La maison France brûle,
et pourtant chacun des partis politiques trouve que cela ne va pas si mal que cela.

Pour la droite c’est un peu vrai, elle est en voie de reconquête du pouvoir. Elle a dans son ensemble recueilli 8,330 millions de voix (45,3%) et passe de 41 présidences départementales à 67, et surtout 5,100 millions de votants ont voté pour les candidats de «  l’Union de la droite » (27,61%). 
C’est la stratégie d’union avec le centre prônée par Jupé qui l’a emporté. Sarkozy tout d’abord s’y opposa formellement tout en s’empressant par la suite de s’en arroger le bénéfice.  Ce résultat est aussi en partie celui d’un report de voix venant de la gauche pour faire obstacle aux candidats du Front National. Or la tactique de Sarkozy a été celle du « on abandonne le principe républicain », c’est à dire soutenir le candidat le mieux placé contre l’extrême droite, règle maintenue par le PS et une partie de ses électeurs en faveur des candidats de la droite.
Victoire certes, mais avec un petit bémol, les résultats globalisés de « l’union » ne permettent pas de mesurer le score propre de l’UMP comme celui de ses alliés. 

L’autre rendez-vous électoral aura lieu à la fin de l’année 2015, pour les élections régionales. D’ici là il y a une forte chance que  l’UMP se transforme en « Républicains ». Sarkozy veut rénover l’image de son parti et se poser ensuite en candidat plébiscité par le « peuple du rassemblement de la droite », sauf si la justice qui enquête sur les « affaires » en cours,  dans lesquelles il est impliqué, le condamne. Quoiqu’il en soit, la bataille des primaires pour désigner le candidat de la droite aux élections présidentielles risque d’être rude, sachant que Sarkozy est un redoutable compétiteur qui ne reculera devant aucune manipulation même extrême.

Quant au Front National, qui n’a aucune tactique en direction des secteurs, qui à droite, pourraient lui être favorables, il apparaît ainsi que le claironne sa Présidente comme le « premier parti de France» (des votants) avec 22,23%, ces 4 millions de voix qui lui sont fidèles depuis plusieurs années. Non seulement il pérennise son influence mais il vampirise le débat politique français sur ses thèmes xénophobes et racistes avec l’aide d’une presse étrangement complaisante.
Un résultat plutôt terrible pour la « gauche », mais...

Elle rassemble 5,939 millions de voix  (32,12%) et perd 27 présidences départementales, de 57 à 30, c'est-à-dire presque la moitié de son influence.

Bien sûr Le Ps rend « l’autre gauche » grandement responsable de sa défaite par l’« éparpillement » des voix et le refus d’alliances (bien qu’il ait envisagé lui-même un désastre et de manière plus importante encore). 
Ouf, dit-il, « c’est moins grave que prévu », analyse officielle qui n’abuse aucun citoyen.  Et Valls et le Président de dire ensemble « on vous a compris » tout en annonçant la «poursuite des réformes », c'est-à-dire : l’austérité, le chômage, la baisse du niveau de vie, la précarité pour la partie fragile de la population : jeunes non qualifiés, retraités, « couches populaires » et même « moyennes » en déshérence. Et de se repositionner immédiatement pour les prochaines élections régionales à la fin de l’année avec toujours en point de mire les Présidentielles de 2017. 

Pour peu que face aux « Républicains » de Sarkozy, le Ps, Valls en a déjà émis le vœu, abandonne la référence « socialiste », pour celle de « démocrate», nous aurons une vie politique à l’américaine. Deux grands partis aussi déconsidérés l’un que l’autre mais dont l’objectif politique sera simplement l’alternance (comme en Grèce, en Italie, en Espagne avec les résultats que l’on sait), pour finir peut-être aussi par former des coalitions au centre à l’allemande comme certains en émettent le souhait en France. 

