le 10 mars 2021

À croire le bruit de fond de la société contem­po­raine, la lutte des clas­ses et l’émancipation des tra­vailleurs seraient à remi­ser dans les fameu­ses « pou­bel­les de l’his­toire ». On concède, du bout des lèvres, que demeu­rent des oppo­si­tions de clas­ses, mais le sujet du XXIe siècle n’est plus le pro­lé­ta­riat, rem­placé désor­mais par toutes les « sec­tions » des vic­ti­mes des « oppres­sions » de genre ou de la racia­li­sa­tion, sans oublier la souf­france des bêtes. La culture ne serait plus une arme pour pro­mou­voir l’avè­ne­ment d’une société plus humaine. Il fau­drait y voir sur­tout les traces d’un passé à « décons­truire » ou à effa­cer pure­ment et sim­ple­ment. La laï­cité et la répu­bli­que loin d’être les bases de toute émancipation seraient deve­nues des armes « racis­tes ». Les notions de droite et de gauche sem­blent com­plè­te­ment brouillées : la race et la reven­di­ca­tion de la cen­sure sont pas­sées à gauche, et on laisse à la droite la plus radi­cale l’étendard de la laï­cité et de la raison. À s’en tenir aux dis­cours qui occu­pent de plus en plus médias et uni­ver­si­tés, nous voilà pro­pul­sés dans un monde de fous.

Pourtant, la réa­lité sociale est loin de ces dis­cours hal­lu­ci­nés. Les socié­tés domi­nées par le mode de pro­duc­tion capi­ta­liste sont confron­tées à des crises pro­fon­des qui obs­truent l’hori­zon his­to­ri­que. L’accu­mu­la­tion du capi­tal, sous forme de capi­tal fictif, se pour­suit à un rythme effréné et détruit toutes les com­mu­nau­tés humai­nes, rédui­sant les rap­ports entre indi­vi­dus aux seuls rap­ports mar­chands. L’impé­ra­tif de la mobi­lité géné­ra­li­sée et de l’inter­chan­gea­bi­lité impose sa loi et brise les liens de soli­da­rité et de combat tissés au cours des décen­nies. Le pré­ca­riat géné­ra­lisé, tel est le destin promis à la plus grande partie de l’huma­nité sur une pla­nète rava­gée par la surex­ploi­ta­tion des res­sour­ces natu­rel­les mena­cée d’impor­tants bou­le­ver­se­ments cli­ma­ti­ques.
Pendant que les États-Unis et de nom­breux autres pays parmi les nou­vel­les gran­des puis­san­ces adop­tent des bud­gets mili­tai­res colos­saux et que le contrôle des humains par tous les moyens ne cesse de se déve­lop­per, la démo­cra­tie est en pro­fonde régres­sion, der­rière le plu­ra­lisme de façade de la société numé­ri­que. À la fin du siècle der­nier, cer­tains essayis­tes et hommes poli­ti­ques avaient pu se sentir auto­ri­sés à annon­cer une nou­velle ère de paix, de démo­cra­tie et de liberté sans fron­tiè­res. C’est exac­te­ment l’inverse qui se pro­duit sous nos yeux. La pan­dé­mie due au SARS-Cov2 est l’élément contin­gent qui cris­tal­lise les ten­dan­ces pro­fon­des de l’époque. La « mise sous cloche » de nations entiè­res, l’abro­ga­tion sidé­rante non seu­le­ment des liber­tés publi­ques, mais aussi des liber­tés per­son­nel­les élémentaires dans les vieux pays démo­cra­ti­ques, le fichage et le contrôle sys­té­ma­ti­que de tous les citoyens, autant d’éléments qui confir­ment que la société domi­née par le mode de pro­duc­tion capi­ta­liste contient en son sein les plus puis­san­tes ten­dan­ces vers le tota­li­ta­risme, même si le tota­li­ta­risme du XXIe siècle sera sûre­ment très dif­fé­rent de celui du XXe siècle.

Pour appré­hen­der cette situa­tion, nous dis­po­sons d’outils théo­ri­ques et métho­do­lo­gi­ques, ceux que nous a lais­sés la tra­di­tion de l’école de Marx, ceux de la « théo­rie cri­ti­que » (école de Francfort) ou ceux des scien­ces socia­les qui refu­sent d’être les alibis idéo­lo­gi­ques des clas­ses domi­nan­tes. Manquent les lieux qui per­met­tent de les mettre en œuvre, sans être soumis à des impé­ra­tifs com­mer­ciaux, à des contrain­tes ins­ti­tu­tion­nel­les fortes. Il est aussi néces­saire de donner le temps de la réflexion, contre la presse de la « turbo-pensée » de l’inter­net.

Tel est le sens de la revue que nous pro­po­sons de lancer : une revue impri­mée, à l’ancienne, pro­po­sée par un comité éditorial un col­lec­tif de citoyens et de mili­tants, de phi­lo­so­phes, de socio­lo­gues, d’économistes, de jour­na­lis­tes, de spé­cia­lis­tes ou de non-spé­cia­lis­tes, venus d’hori­zons poli­ti­ques divers mais par­ta­geant deux convic­tions com­mu­nes : la défense de la démo­cra­tie et la volonté de se placer du côté des tra­vailleurs et d’œuvrer pour une société plus décente. L’objec­tif pre­mier de cette revue semes­trielle est d’aider à com­pren­dre sous tous ses aspects le monde contem­po­rain et les pro­fon­des trans­for­ma­tions économiques, socia­les et cultu­rel­les du der­nier demi-siècle. Mais il s’agira aussi d’explo­rer l’avenir, de pro­po­ser des pistes pour un monde meilleur et, à défaut, pour éviter la catas­tro­phe. Bref un renou­veau de la pensée socia­liste, débar­ras­sée des sco­ries des décen­nies pas­sées, tant est-il que nous sommes inti­me­ment per­sua­dés que la for­mule de Rosa Luxemburg, « socia­lisme ou bar­ba­rie », est plus actuelle que jamais.

Signataires

 

Tony ANDREANI
Isabelle BARBERIS
Ludivine BENARD
Omar BOURABA
Antoine BOURGE
Denis COLLIN
Jacques COTTA
Jean-Louis ERNIS
François FERRETTE
Marie-Pierre FRONDZIAK
Diego FUSARO
Gabriel GALICE
Jean-Pierre GARNIER
Raymond MAILLARD
Jérôme MAUCOURANT
René MERLE
Michel PAROLINI
Danielle RIVA

Sites :

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Nation-republique-sociale.fr

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