« Le langage de Joe Biden ressemblait certainement moins à celui d’un vainqueur magnanime unissant son peuple, qu'à celui utilisé par les autocrates et les dictateurs pour s'accrocher au pouvoir »

Ce qui s’est passé au Capitole le 6 janvier n’est pas surprenant. Cela aurait pu être évité. Evité si l’Establishment démocrate, qui a conservé les clés du pouvoir tout au long du mandat de Trump, avait vraiment voulu une transition présidentielle en douceur. Pendant les mois qui ont précédé l’élection, l’élite du Transition Integrity ProjectTIP : Projet pour l’intégrité de la transition, était une série de scénarios politiques envisagés pour les élections de novembre 2020 réalisés de juin 2020 aux Etats Unis et impliquant plus de 100 hauts responsables actuels et anciens du gouvernement et de la campagne… (cf utopie-critique n°82) a tiré la sonnette d’alarme, dont les médias libéraux se sont fait l’écho, en annonçant que Trump allait perdre tout en refusant de reconnaître sa défaite.

Il y avait un moyen simple et évident d’éviter un tel drame. Dans un article paru dans Consortium News en août dernier, j’ai commenté comment cela pouvait être fait :

« Il me semble que si l’Establishment démocrate donnait la priorité à une élection et à une transition pacifique, contre la possibilité que Trump rejette les résultats, la chose intelligente et raisonnable à faire serait de le rassurer sur les deux chefs d’accusation qui, selon eux, pourraient l’inciter à rechigner : les accusations de fraude au vote par correspondance et la menace de poursuites pénales contre lui. […]

Quant au vote par correspondance, il est tout à fait normal que les réticences de M. Trump soient justifiées. […] À une époque où n’importe qui peut photocopier n’importe quel document, où le courrier est lent et où il existe de nombreuses façons de détruire les bulletins de vote, de telles inquiétudes ne sont pas exagérées. […]

Au nom de la démocratie, pourquoi ne pas essayer de trouver un compromis ? Kamala Harris a introduit une législation visant à généraliser le vote par correspondance. Pourquoi ne pas, à la place, prolonger la durée du scrutin, en ouvrant les bureaux de vote non seulement le deuxième mardi de novembre, mais aussi le samedi et le dimanche précédents ? Cela donnerait le temps aux électeurs qui ont peur du Covid-19 de se tenir à distance les uns des autres, comme ils le font lorsqu’ils vont au supermarché. Cela permettrait de réduire le nombre de bulletins de vote par correspondance, le temps nécessaire au dépouillement et surtout les soupçons liés au vote par correspondance. Mais plus Trump se méfie du vote par correspondance, plus les démocrates insistent pour le rendre universel.

Il devient de plus en plus clair que la haine de Trump a atteint un tel niveau que pour l’establishment démocrate et ses partisans, vaincre Trump aux urnes ne suffira pas. Ils l’incitent pratiquement à contester l’élection. Ils peuvent alors avoir quelque chose de plus intéressant et de plus décisif : un véritable changement de régime ».

Donc, en fait, nous avons obtenu quelque chose de plus important. Pas exactement un changement de régime, car nous assistons plutôt à une puissante réaffirmation du régime qui était assurément encore en place pendant le mandat de quatre ans largement modifié par le président Trump. La hâte avec laquelle ses collaborateurs et alliés l’ont abandonné à la dernière minute le démontre clairement. Il a toujours été un président sans une véritable équipe, opérant sur la base d’intuitions, de rhétorique et de conseils de son gendre et de personnes de l’intérieur qui étaient en réalité des outsiders.

Mais ce que nous constatons est en effet intéressant : une soi-disant « insurrection » prétendument provoquée par Trump pour le « vol de l’élection » (ce que Trump ne pouvait absolument pas faire). Les scènes de chaos ont été immédiatement utilisées pour le précipiter, lui et ses partisans, dans un gouffre infâme, voire dans une procédure pénale et un emprisonnement.

