Une longue histoire depuis 1947/48. Un soutien exclusif aux dépends de la population palestinienne, une conquête coloniale sans fin des terres palestiniennes, des accords de Paix jamais tenus (Oslo 1993), des assassinats ciblés de dirigeants palestiniens ou d’hommes politiques Israéliens prêts à négocier et à reconnaître les Palestiniens (Ytzhak Rabin, 1995, assassiné par un rabbin), pour en arriver in fine au gouvernement criminel que Netanyahou partage avec une extrême droite religieuse aux relents racistes, et une guerre « d’éradication » contre un peuple : les Palestiniens. Face aujourd’hui au Hamas musulman, l’Islam ayant remplacé la lutte de l’OLP laïc d’Arafat.

Après la mort d’Arafat et la sincérité de sa lutte durant sa vie pour son peuple, (2004), l’OLP. de Mahmoud Abbas 90 ans et qui ne veut pas lâcher un pouvoir contesté par les autres factions palestiniennes, a failli à sa tâche : les Palestiniens subissent la non reconnaissance d’un un pays viable et le contrôle israélien. 

Bref, la « question palestinienne » est une question sans réponses autres que les guerres de Tsahal - une armée moderne et très bien équipées par les Usa - contre les intifada et leurs jets de pierres par des adolescents palestiniens. Chaque génération de jeunes a son intifada. Elles reviennent et reviendront sur le devant de l’histoire tant qu’Israël et « l’occident » refusent de leur accorder la citoyenneté palestinienne : un Etat enfin constitué. Comme l’ONU (1947/1948), l’a fait pour les Israéliens à la fin de la deuxième guerre mondiale, après l’holocauste des Juifs qui s’est déroulé en Europe ! Israël a vu le jour contre le vote des pays Arabes présents. Et la guerre n’a jamais cessé.

C’est ainsi que les Américains – peuple de la Bible – se réclament Frères des Israéliens de ceux qui ont écrit cette Bible. « L’exceptionnalisme américain reflète l’exceptionnalisme israélien. La croyance que l’Amérique, ordonnée par Dieu pour diriger le monde, reproduit la vision messianique d’Israël d’elle-même » (Chris Hedges, Comsortium news, 2 Juin 2026).

C’est peut-être là, tout simplement, le résultat de la civilisation du chewing-gum et du folklore yankee. Et quand ce folklore prend ces trente dernières années une dimension meurtrière, il devient une guerre à outrance.

Derrière le folklore, une réalité : Israël – vue côté arabe - a la malédiction d’être la tête de pont des « occidentaux » dans une région arabe qui possède d’immenses réserves de pétrole. C’est donc un point géostratégique de contrôle « occidental » sur ce monde arabe toujours incertain et aussi une étape entre les Usa et la Chine pour une guerre prévisible.

Le 7 Octobre 2023, 1205 Israéliens tués dans l’attaque du Hamas et 251 otages enlevés, certains ont été libérés, d’autres sont morts lors des actions de représailles de l’armée Israéliennes, il en resterait un nombre indéterminé.

 

Actuellement du côté Palestinien (Les crises, février 2025 : 61700 morts (50% de civils), 17881 enfants (41 % des morts), 111600 blessés, 2 millions de déplacés, 14200 personnes piégées dans les décombres, de très nombreux disparus, la famine organisée par Tsahal, etc....

Aujourd’hui donc les Palestiniens doivent combattre ou partir pour sauver leur vie. Selon l’extrême droite israélienne raciste : « Les Palestiniens sont des arabes, donc ils doivent partir vers les pays Arabes ». D’une part pourquoi les Palestiniens devraient-ils quitter leur terre et la laisser aux Israéliens ? D’autre part, où pourraient-ils aller ? sur près de 10 millions de Palestiniens, il y a entre 6/7 millions de réfugiés.