Echapper à cela, nécessiterait que les forces politiques de l’ «  Autre gauche » soient capables de taire leurs divergences pour s’unir sur des projets ouvrant une alternative concrète.  Or elle souffre de tactiques d’alliances contradictoires et donc difficiles à comprendre, là  avec le Ps, ailleurs avec certains Verts, le tout pour des résultats peu probants : 1,44% pour le Front de gauche, 0,54% pour le PCF et 0,16% d’Europe Ecologie les Verts et les « divers Gauche » à 4,48%. 
Il est vrai que  la proclamation des résultats par le ministère de l’Intérieur a suscité l’ire du Front de Gauche qui récuse les chiffres et s’approprie ceux regroupés sous la dénomination de « divers gauche ». Il annonce donc un score de 9,4 % au niveau national pour lui ( ?) et souligne que, dans les seuls cantons où il se présente avec EELV (Europe Ecologie Les Verts) soit 448 cantons (sur 2054) le score moyen aurait été de 13,6 %. 
En fait cela permet au Front de Gauche de se joindre à l’unisson : « ça ne va pas si mal que cela ». On peut toutefois juger ces résultats à l’aune des anciennes déclarations de JL Mélenchon qui disait être en voie de passer devant le Ps, alors qu’il n’est que la quatrième force politique du pays, loin derrière… le Front National. 

Pour comprendre ces résultats malgré tout attendus de l’ « autre gauche » peut-être faut-il aller voir du côté d’un nouveau venu  sur la « scène politique » : le M’PEP  (Mouvement politique d’émancipation populaire) fondé en 2008 est « composé de militants et d’anciens militants de partis de gauche, d’associations, de mouvements alter mondialistes, ou de syndicats ayant mené la bataille victorieuse du référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005 » (pour le Non). Anti « Europe des marchés », pour une sortie de l’euro, et une 6ème république, il critique le Front de Gauche qui veut aménager l’Europe et l’Euro, Front de Gauche, qui a par ailleurs refusé l’adhésion du M’PEP. 

En décembre 2014, il  se transforme en parti et taraudé par l’ambition électoraliste, il a présenté des candidats dans « 3 cantons » pour tester son audience (sic) : un canton rural (Courseulles-sur-Mer, Calvados), Un canton industriel (Mérignac 2, Gironde), un canton urbain (Bordeaux 5, Gironde) ». 

Quels sont ses commentaires : 
« Les résultats ont dépassé nos espérances avec une moyenne de 1,42% », « mais : C’est presque autant que : Eva Joly (EELV) à la présidentielle 2012 (2,31%), Nicolas Dupont-Aignan (DLF) à la présidentielle 2012 (1,79%), Marie-George Buffet (PCF) à la présidentielle 2007 (1,93%), Dominique Voynet (EELV à la présidentielle 2007 (1,57% » et «C’est mieux que : Philippe Poutou (NPA) à la présidentielle 2012 (1,15%), José Bové à la présidentielle 2007 (1,32%), Arlette Laguiller (LO) à la présidentielle 2007 (1,33%) ». 

Sa conclusion :  
« Le M'PEP apparaît ainsi comme une force politique en pleine ascension, un outil qu’il faut renforcer le plus vite possible pour contribuer à déverrouiller le système politique français. Devant le vide sidéral actuel, c’est maintenant qu’il faut adhérer au M'PEP ! ». 

La comparaison des « Mais » et des  «  Mieux que » ressemble à une manipulation envers des militants qui pourraient être peu aguerris ou prompts à l’enthousiasme ?  En effet comment peut-il comparer les résultats de 3 cantons à ceux d’élections nationales, c'est-à-dire à une échelle de voix tout à fait différente ! Ce n’est par certain qu’il faille « adhérer maintenant au M’PEP » !

Quant au NPA de Besancenot il reste figé dans une politique de « luttes » tout azimut sans échos réels et ramené à des scores quasi nuls, bien inférieurs à ceux qu’il avait connu. Le NPA a le « blues ». Dans la dernière livraison de la revue « contre temps » « La Gauche état de crise » (n°24 janvier 2015), Antoine Artous et Francis Sitel se demandent « Qu’est  donc la Ligue devenue ? ». Nostalgie, mais sans critique du côté de leur conception de la « construction du parti révolutionnaire »  comme absolu, et sur le rôle des « avant-gardes » qui se veulent conduire les masses ? 

