Léon Trotski :«Défense de la patrie ? »

« Sous cette abstraction, la bourgeoisie entend la défense de ses profits et de ses pillages. Nous sommes prêts à défendre la patrie contre les capitalistes étrangers, si nous garrottons nos propres capitalistes et les empêchons de s'attaquer à la patrie d'autrui ; si les ouvriers et les paysans de notre pays deviennent ses véritables maîtres; si les richesses du pays passent des mains d'une infime minorité aux mains du peuple ; si l'armée, d'un instrument des exploiteurs devient un instrument des exploités.(...) Quand le petit paysan ou l'ouvrier parlent de la défense de la patrie, ils se représentent la défense de leur maison, de leur famille et de la famille d'autrui contre l'invasion de l'ennemi, contre les bombes, contre les gaz asphyxiants. Le capitaliste et son journaliste entendent par défense de la patrie la conquête de colonies et de marchés, l'extension par le pillage de la part «nationale» dans le revenu mondial. Le pacifisme et le patriotisme bourgeois sont des mensonges complets. Dans le pacifisme et même le patriotisme des opprimés, il y a des éléments qui reflètent d'une part la haine contre la guerre destructrice et d'autre part l'attachement à ce qu'ils croient être leur bien, qu'il faut savoir saisir pour en tirer les conclusions révolutionnaires nécessaires. Il faut savoir opposer hostilement l'une à l'autre ces deux formes de pacifisme et de patriotisme. »

(Le programme de transition. 1938)

 

Les membres du comité de rédaction de la revue Utopie critique ne viennent pas tous ensemble de la même formation politique. Trotskistes, communistes, et altermondialistes, nous nous sommes réunis à partir de l’effondrement de l’Union soviétique et des États dits «de démocratie populaire». À ce moment, nous avons pensé, qu’il fallait, indépendamment de nos trajets politiques, nous rassembler et relever le défi d’un capitalisme arrogant, global et mondialisé dirigé par les maîtres de la finance, véritable contre-révolution capitaliste mondiale… Il fallait nous rassembler et remettre en avant l’idéal d’un socialisme véritable, avec une analyse critique des régimes précédents, ouvrant vraiment la perspective d’un pouvoir populaire. Depuis la Commune de Paris nous savons qu’il n’y a pas de pouvoir populaire s’il n’y a pas une insurrection massive qui souhaite changer la vie, la vie de tous les jours, d’autres conditions de vie matérielle, d’autres relations humaines que nous ne pouvons pas atteindre sans rupture révolutionnaire et la construction d’une nouvelle société, c’est-à-dire un socialisme véritable pour lequel ont lutté déjà des générations, que nous pourrions appeler le socialisme du XXIe siècle, en référence aux expériences tragiques et aux peines endurées par ceux qui nous ont précédés dans des conditions historiques qu’ils n’ont pu surmonter face à l’impérialisme.

Je ne vais pas répéter une partie des choses qui ont déjà été dites de la part des orateurs, avec lesquels j’étais d’accord. Nous sommes arrivés à un point de vue commun sur un certain nombre de domaines, en particulier sur la mondialisation, la dénonciation du capital financier, et sur la question de la «souveraineté populaire», le poumon de la vie démocratique qui fonde l’unité du peuple. On oublie trop souvent que les prolétaires ont deux biens principaux : leur classe, qui les hisse en sujets de l’histoire, et leur nation, qui leur ouvre les portes de l’internationalisme. Ils n’ont que la souveraineté populaire et leur langue pour s’exprimer, entre eux et partager leur expérience particulière. C’est la langue nationale qui fonde la relation entre citoyens. La citoyenneté et la souveraineté populaire sont la base à partir de laquelle on doit construire une société libre !

Cela ne veut pas dire que l’on s’oppose aux autres peuples en devenant indépendants ; au contraire : c’est à partir de l’indépendance, c’est en fonction de soi-même que l’on devient plus proche des autres et que l’on se rassemble. C’est ainsi qu’on s’enrichit mutuellement. C’est à partir de cette réalité qu’il y aura vraiment un mouvement mondial, cohérent, certes difficile à construire et demandant du temps. Peut-être, faudra-t-il compter des siècles de transition pour que l’humanité parvienne au socialisme, si nous regardons le chemin parcouru. Les générations qui y arriveront seront sans doute différentes des nôtres mais rien de nous arrêtera vers une cohérence de plus en plus humaine.

En revanche, nous pouvons collaborer dès maintenant comme cela se fait déjà avec les autres pays et les autres peuples. Nous pouvons partager les bases essentielles, en particulier la paix et la lutte contre la guerre, pour la destruction des armes nucléaires, etc. Nous devons être toujours vigilants et en condition de réagir à tout moment.

Le danger de guerre est permanent. Plusieurs militaires responsables de l’Otan et de la stratégie américaine viennent de dire qu’il fallait faire un seul corps à trois, et avoir une stratégie commune entre les États-Unis, l’Union Européenne et l’Otan, – c’est-à-dire toujours la même chose, derrière Washington. Pour quelle raison ? Parce que le chef de l’impérialisme mondial est devant une alternative : ses matières premières sur son sol national se sont largement épuisées, il est donc à la recherche de nouvelles matières premières vers l’extérieur, à l’étranger. Les rapports de force, les conditions internationales peuvent encore lui permettre une intervention militaire. Les USA ne cachent pas qu’ils songent à intervenir avec l’arme nucléaire contre l’Iran, parce qu’ils ont besoin de maintenir leur hégémonie mondiale. Ils ont besoin de s’affronter à un certain nombre de puissances qu’ils considèrent dangereuses pour eux et des modèles de résistance, tout en ménageant les grandes puissances qui peuvent leur répondre au coup par coup avec des armes nucléaires : la Russie est ainsi préservée, et la Chine également, d’autant qu’elle est devenue en plus un partenaire économique. C’est donc à un nouveau moment de l’histoire devant lequel nous sommes placés : une possibilité de guerre permanente pour le maintien de l’hégémonie impérialiste et au danger d’un retour à la barbarie. Nous devons être conscients de cette tendance. Nous devons d’être à la hauteur de cette situation. Nous devons être mobilisés et irrésistibles.