Les implantations sont nombreuses dans tout le proche Orient. En Jordanie, ou le roi de Jordanie ne plaisante pas avec la neutralité les camps palestiniens (guerre civile Septembre noir en 1970). L’Egypte depuis la guerre des 6 jours en 1967 - qu’elle a perdu contre la coalition israélo-franco-britannique - ne veut pas d’un conflit avec Israël. Le Liban envahi a plusieurs reprises par l’OLP et les Israéliens et en déliquescence et subit actuellement les bombardements israéliens malgré un cessez le feu récent. La Syrie abrite déjà de nombreux camps de réfugiés et la dernière guerre avec la prise du pouvoir par un ancien dirigeant d’Al Qaïda, soutenu et entrainé par la Turquie (les Frères Musulmans) et les Usa, n’est pas un endroit idéal pour se reconstruire en paix ! Déjà de nombreux alaouites ont été liquidés malgré les engagements.

Ailleurs ? Aucun dirigeant arabe ne veut des Palestiniens aussi parce qu’ils considèrent que la Palestine est la terre des Palestiniens.

Donc retour à la case départ. L’Orient proche est une bouillotte qui ne peux éclater à tout moment..

Reste une seule solution : le droit des Palestiniens à un Etat !

Horrifié par les destructions et les tueries surtout d’enfants, le monde entier semble s’être emparé du soutien aux Palestiniens, et refuse l’extermination du peuple palestinien, les étudiants occupent les facs, les manifestations de plus en plus impressionnantes se déroulent ici et là dans les grandes villes fédérées dans un soutien total aux Palestiniens.

148 pays reconnaissent Gaza. En avril 2024, les Usa ont imposé leur véto à une adhésion pleine et entière de la Palestine aux Nations Unies. Et ils viennent encore de refuser une proposition de cessez-le feu de l’ONU.

Et la France le « pays des libertés » ? Elle est seule à accueillir en Europe la plus grosse population de près 500000 juifs, pour une population arabo-musulmane de 5 millions ! Il est vrai que la tension entre les deux comités peut dégénérer.

Pour éviter la « guerre dans les banlieues », Macron propose une reconnaissance d’un Etat Palestinien si les pays Arabes acceptent de reconnaître l’existence d’Israël ! Ce qui n’est pas dans l’intérêt des dirigeants arabes. Une fin de non-recevoir !

 

 

De la Nakba à Gaza : poésie et résistance en Palestine

Par Meryem Belkaïd

Avec son œuvre poétique à valeur universelle, Mahmoud Darwish (1941-2008) est devenu le chanteur de la résistance palestinienne. Mais la poésie palestinienne englobe une multiplicité d’aspects, de styles et de voix. De la Nakba de 1948 à Gaza aujourd’hui, plusieurs générations de femmes et d’hommes ont écrit sur un avenir de liberté et d’indépendance.

Naplouse, Palestine, le 29 mars 2021. La poétesse Fadwa Tuqan avec un vers de l’un de ses poèmes qui se lit comme suit : « Il me suffit de rester / dans l’étreinte de mon pays / d’être proche de lui, / serré, comme une poignée / de poussière / une brindille de pelouse / une fleur ».

À partir de 1948, la poésie s’est imposée comme le genre littéraire par excellence en Palestine occupée, non seulement en raison du lien symbolique des écrivains palestiniens avec une forme d’expression ancienne et populaire dans le monde arabe, mais aussi comme un acte de résistance aux règles de l’occupation israélienne après celles du mandat britannique en Palestine (1917-1948). Face aux mesures répressives des forces coloniales, la poésie, plus facile à transmettre et à retenir, dispose de plus d’outils que les autres genres littéraires pour échapper aux mailles de la censure.