Leçons de cette élection et des prochaines ?

a) L’ « abstention », voilà une fois de plus la principale leçon de ces élections. Le fait qu’un électeur sur deux n’a pas voté alors que les structures cantonales et départementales sont au plus près des citoyens, identifiables, accessibles. Et que cette voix s’est exprimée très majoritairement pour les candidats de la droite et de l’extrême droite, le « petit peuple de gauche » s’étant semble-t-il abstenu.

b) Un grand nombre de citoyens de sensibilité gauche ne s’est pas rendu aux urnes pour sanctionner la politique du gouvernement qui continue à favoriser les entreprises (et la rente du capital) au détriment des salariés et des sans emplois qui ont pour seul horizon la précarité.  
80% des embauches sont des embauches à durée déterminée et le gouvernement envisage de flexibiliser un peu plus le travail pour répondre aux vœux d’un patronat qui milite pour la suppression du contrat de travail à durée indéterminée, c'est-à-dire, pour libéraliser les licenciements sans indemnités. 
Où est le million d’emplois, en contre partie des 40 milliards versés par le gouvernement au patronat pour la « reprise de la croissance » ?  Le chômage ne cesse d’augmenter, tout comme les fusions/acquisitions d’entreprises signe d’une forte reprise de la concentration du capital, ainsi que « l’externalisation » de la production et non seulement de l’industrie mais aussi des services et de la « matière grise », la recherche et développement !

c) Certes, ces élections avaient pour particularité de se faire dans le cadre d’une réorganisation administrative qui a réduit les cantons de 4035 à 2054, pour des raisons d’économie sur les dépenses de l’Etat.  Elle doit se poursuivre par la disparition des départements à la fin 2015, (sauf des départements ruraux), et une réduction du nombre de régions de 22 à 13.  Appeler les électeurs à des élections dont ni les citoyens ni les élus eux-mêmes ne sont pas vraiment au courant de leurs nouvelles fonctions qui vont être refondées, c’est un peu du n’importe quoi, du « je m’en foutiste ».

 d) L’organisation en régions conforme au modèle allemand se traduit pour les Etats et les citoyens, et surtout pour la France « une et indivisible », par une dilution de souveraineté qui la soumet ainsi à l’administration technocrate européenne, une dissolution agissante du lien entre le citoyen et l’Etat. 
D’autre part, la « réforme » - décentralisation /concentration des pouvoirs - ne serait-elle  pas indirectement le moyen de renforcer les « Baronnies » républicaines déjà bien en place comme celle de Martine Aubry dans le Nord, Gérard Collomb pour la région Rhône Alpes, Rebsamen à Dijon, tous inamovibles, etc. ? « Baronnies » qui dans certains cas comme dans celui du défunt Georges Frêche, l’édile gourou de Montpellier, sont une caricature de « démocratie-clientélisme ». Bref un redécoupage du pays qui aux yeux des citoyens semble favoriser les « copains », sauf qu’il est probable que ce soient les «coquins » de la droite qui vont s’en emparer lors des élections régionales fin 2015 et qui applaudissent vivement cette réforme.

e) Enfin, ces élections marquent le glas de la génération Mitterrand dont le « socialisme » n’est qu’une gestion réformiste et libérale de l’Etat, accompagnant et facilitant un rapport de force qui, ces trente dernières années, s’est inversé au profit exclusif du capitalisme financier qui oriente les Etats vers le libéralisme économique.
Cette « gauche » là a fait preuve partout en Europe de son obsolescence et  «l’autre gauche » semble suivre le même chemin. Pourtant, l’hétérogénéité de l’ « autre gauche », devrait être sa force. Elle représente dans sa diversité la variété des opinions politiques à gauche qui pourraient se rassembler à un moment donné sur un projet politique commun. Mais, face à un capitalisme financier se caractérisant par une nouvelle phase de concentration, elle reste marquée toujours par un effritement continuel, divisée en petites chapelles autour de  « leaders » qui en appellent au « peuple » mais qui n’ont, en fait, d’autre stratégie alternative que la défense des « couches moyennes » avec sons corolaire  l’abandon du « prolétariat», (comme vient de l’écrire JL Mélenchon), qui, lui, préfère s’abstenir. Cela est très dangereux pour l’avenir de la «démocratie » car l’abstention n’offre aucune alternative de changement. 

