissance économique, mais un nain politique », s’est complétement inversé, l’Allemagne est devenue « la » puissance principale tant dans la conduite des affaires que dans la politique européenne. « L’Allemagne paiera » se disaient-ils. Or l’Allemagne n’avait pas du tout l’intention de payer la « réconciliation franco-allemande », ni même les frais du « couple franco-allemand ».

Acceptant d’abandonner le DM pour l’euro, Berlin ne le fit, avec l’accord de Mitterrand, qu’à la condition qu’elle puisse continuer à gérer la monnaie européenne comme elle gérait précédemment son DM, en bonne ménagère allemande soucieuse de garantir les retraites de ses administrés vieillissants.

Sa puissance industrielle faisant le reste, elle est devenue le pays le plus puissant d’Europe. Au dépend des autres pays européens ? En 18 ans, la France, le Royaume-Uni, le Portugal, la Finlande, la Grèce, la Roumanie ont perdu beaucoup d’emplois industriels tandis que l’Allemagne en perdait très peu.

Le retour à la réalité s’est révélé amer pour la France.

C’est ainsi que les différents Présidents Français, surtout à partir de Sarkozy, n’ont cessé de se montrer complaisants, et très conciliants avec la renaissance de la puissance allemande. Régulièrement les Français ont vu leurs responsables politiques se rendre, sur le chemin de Canossa, prêter allégeance à Merkel, en matière d’économie, de finances, de social, c’est-à dire de soumission à une politique « libérale », pour répondre aux normes du déficit budgétaire fixé à 3% (là aussi avec la bénédiction de Mitterrand), faisant du « modèle social français » - en l’absence de luttes déterminées, solidaires et massives - un objet de plus en plus vermoulu et sans avenir.

Un dialogue franco-allemand difficile, deux stratégies opposées autour de la question de la Défense Européenne.

Si l’on considère effectivement la question de la sécurité européenne comme la plus importante, avant même la question économique, il vaut mieux connaître les positions des deux acteurs principaux. Or, Au fil des années, et surtout depuis une dizaine d’années, le dialogue franco-allemand, est devenu de plus en plus difficile, essentiellement autour de la question stratégique de la défense.

Beaucoup de choses ont fait bouger l’Allemagne.

Par exemple sa politique en direction de la Russie. Jusque-là plutôt ouverte envers la Russie en raison de sa dépendance au gaz - a réagi à l’annexion de la Crimée, et sa présence en Syrie, en augmentant ses dépenses militaires de 10 à 50 milliards d’euros. Très surprenant pour un pays qui jusque-là plaidait surtout le désarmement – encore culpabilisé par son rôle dans la deuxième guerre mondiale – et un atlantisme sans faille.

Mais le changement structurel qui s’annonce à long terme, dans la politique de défense des Usa, lancé par Trump a remis en cause le « bouclier de l’Otan » pour l’Europe.

L’administration Us, veut augmenter la participation des « alliés » au budget de l’Otan, à hauteur de 2% de leur Pib. Sinon, plus d’Otan/sécurité sur l’Europe. Cette position de Trump pourrait devenir un nouveau paradigme du Capitole, même avec Biden.

Pour affronter tous les « méchants » de ce monde, comme l’Iran et la Corée du Nord avec leur capacité nucléaire, la Chine avec sa puissance économique qui rivalise de plus en plus avec la domination nord-américaine, les Usa ont besoin d’argent, de beaucoup d’argent, s’ils veulent en même temps améliorer leurs infrastructures et le social, qu’ils ont délaissé trop longtemps.

Enfin, un désamour entre les Usa et l’Europe, rend les Allemands fort mal à l’aise. Il ne faut pas oublier qu’à la fin de la 2ème guerre mondiale, l’Allemagne a été réintégrée en Europe sous la houlette des Usa, dont elle a dépendu pour sa reconstruction et pour sa sécurité militaire. Ils l’ont faîte à leur modèle. Elle était leur principal interlocuteur du continent, après les Britanniques.

Le Brexit, départ des Britanniques, « tête de pont des Usa en Europe », a modifié la nature des liens USA/Europe.

Le départ des Britanniques a été diversement apprécié par l’Allemagne et la France. L’Allemagne y perdait un allié libéral qui faisait poids contre la France. Pour la France la réaction a été plutôt du type « bon débarras ». Un adieu à la perfide Albion, sa philosophie ultra libérale et à l’utilisation exagérée de l’Anglais comme langue européenne au dépend du Français.

L’Allemagne a fini par accepter que la cohésion européenne soit d’une importance capitale pour la sécurité et la défense de l’Europe, mais aussi la sienne.

D’où sa nouvelle priorité de commencer à investir les institutions européennes et l’Otan. Finie l’autarcie militaire historique. Par exemple l’Allemagne a pris la tête d’une commission à l’OTAN. Elle veut être aussi présente en Irak, en Syrie, sur les conflits de l’empire. Et elle a aussi décidé de s’engager d’une façon plus ferme face à « la menace russe ». Alors qu’elle a toujours voulu préserver ses relations historiques avec la Russie.