C’est surtout à travers de véritables festivals de poésie que la première génération de poètes post-1948 a réussi à toucher un large public resté en Palestine. Parmi les auteurs qui participent aux différents festivals, il y a les grands noms de la poésie palestinienne de cette génération : Tawfiq Zayyad (1929-1994), Samih al-Qasim (1939-2014). Mahmoud Darwish (1941-2008), Salim Gubran (1941-2011) et Rashid Hussein (1936-1977). Ayant grandi dans les années qui ont suivi la Nakba de 1948, ces poètes sont presque tous d’origine prolétarienne, engagés dans l’amélioration des conditions de vie des ouvriers et des paysans. Un engagement social et politique qui fait de la poésie palestinienne un genre traditionnellement de gauche.

La formation de la plupart de ces poètes se fait en arabe ou en hébreu, en Palestine occupée ou à l’étranger. Seule la poète et essayiste autodidacte Fadwa Tuqan (1917-2003) a commencé à écrire de la poésie avec son frère Ibrahim Tuqan (1905-1941), également poète. Beaucoup enseignent dans des écoles gérées par les autorités israéliennes, des institutions qui, comme les festivals de poésie ou d’autres événements publics tels que les mariages et les fêtes religieuses, sont étroitement contrôlées par les services de sécurité coloniaux, qui cherchent à contenir le nationalisme palestinien.

L’œuvre poétique de ces auteurs joue un rôle important dans la production et la diffusion d’idées de grande valeur politique. Leur participation aux festivals devient un geste de résistance. Ecrits la plupart du temps dans le respect des codes de la prosodie arabe classique, leurs poèmes, faciles à chanter et à retenir, sont récités devant un large public, coupé du reste du monde arabe et des Palestiniens contraints à l’exil, traumatisés par les massacres commis par l’armée israélienne. Leurs poèmes expriment le plus souvent des espoirs révolutionnaires et des rêves de liberté et d’indépendance, abordant également des thèmes plus forts, liés au sentiment de dépossession ou à la violence physique et symbolique subie.

C’est au cours des différents festivals que se développe le concept de résistance, de sumud ou d’esprit de persévérance face à l’adversité, un concept qui devient un thème central de la poésie palestinienne notamment dans l’œuvre de Tawfik Zayyad avec le célèbre poème Hunā bāqūn « Nous resterons ici », dont cet extrait résonne comme un manifeste politique et poétique :


Ici nous resterons

Gardiens de l’ombre des orangers et des oliviers
Si nous avons soif nous presserons les pierres
Nous mangerons de la terre si nous avons faim mais nous ne partirons pas !
Ici nous avons un passé un présent et un avenir
1

(dans The Tent Generation, Palestinian Poems, Selected, introduced and translated by Mohammed Sawaie, Banipal Books, Londres, 2022)

Pour avoir participé à des festivals, plusieurs auteurs comme Tawfik Zayyad et Hanna Ibrahim (1927) ont été arrêtés, mis en prison ou assignés à résidence. Mais ils ne renoncent pas à composer des vers, exprimant toute leur colère et leur indignation. C’est ce que démontrent ces vers du poète charismatique de la résistance Rashid Hussein, que Mahmoud Darwish surnommait Najm ou la star, à qui l’écrivain et critique littéraire Edward Said rend également un hommage sincère dans l’introduction de son livre sur la Palestine. (Edward Saïd, la question palestinienne, Actes Sud 2010)

Je suis venu ici
sans passeport
pour me rebeller contre vous
, maintenant massacrez-moi,
peut-être qu’alors j’aurai l’impression de mourir
sans passeport. (Rashid Hussein, Al-Amal al-shiriyya (Œuvres poétiques complètes), Kuli Shay’, 2004.)

