Ivan Lidarev est chercheur invité à l’Institut d’études sud-asiatiques de l’Université nationale de Singapour (ISAS-NUS), où il se spécialise dans les relations sino-indiennes et la politique étrangère indienne.

La visite de Modi ouvre une nouvelle ère d’engagement avec la Chine et de retour à l’autonomie stratégique après avoir ouvertement penché vers les États-Unis

La récente visite du Premier ministre indien Narendra Modi en Chine, pour assister au sommet des dirigeants de l’OCS à Tianjin, a été à tous égards une étape importante.

La première visite de Modi en Chine en sept ans a représenté une percée tant attendue dans les relations sino-indiennes et un camouflet pour Washington, dont les relations avec Delhi ont récemment plongé (Foreing india).

De manière significative, le dirigeant indien s’est rendu en Chine pour assister à un sommet des dirigeants de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), au cours duquel il a également rencontré le président russe Vladimir Poutine. En bref, la visite a été riche en signaux géopolitiques et en symbolisme.

Au-delà de cela, cependant, la visite a une signification plus profonde, à la fois pour la politique étrangère indienne et les relations sino-indiennes. Tout d’abord, la visite a représenté un « retour à la normale » de la politique étrangère indienne. Ces dernières années, en particulier après la crise frontalière de 2020 avec la Chine (indianexpress.com), la politique étrangère indienne s’est de plus en plus penchée vers les Etats Unis (aspistrategist.org.au) au détriment de leur autonomie stratégique traditionnelle.

Par conséquent, la visite de Modi en Chine pour un événement de l’OCS représente un réajustement de la politique étrangère indienne, passant d’un penchant vers Washington à une politique étrangère plus équilibrée. Le réajustement, qui a commencé avant la crise actuelle avec Washington mais qui a depuis été accéléré par celle-ci, impliquera un engagement plus important avec les rivaux américains tels que la Chine et la Russie et une coopération accrue avec les BRICS et l’OCS.

Il est important de noter que le réajustement ne constitue pas un rejet du partenariat de l’Inde avec les États-Unis – Delhi et Washington ont trop besoin l’un de l’autre pour cela – mais il s’agit d’un recalibrage clair et délibéré.

Deuxièmement, la visite a conclu le récent dégel des relations sino-indiennes et a inauguré une nouvelle période d’engagement actif. Le dégel difficile et lent entre la Chine et l’inde (thediplomat.com/2024/11), qui a débuté en octobre 2024, a surtout permis de surmonter les effets de la crise frontalière de 2020, de stabiliser la situation militaire à la frontière et de rétablir une certaine normalité dans les relations. Cependant, son but était de dégeler les relations, pas de les développer.

En comparaison, la nouvelle ère d’engagement visera à réaliser des progrès en matière de commerce et d’investissement et à établir une relation bilatérale plus stable et prévisible dans un monde de plus en plus turbulent.

Au niveau mondial, la partie la moins conflictuelle de leur relation, les deux parties se concentreront davantage sur la promotion de la multipolarité (trackingpeoplesdaily/substack). Même des progrès limités sur les différends territoriaux sont possibles, y compris un accord potentiel sur la section du Sikkim de la frontière contestée (thewir.in/diplomacy/).

Dans le même temps, un engagement sino-indien plus actif servira à renforcer les positions de négociation de la Chine et de l’Inde vis-à-vis de Washington et leur permettra de détourner leur attention l’une de l’autre vers d’autres défis de politique étrangère tels que Taïwan, le Pakistan et les États-Unis. Bien sûr, l’aspect compétitif des relations sino-indiennes et diverses questions contestées imposent des limites à l’ampleur de l’engagement.

Troisièmement, la visite de Modi en Chine, politiquement irréalisable jusqu’à récemment, signale que la frontière n’est plus la question centrale dans les relations. Alors que la désescalade dans les zones frontalières est toujours en cours, la situation est maintenant stable et a été principalement compartimentée par rapport à la relation bilatérale plus large.

Ce processus de négociation a été officialisé lors de la récente visite du ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, à Delhi, avec la mise en place de mécanismes d’experts et   militaires pour gérer et résoudre le différend frontalier.

Bien sûr, la frontière n’a pas perdu de son importance, de sa sensibilité ou de son rôle dans les relations sino-indiennes. Les rencontres Modi-Xi ont révélé des différences persistantes dans sa perception de la place dans les relations bilatérales (abcnews.go.com/business/wirestory). Néanmoins, ce n’est plus la question cruciale entre Pékin et New Delhi qu’elle était après les affrontements mortels de 2020.

Enfin, la visite de Modi en Chine signale une politique étrangère indienne plus activiste, moins contrainte par les considérations américaines. En effet, New Delhi a besoin d’une réinitialisation de sa politique étrangère pour compenser les effets déstabilisateurs de la récente attaque tarifaire et politique du président Donald Trump sur l’Inde et pour diversifier ses options en dehors des États-Unis.

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L’activisme de l’Inde sera probablement combiné à une plus grande flexibilité de la politique étrangère pour explorer de nouveaux domaines de coopération, construire de nouveaux cadres institutionnels et revigorer les anciens.

Cette politique générera de nouvelles opportunités de coopération avec la Chine, une plus grande dynamique pour le développement des BRICS et une plus forte poussée en faveur d’accords de libre-échange (ALE), tels que l’ALE Inde-UE tant attendu et une renégociation de l’ALE Inde-ASEAN. L’Inde pourrait même reconsidérer l’économique global régional (RCEP), longtemps considéré comme un pacte de libre-échange de facto dirigé par la Chine.

Alors, que signifie en fin de compte la visite de Modi en Chine ? Certainement ni la transformation globale des relations sino-indiennes, ni la formation d’un alignement entre Pékin et Delhi contre Washington.

Il s’agit plutôt de l’émergence d’une nouvelle politique étrangère indienne plus dynamique dans laquelle la Chine jouera un rôle plus important et plus positif.

 

4 septembre 2025, Asia times