- Les « socialistes affligés » veulent rétablir la « social-démocratie » à l’aide d’un «Keynésianisme social et écologique ». Toutefois associer « socialisme » et « affliction » n’est pas très engageant pour convaincre les masses de la nécessité du « socialisme ». D’autre part, pourquoi en revenir à la « social-démocratie » ?  A celle refondée en 1959 (congrès du Bad Godesberg) qui a renoncé au  « socialisme » comme projet émancipateur ? 
La social-démocratie est peut-être arrivée à la fin de son histoire malgré quelques succès qui lui sont dus dans la construction de l’Etat providence et ce pendant une trentaine d’années après la deuxième guerre mondiale. Aujourd’hui, le réformisme de la « conquête graduelle et démocratique de l’Etat bourgeois », échoue sur les rivages de la soumission aux « marchés », c’est à dire aux forces du capitalisme financier. 

- Le Parti communiste invite « tous ses militant-e-s à reprendre sans tarder le débat et l'action avec les Français sur les solutions nouvelles à apporter aux exigences du pays ». L’action pour l’action, expression là aussi d’une  absence d’un projet politique refondateur de confrontation avec le capitalisme ? Il est vrai que « l’idéal révolutionnaire communiste » a été dénaturé par le stalinisme, et tant que la critique n’est pas achevée, le mouvement « communiste » ne pourra se régénérer. 

- Le Front de Gauche avec JL Mélenchon propose un « Mouvement pour la 6ème République », le « M6r », à l’image de Podemos, dit-il.  Clémentine Autain, (elle aussi du Front de Gauche) veut montrer sa différence : elle appelle « à la création d’un « Syriza à la française, seul moyen de combattre le Front national ». Syriza n’aurait donc pour objectif que de lutter contre l’Aube dorée ? Est-ce la réponse adaptée à la situation actuelle ? Une 6ème République en l’absence précisément des masses elles-mêmes ?
Un Français sur deux n’a voté ni pour la droite, ni la pour gauche, ni pour l’extrême droite, et ni même pour l’extrême gauche dont c’est l’échec total. Pourquoi est-ce le Front National qui monopolise, au-delà de son projet raciste, le refus des politiques de « l’establishment » de droite et de gauche, et de « l’autre gauche » ? Ne faut-il pas avant tout,  pour lutter contre le Front National revenir à l’analyse du renouveau capitaliste, « destruction/reconstruction », certes, mais toujours capitalisme et à celle des nouveaux reports de production ?  Retrouver une élaboration collective qui rassemble toutes les composantes de la « gauche » pour un nouveau projet politique même minimal mais clairement anti capitaliste qui permet de renouer  avec le « peuple » ? 
Il n’y a pas d’autre alternative possible que celle de reconstruire la résistance, la lutte clairement anticapitaliste et internationaliste. Pour une République socialiste autogestionnaire, qui ne s’arrête pas aux portes du « palais d’hiver », mais dont le but ultime est l’instauration d’une société, dans laquelle chacun (e) sera maître et acteur/actrice,  de sa vie sociale et politique, conscient(e)  de l’intérêt collectif, agissant à tous les niveaux de la société, par le biais d’ « associations de citoyens (es) libres et égaux »,  propriétaires des moyens de production et des « biens communs ». Cela se fera-t-il sans violence ? On peut en douter tant que l’armée, la police et la justice seront aux mains des Etats.



Avril-Mai l 2015