 

Au fil du temps, certains poèmes sont devenus des chansons populaires, connues de tous en Palestine occupée et dans le monde entier, comme celle intitulée Carte d’identité, composée par Mahmoud Darwish, en 1964 :

Écrire!
Je suis arabe Carte d’identité
numéro cinquante mille J’ai
huit enfants
et le neuvième naîtra après l’été
Cela vous met-il en colère ?
(Carte d’identité)

 

Jusque dans les années 70, les anthologies étaient très rares5 et des recueils imprimés et ne représentent, selon le chercheur Fahd Abu Khadra, qu’une petite partie des poèmes composés et publiés entre 1948 et 1958. Certains poètes utilisent les organes de presse des partis politiques pour diffuser leurs écrits. Le Parti ouvrier unifié (Mapam), en effet, soutient et finance la revue El Fajr (« L’Aube »), fondée en 1958, qui compte parmi ses rédacteurs le poète Rashid Hussein. Mais après diverses attaques et tentatives de censure, le magazine est interdit en 1962.

Des membres du Parti communiste d’Israël (connu à l’origine sous le nom de Rakah) ont relancé en 1948 le magazine Al-Ittihad (L’Union), fondé en 1944, à Haïfa, par un courant du Parti communiste. À partir de 1948, Al-Ittihad a donné la parole à d’importants poètes tels que Rashid Hussein, Emil Habibi (1922-1996), Hanna Abu Hanna (1928-2022). Ces magazines jouent un rôle crucial dans la cause palestinienne en devenant le porte-parole d’une poésie de l’engagement et de la lutte. Longtemps soupçonné de collaborer avec les forces coloniales pour le simple fait d’être resté en Palestine, c’est cependant Ghassan Kanafani (1936-1972), écrivain et intellectuel politique palestinien, qui a donné à ces auteurs la place qu’ils méritaient, en inventant le terme de « littérature de résistance ».. Une littérature considérée par certains plus comme une littérature « engagée » que comme une littérature de lutte, que le poète syrien Adonis (1930-) limite, à notre avis à tort, à la lutte armée.

Une poésie qui est souvent critiquée pour être plus politique que « littéraire », comme si un aspect excluait l’autre. C’est Mahmud Darwish lui-même qui éclaire cette question :

Mais je sais aussi, quand je pense à ceux qui critiquent la « poésie politique », qu’il y a des choses pires comme le mépris excessif de la politique, la surdité aux questions posées par la réalité historique, ou le refus de participer implicitement à l’entreprise de l’espoir. (Mahmud Darwish, La terre nous est étroite et autres poèmes)

Enfin, il est important de souligner que les poèmes de cette période évoquent non seulement la Palestine et sa lutte pour l’indépendance, mais aussi d’autres causes de la lutte anticoloniale, en particulier celle du peuple algérien ou des Indiens d’Amérique. Dans un poème écrit en 1970, l’écrivain et traducteur Salem Jubran (1941-2011) met en cause Jean-Paul Sartre, qui s’est rangé du côté de la cause anticolonialiste algérienne, mais est resté silencieux sur la colonisation de la Palestine.  (Orient XXI.info/lu-vu-entendu-/de-gaulle-a-macron) :

 

À JEAN-PAUL SARTRE
Si un enfant était tué et que ses assassins jetaient son corps dans
la boue, n’éprouveriez-vous
pas de la colère ? Que diriez-vous ?
Je suis un fils de la Palestine,
je meurs chaque année,
je suis tué tous les jours,
toutes les heures.
Allez, regardez attentivement la variété de la méchanceté,
regardez chaque photo, chaque image
, la moins horrible est celle de mon sang qui coule.
Dites quelque chose :
Pourquoi cette indifférence soudaine ?
Alors, qu’est-ce que c’est, n’a-t-il rien à dire ?