Et si la nouvelle candidate verte à la chancellerie gagne, la Russie risque de voir se dresser devant elle une nouvelle Walkyrie de l’Otan : Annalena Baerbock.

La France s’estime comme le fondement essentiel de la Défense européenne, pour elle-même avec son industrie nucléaire, comme pour l’Europe. Et avec son régime présidentiel elle est à même de répondre rapidement à un conflit où qu’il se trouve.

Mais il ne faut pas se faire d’illusion, la France n’a qu’une indépendance relative. Elle joue aussi au petit supplétif des guerres américaines – sauf Chirac en 2002 dans la guerre des Usa contre l’Irak - : Libye, Afrique du Sahel, etc.., même si elle rêve toujours d’une politique indépendante - certes non plus à la De Gaulle – mais quand même !

La France guerroie un peu partout, préférentiellement en Afrique, sans avoir à consulter le parlement, décision royale du président. Elle joue sur cette aisance et son siège au conseil de l’ONU pour faire comprendre à l’Allemagne que la sécurité européenne ce ne peut être que le bouclier atomique français !

Malgré des engagements bilatéraux avec la France, qui n’ont jamais fonctionné d’une manière idéale, cet engagement nouveau de l’Allemagne peut provoquer des grincements de dents en France. Car l’Allemagne et la France ont des conceptions très différentes en matière de sécurité, de défense nucléaire, ou d’ambition internationale et en industrie de défense. Pour résumer :

Cultures stratégiques :

La France considère l’armée comme un élément important dans « sa boîte à outils ». L’Allemagne, non.

La France a uns stratégie claire et n’a pas peur d’affirmer sa position. L’Allemagne en raison de sa propre histoire durant la deuxième guerre, est sceptique envers la force militaire et la politique de défense.

Ambitions internationales :

La France assure un engagement global et bénéficie d’un siège à l’Onu

L’Allemagne hésite à un engagement international, elle a encore une vision plus eurocentriste.

Industrie de défense :

La France contrôle son industrie de l’armement, y compris privée, elle a une valeur économique claire et surtout une valeur de souveraineté nationale. »

En Allemagne, elle est en grande partie privée. C’est une affaire de business. (*)

D’autre part, en matière de régime politique, les différences sont notoires. En Allemagne la régionalisation en Landers, rend l’exercice de décision militaire plus lent, et le parlement doit approuver la décision. Alors que le système présidentiel de la France lui permet de prendre seul une décision rapide sans en appeler au parlement.

Conclusions

Alors que les perturbations résultant du Brexit sont encore proches, c’est l’inconnu qui va prévaloir pendant quelques mois et années, en Europe. De nouveaux dangers semblent se profiler à l’horizon de cette Europe grand marché libéral, à la démocratie très défaillante envers ses citoyens.

Les élections fédérales allemandes vont avoir lieu en Septembre ; les élections présidentielles françaises en 2022. Quel va être le ou la remplaçante de Merkel ? Le rapport de force au nouveau parlement ? Il est à craindre que le ou la futur(e) remplaçant(e) de Merkel n’ait pas, ou peu d’expérience en matière internationale. Même si la France, est toujours prête à jouer sa carte. C’est une constante historique.

Macron sera-t-il réélu ? Le Pen va-t-elle gravir la marche présidentielle ? Le duo Macron/le Pen reprend toute sa terrible réalité. Même si Macron est de plus en plus détesté par les Français, il est à prévoir que le reflexe anti-Le Pen jouera comme précédemment, en confirmant Macron au deuxième tour, même avec un score d’abstentions élevé. Il y a pénurie en France de candidats crédibles, à droite comme à gauche. On peut dire d’une certaine manière que les Le Pen, père et fille, font les Présidents en France, depuis Chirac en 2002 !

La question difficile du nucléaire militaire reste ouverte. L’Allemagne ne semble pas vouloir accepter - sans conditions - le bouclier nucléaire de la France. Elle penche pour le bouclier américain, même si elle s’inquiète des nouvelles dispositions américaines. D’un autre côté la France accepterait-elle de céder une partie de ce qui fait son poids au niveau international ? C’est-à-dire offrir à l’Allemagne la possibilité d’appuyer sur le bouton déclencheur de l’apocalypse nucléaire ? Ce n’est pas sûr – sans conditions.

Actuellement il n’y a aucun accord prévisible.

L’Allemagne, la France et l’Europe entrent donc dans une longue période complexe.

31 Mai 2021

  • Cf, la Conférence de Claudia Major German institute for International and security affairs, dans la cadre des conférences de la « chaire des grands enjeux stratégiques contemporains » Paris, Sorbonne, 15 mars 2012.