Vice-président de l'Association internationale des juristes démocrates, co-auteur de Démocratie, pouvoir du peuple (Le Temps des cerises, Paris, 1996) et de Nous, peuples de Nations unies : sortir le droit international du placard (CETIM, Genève, 2008).

 

J'ai envisagé d'inclure à ma réflexion une partie historique, elle est beaucoup plus partielle et elle est uniquement sous l'angle de la réflexion sur l'histoire du droit en définitive et très partielle uniquement pour ce qui peut être nécessaire à la logique de mon raisonnement. Celui-ci partira d'une idée, c'est que dès qu'il y a un groupe social quel qu'il soit, la question du pouvoir est posée.

Pouvoir de décision, pouvoir d'application des décisions, qui a le pouvoir sur quoi ? Depuis toujours la question est posée même si elle n'a pas été formalisée, mais elle existe, de savoir si l'être humain est sujet de pouvoir au sens du sujet assujetti, ou s'il est sujet de droit au sens grammatical c'est-à-dire commandant le verbe et donc acteur de pouvoir, titulaire de pouvoir. Ce qui peut aujourd'hui caractériser notre époque et depuis déjà un certain temps, dans les termes suivants : l'alternative est entre pouvoir sur les peuples et pouvoir des peuples. L'homme objet, ce que j'appellerai volontiers la cheptelisation des peuples traités en troupeau, en bétail, et les peuples maîtres, les peuples étant composés bien entendu d'individus pour qui l'un des droits de l'homme essentiel est le droit de l'homme à son peuple et où d'une manière générale la question fondamentale est celle du rapport de l'individu en tant qu'être social, son rapport à la société, son rapport à la nature pour en être maitre. A partir de là on peut dire que pendant bien longtemps, quand a commencé à apparaître la notion d'Etat, la monarchie affirme l'Etat, c'est moi. Quand s'y oppose la démocratie, alors là je reprends le titre d'un livre que j'ai co-commis, la « démocratie » au sens étymologique c'est le pouvoir du peuple, « démo cratie ». Problème.

Si en 1789, Mirabeau dit « nous sommes ici par la volonté du peuple », c'est que toute la bataille à partir de ce moment va être entre la confiscation de ce pouvoir et la réalisation de ce pouvoir. Tout le 19e siècle va être une bataille pour donner le contenu de souveraineté populaire à une confiscation de la démocratie par la doctrine de Tocqueville, les élus sont les élus de la Nation, la Nation est une globalité, à partir du moment où ils sont élus ils assument la souveraineté de la Nation, non pas la souveraineté du peuple, et c'est une notion assez vivace pour que, à France-Inter il y a moins d'une semaine, interviewant un élu pendant le 7/9, l'interviewer lui dise « mais enfin vous n'êtes pas le représentant de vos électeurs, vous êtes le représentant de la Nation ». Ce qui veut dire que, même un élu de l'opposition devrait, dès lors qu'il est devenu un élu de la Nation, appliquer la volonté majoritaire et ne pas être un opposant. La notion de la fiction de la souveraineté va jusque là. La souveraineté populaire devient alors une caution, les élus tirent leur légitimité de ce qu'ils ont été élus, mais le peuple ne vient là que légitimer un pouvoir qui lui est confisqué. C'est une bataille fondamentale aujourd'hui. On a eu des périodes constantes d'avancées et de reculs, 1848 avancée, la Commune de Paris bien entendu, la IVe République qui est sans doute l'institution qui a fonctionné comme étant la plus avancée et j'y reviendrais du point de vue des instruments de la souveraineté populaire, qui a été assassinée en 58 parce que elle était trop fondée sur la souveraineté populaire et qui a pu être assassinée parce qu' elle n'était pas encore assez fondée sur la souveraineté populaire. Aujourd'hui, nous vivons dans la caricature la plus sublimée de la souveraineté populaire par ce qui est sans doute un des plus grands fléaux de la crise de société dans son expression de crise de culture sociale, qui est la délégation de pouvoirs. Il y a un petit livre du début du XXe siècle d'un nommé Guillaumin qui s'appelle La Vie d'un simple dans lequel il raconte que son père, fermier dans l'Allier, s'était vu dire par le marquis qui était le propriétaire des terres, « mon brave n'allez pas voter, laissez faire la politique à ceux qui savent ». Aujourd'hui on va voter, mais sous une idéologie de la modernité réduite à une technicité découpant le savoir en spécialités totalement déléguées, le laisser faire la politique à ceux qui savent s'est traduit par une dérive délirante de professionnalisation de la politique et dans des conditions où ce qui est aujourd'hui fondamental comme alternative quand on parle de souveraineté populaire c'est que, oui le peuple est souverain puisque c'est lui qui désigne ses représentants, seulement partant de l'idée que la démocratie directe est évidemment impossible, on ne peut pas rassembler tout le peuple de France sur la Place de la Concorde, et le référendum est un faux exercice de la souveraineté populaire car il ne fait que répondre par oui ou par non aux questions posées par le pouvoir confisquateur. La souveraineté populaire c'est celle qui n'est pas déléguée, qui est exercée en permanence et à cet égard je me permettrai même d'être un peu chagrin devant le déficit que représente la formule de démocratie participative. Parce que participatif, cela veut dire que l'on participe, donc on a une part c'est-à-dire que finalement le pouvoir confisqué consent à consulter le peuple à lui donner une part consultative de l'exercice.

La souveraineté populaire doit être une souveraineté exercée. Or comme la représentativité est incontournable, la question - et c'est ce que nous essayons de développer dans ce petit livre dont je parlais tout à l'heure - c'est que la représentativité ne doit pas être délégataire, mais instrumentale. Les élus doivent être les instruments de l'exercice permanent de la souveraineté par le peuple et les instruments de cela sont un enjeu constitutionnel dont les prémices sont dans cette constitution de 1946, elle-même mutilée de ce qui était le projet de 1945.

 

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