(The Tent Generation, Palestinian Poems, Mohammed Sawaie)

Une autre figure souvent évoquée est celle de Patrice Lumumba à qui un hommage est rendu après son assassinat par les forces coloniales belges. C’est encore Rashid Hussein qui récite ces vers lors d’un festival de poésie :

L’Afrique se noie dans le sang, la colère l’assaillant, Il n’a pas le temps de pleurer le meurtre d’un prophète, Patrice est mort... Où est sa flamme ardente ?... Elle s’est éteinte, mais elle a illuminé les ténèbres de l’Évangile. (Rashid Hussein, al- amalal – shiriyya, euvres poétiques complétes, Kuli Shay 2004)

 

Cultiver l’espérance et renouveler la lutte. La poésie des nouvelles générations

Les générations de nouveaux poètes qui ont succédé à celle de 48 et qui évoluent aujourd’hui dans l’espace littéraire et poétique palestinien, ont donné une continuité aux thèmes de la résistance et de la lutte pour la libération, avec un nouveau souffle politique. Avec la succession des guerres, l’aggravation de la situation en Palestine, la persistance des camps de réfugiés et la colonisation – en violation des résolutions de l’ONU et du droit international – les thèmes que l’on retrouve dans les poèmes d’aujourd’hui abordent la situation insupportable de tous les Palestiniens, où qu’ils se trouvent. Entre dépossession, exil forcé, conditions précaires et inhumaines dans les camps de réfugiés, arrestations arbitraires, massacres, faim, mort, douleur, les paroles cultivent aussi l’espoir, faisant écho au célèbre poème de Mahmud Darwish de 1986, And We Love Life :


Et nous aimons la vie
si nous trouvons le moyen de la vivre.
Nous dansons entre deux martyrs,
élevant un minaret ou des palmiers parmi les violettes
.
(la yterre nous est étroite et autres poémes)

 

Bien que certains thèmes soient récurrents, ils prennent une nouvelle dimension, notamment au sein de la diaspora palestinienne vivant en Amérique du Nord, qui écrit en anglais et s’inscrit dans les nouvelles luttes internationales décoloniales et écologiques. Un poème encore peu connu en Europe.

Parmi les voix les plus connues de la poésie contemporaine de la diaspora palestinienne, il y a Rafeef Ziadeh (1979) qui, en 2011, en réponse à un journaliste qui lui avait demandé d’expliquer pourquoi les Palestiniens enseignaient la haine à leurs enfants, a composé un poème intitulé We teach life, sir, le récitant à Londres dans une vidéo qui allait devenir très populaire :

Aujourd’hui, mon corps était un massacre retransmis à la télévision.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre qui devait tenir dans des slogans et un nombre limité de mots.
Aujourd’hui, mon corps était un massacre télévisé qui devait tenir dans des slogans et un nombre limité de mots pleins de statistiques pour répondre avec des réponses réfléchies.
C’est ainsi que j’ai perfectionné mon anglais et appris les résolutions de l’ONU.
Pourtant, il m’a demandé : « Mme Ziadah, ne pensez-vous pas que tout serait résolu si vous arrêtiez d’enseigner autant de haine à vos enfants ? »
Pause.
Je cherche en moi-même la force d’être patient, mais la patience n’est pas exactement ce que j’ai sur le bout de la langue lorsque les bombes tombent sur Gaza.
La patience vient de me quitter.
Pause.
Sourire.
Nous enseignons la vie, monsieur.
Rafeef n’oublie pas de sourire...
Pause.
Nous enseignons la vie, monsieur.

(Le poème ainsi que d’autres a donné lieu à un album de poésie déclamé, intitulé We Teach life, Sir, 2015)

 

Le poème réserve également la critique à l’Autorité palestinienne qui, après les accords d’Oslo, s’est avérée être un échec, gérant les fonds alloués de manière non transparente et ne parvenant pas à freiner la montée du Hamas, comme le déploient de nombreux poètes palestiniens, historiquement de gauche. Voici un exemple de poème à l’humour corrosif qui ne fait pas de compromis, intitulé L’État d’Abbas, écrit en 2008 par Yousef al-Deek (1959) :

Qui ne s’en soucie
pas Ou ne voit pas comment le singe rôde furtivement,
Venez à l’État d’Abbas.
Un État maintenant apprivoisé
où il n’y a pas d’autorité dans l'« Autorité »
Si un voleur ne se présente pas au tribunal
, à sa place il y a le voisin ou sa femme
parce que le gazouillis des oiseaux sur les lignes
téléphoniques pourrait sonner comme « Hamas ! »
Notre norme de justice s’applique à toute créature
en rendant le singe semblable à son maître,
le scélérat... un policier (...)
Dieu
merci après les humiliations... travail... torpeur,
nous avons accouché... un chef d’État
Oh, peuple : maintenant nous avons un État

(Yousef al-Deek, Abbas s State in The Tent Génération)

Mais si les thèmes se perpétuent, ils prennent aussi une nouvelle dimension, notamment au sein de la diaspora palestinienne vivant en Amérique du Nord, qui désormais écrit en anglais et se met au diapason des nouvelles luttes décoloniales et écologiques internationales. Cette poésie est assez peu connue en France. Quelques poèmes ont été traduits par l’incontournable Abdellatif Laâbi dans une anthologie publiée en 2022 et consacrée aux nouvelles voix mondiales de la poésie palestinienne (Anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui. Textes choisis et traduits de l’arabe par Abdellatif Laâbi. Points, 2022). Laâbi avait déjà publié en 1970 une première Anthologie de la poésie palestinienne de combat, suivie vingt ans plus tard de La poésie palestinienne contemporaine.

Parmi ces nouveaux poètes contemporains, on trouve également Remi Kanazi (1981), poète et activiste palestinien qui a grandi aux États-Unis. Dans un style tendu et moderne, Kanazi puise dans le langage des hashtags et des réseaux sociaux, s’inspirant du rythme incisif du hip-hop et reprenant, peut-être même inconsciemment, les codes de la poésie arabe de ses prédécesseurs qui récitaient leurs vers lors de festivals de poésie. Voici deux exemples de sa poésie à fort impact. Le premier est un extrait du poème intitulé Hors saison.

(ces deux poèmes sont extraits de Remi Kanazi, Before the Next Bomb Drops. Rising Up from Brooklyn to Palestine, Haymarket Book, 2015)

 

Ce n’est pas la saison de vos proverbes,
rien que des anecdotes,
des contes d’une terre
sans peuple (...)
Vous ne vous souciez pas de la paix
Vous voulez juste des pièces
Ce
puzzle
n’aura pas une fin heureuse pour
vous

 

Le deuxième extrait s’intitule Nakba :

Elle n’avait pas oublié
Nous n’avons pas oublié
Nous n’oublierons
pas dans nos veines des racines
d’oliviers Nous reviendrons

Ce n’est ni une menace
ni un désir
Espoir
ou rêve
C’est une promesse

 

Le thème de la terre traverse évidemment toute la poésie palestinienne puisqu’elle est au centre de la colonisation dont la population est victime depuis 1948. C’est un thème également abordé par les poètes de la diaspora, mais dans une perspective sensiblement différente. Il n’est plus question de revenir à la catastrophe de 1948 pour regretter une expropriation en reprenant un langage capitaliste, et donc colonialiste, ou une volonté exprimée de reprendre possession de la terre. Il s’agit maintenant de penser la Nakba comme une catastrophe, le site d’une fracture écologique qui a frappé la Palestine en 1948, mais qui affecte la planète entière. Dans son hommage à Mahmoud Darwish, Nathalie Handal (1969) imagine ce que le poète dirait dans son langage poétique et universel :

Je lui demande s’il vit maintenant près de la mer.
Il répond : « Il n’y a pas d’eau, seulement de l’eau, pas de chant, seulement du chant, il n’y a pas de version de l’au-delà pour moi, pas de vue sur le mont Carmel, seulement le Carmel, il n’y a personne pour l’écouter.

(Nathalie Handal, Love and Strange Horses, University of Pittsburgh Press, Pittsburgh 2010, p 8)

Naomi Shihab Nye (1952), quant à elle, décentralise l’humain pour redonner de la force et de la valeur au discours environnemental. Dans le poème Même en guerre, Nye écrit :

Dehors, les oranges se reposent, les aubergines,
les champs de sauge sauvage. Un ordre
du gouvernement dit :
« Vous ne pourrez plus
collectionner ce sage qui donne de l’identité et de la saveur à votre vie ».
Et toutes les mains sourient.

(19 varieties of gazelle, gazelle, poems of the Middle EastGreenwillow Books, 2002, p 50 (ma traduction).

Greenwillow Books, 2002, p 50 Greenwillow Books, 2002, p 50 (ma traduction).

Greenwillow Books, 2002, p 50 (ma traduction).

Greenwillow Books, 2002, p 50 (ma traduction).

Greenwillow Books, 2002, p 50 (ma traduction).

)

Naomi Shihab Nye associe les oranges, les aubergines et la sauge à ceux qui dorment sans être au courant d’un raid imminent de l’armée israélienne. Et si les mains sourient, c’est peut-être par dépit ou pour défier les autorités coloniales et leurs décisions arbitraires. Il n’y a pas d’hyperbole ici, les autorités israéliennes ont en effet interdit aux Palestiniens de 1948 de cueillir de nombreuses herbes aromatiques, notamment le zaatar, pour réserver la culture et la vente aux colons israéliens.

Gaza, poésie et génocide

Si la poésie française a eu son Oradour (Oradour : le 10 juin 1944, les troupes allemandes massacrent la population entière, 642 habitants, d’Oradour-sur-Glane, village de Haute-Vienne), chanté et commémoré par des poètes comme Georges-Emmanuel Clancier (1914-2018), la poésie palestinienne est en deuil depuis octobre 2023, mais elle continue de résister. Il y a d’innombrables villages et zones dévastés après plus de 3 mois de guerre, auxquels il faut ajouter toutes les guerres et attaques infligées à la bande de Gaza depuis 1948. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le philosophe Theodor Adorno avait déclaré qu’il était impossible d’écrire de la poésie après Auschwitz. Un aphorisme devenu célèbre, mais on oublie cependant qu’Adorno est revenu à ses paroles, estimant que face à l’inhumain, à l’impensable, la littérature a le devoir de résister.

Parmi les plus de 30 000 morts et 68 000 blessés à ce jour, la littérature palestinienne a également perdu certains de ses représentants. Comme Refaat Alareer (1979-2023), poète et professeur de littérature à l’université islamique de Gaza, qui avait choisi d’écrire en anglais pour mieux faire connaître la cause palestinienne à l’étranger. Il a été tué lors d’une attaque israélienne sur Gaza dans la nuit du mercredi 6 au jeudi 7 décembre 2023. Le 1er novembre, il avait écrit un poème intitulé « Si je meurs », traduit et publié dans son intégralité par Orient XXI, dont nous citons quelques vers :

Si je
devais mourir, alors que cela apporte l’espoir
que ma fin sera une histoire !

 

Quelques semaines plus tôt, le 20 octobre 2023, Hiba Abu Nada (1991-2023), poète et écrivaine de 32 ans, avait été tuée à son domicile au sud de Gaza. Voici quelques vers d’un poème écrit le 10 octobre, quelques jours avant sa mort :

Je te protégerai
si tu es blessé ou si tu souffres
avec les écritures sacrées, j’ai gardé
le goût des oranges
du phosphore et les teintes des nuages de la fumée toxique, je te protégerai
un jour la poussière se dispersera
et les deux amants morts
riront main dans la main.

(Le poème a été publié dans son intégralité en anglais sur le site de la revue en ligne Protean Magazine)

C’est la poésie tragique d’une femme assiégée qui lui offre un refuge. On y retrouve le thème de la persévérance mais aussi de la générosité et de l’amour de la vie malgré l’adversité, la violence subie, le génocide en cours et la mort imminente.

Le magazine littéraire Fikra (« Idée »), basé à Ramallah, fondé en 2022, donne aujourd’hui la parole aux auteurs palestiniens qui écrivent en arabe et en anglais. Depuis le début des violences perpétrées contre la population civile de Gaza, le magazine a publié les poèmes Fadah et Mai Serhan de Massa. Le poème de Serhan, intitulé Tunnel, est un réquisitoire contre l’Occident et son hypocrisie envers la cause palestinienne :

Piers Morgan (journaliste Britannique) ne cesse de demander :
« Qu’est-ce qu’une réponse proportionnée ? »
Dites-lui que cela dépend. S’il s’agissait d’une maison
de saules et de noyers, elle serait à l’abri des balles, un souvenir.
Si c’était un mot
, ce serait un vers épique, il
n’y a pas de mots pour un enfant qui ne survit pas à la famille,
seulement un acronyme, une anomalie.
Dites-lui que, s’il était enfant, il ne devrait
pas tourmenter ses rêves, l’enfant n’aurait jamais
dû naître d’une mère, mais
de la terre. Cet enfant est une graine, rappelez-lui,
la graine est sous terre, c’est quelque chose de têtu,
plus profond qu’un tunnel.

 

D’autres plateformes, comme celle de l’ONG Action for Hope, tentent de donner la parole aux poètes palestiniens, qui, sous les bombes ou forcés de fuir, continuent d’écrire et d’envoyer des textes choquants pleins de vérité et de courage. Dans le cadre de l’initiative « Here, Gaza » (« This is Gaza »), les comédiens lisent des textes en arabe sous-titrés en anglais ou en français. Un livret de poèmes en arabe et en anglais a été publié en ligne pour donner à la poésie palestinienne une plus grande diffusion et ainsi atteindre un public arabophone et anglophobe.

La poésie refuse toujours de se résigner à l’horreur, mais aussi à tous les diktats, ceux de la langue, de la forme, de la propagande et des discours dominants. Cela a toujours fait sa force, quelles que soient les époques et les latitudes. La poésie a résisté au fascisme, au colonialisme et à l’autoritarisme, payant son engagement par la mort, l’exil ou la prison. De Robert Desnos (1900-1945), mort dans un camp de concentration, à Federico Garcia Lorca (1898-1936), exécuté par les franquistes, de Nâzim Hikmet (1901-1963), qui a passé 12 ans dans les prisons turques, à Kateb Yacine (1929-1989), emprisonné à l’âge de 16 ans par la France coloniale en Algérie, de Joy Harjo (1951), qui célèbre les cultures amérindiennes, à Nûdem Durak (1993) qui chante la cause kurde, En prison depuis 2015 avec une peine jusqu’en 2034, là où l’obscurantisme règne, la poésie répond et s’immole elle-même.

Aujourd’hui, nous tremblons pour le sort du jeune poète de Gaza, Haidar Al Ghazali, qui, comme beaucoup d’autres habitants de la bande de Gaza, s’endort chaque nuit avec la peur de ne pas se réveiller le lendemain, auteur de ces vers dramatiques :

Il est quatre heures et quart du matin, je m’endors et prépare mon corps à l’éventualité qu’une fusée le fasse exploser soudainement, je prépare mes souvenirs, mes rêves ; pour qu’ils deviennent des nouvelles de dernière minute ou un numéro dans un dossier, laisser la roquette arriver pendant que je dors pour ne pas ressentir de douleur, voilà notre dernier rêve en temps de guerre et une fin très pathétique à nos grands rêves. J’essaie de repousser cette peur intérieure en me couchant avec une question :

Qui a jamais dit aux gens de Gaza que les dormeurs ne souffrent pas ?

(texte écrit le 27 octobre 2023, après que tous les moyens de communication ont été coupés, et dont l’auteur ne pensait pas qu’il parviendrait à ses destinataires, mis en ligne par Action for Hope. ecrit le 27 octobre 2023)

15 mars 2024, Orient XXI