Plus comme Otpor Le mouvement Otpor, en serbe cyrillique Отпор (« Résistance »), est une organisation politique, créée en 1998, avec le soutien de l'organisation américaine National Endowment for Democracy, et généralement considérée comme l'un des acteurs majeurs de la chute du régime de Slobodan Milošević. Après la chute du régime, Otpor est devenu le centre de formation pour l'action non violente et a formé des jeunes révolutionnaires de différents pays, en Géorgie, puis en Ukraine, mais aussi en Biélorussie, aux Maldives, en 2011 Égypte, et en 2013 au Venezuela. (Wikipedia)

Ce qui s’est passé le 6 janvier n’était pas une insurrection. Quiconque souhaite savoir ce qu’est une insurrection doit se référer au soulèvement armé soutenu par les États-Unis qui a renversé le président chilien dûment élu, Salvador Allende, le 11 septembre 1973. Les événements au Capitole ressemblaient davantage à ce qui s’est passé lorsque des militants « Otpor » formés aux États-Unis ont fait irruption dans le parlement serbe au beau milieu des élections présidentielles de 2000 et ont mis le feu aux urnes. 

Ou encore, l’insurrection particulièrement importante en Ukraine alors que des manifestants vraiment violents ont pris le contrôle du Parlement ukrainien en 2014 et ont renversé le gouvernement, un événement applaudi par le vice-président américain de l’époque, Joe Biden, décrite comme une grande victoire pour la démocratie. Ensuite, il y a eu le coup d’État au Honduras qui a été appuyé par Hillary Clinton, la tentative de putsch presque réussie pour renverser la démocratie en Bolivie, la farce du Guaido soutenue par les États-Unis au Venezuela, etc.

Non, il n’y a pas d’insurrection lorsqu’une foule de personnes qui ont le sentiment que leur candidat a été trompé expriment leur indignation et réussissent à s’introduire dans « leur » parlement sans but précis. La plupart des intrus se sont empressés de s’emparer de « leur » parlement sans avoir une idée précise de ce qu’il fallait faire ensuite. Selon les normes mondiales, la « violence » du 6 janvier a été très modérée, la seule violence armée étant le tir fatal sur une partisane non armée de Trump, Ashli Babbitt (ancienne militaire, désarmée et tuée dans le Capitole), qui aurait pu facilement être repoussée de sa tentative risquée de franchir une barricade.

L’intrusion était tellement loin de constituer un plan pro-Trump qu’elle a eu l’effet inverse. Le résultat politique immédiat de cette irruption de la foule indisciplinée a été en réalité d’empêcher les sénateurs républicains de présenter leurs arguments contre la légitimité du vote de novembre. Cette action a plutôt joué en faveur du président élu Biden.

On pourrait penser qu’au moment de sa victoire, un véritable homme d’État ferait preuve des qualités nécessaires pour diriger une nation en offrant de rassembler tous les peuples en tant que compatriotes. Il a fait tout le contraire.

Dès le lendemain de l’événement du Capitole, dans son petit paradis fiscal qu’est le Delaware, Biden s’est déchaîné contre ses adversaires en décrivant la foule de manifestants comme une bande terroriste, rien de moins.

« Ils n’étaient pas des manifestants », proclamait-il. « Ne les qualifiez pas de manifestants. C’était une foule émeutière. Des insurgés. Des terroristes nationaux. C’est aussi simple que ça. C’est aussi simple que ça. »

Trump, a déclaré Biden, « a lancé un assaut total contre nos institutions démocratiques dès le début, et hier n’était que le point culminant de cette attaque implacable. » Trump avait empoisonné l’environnement politique en utilisant « un langage que les autocrates et les dictateurs utilisent partout dans le monde pour s’accrocher au pouvoir ».

Le langage de Biden ressemblait certainement moins à celui d’un vainqueur magnanime unissant son peuple que celui utilisé par les autocrates et les dictateurs pour s’accrocher au pouvoir. Trump essayait de « nier la volonté du peuple américain », a-t-il dit, tout comme Trump l’avait fait contre lui. Tout le problème était que « la volonté du peuple américain » était loin d’être unanime.

Le centre autoritaire

Ainsi, avant même son investiture, le président élu Biden nous a donné un goût amer des jours à venir. Il ne doit pas y avoir d’unité sacrée, mais une division de plus en plus profonde entre les bons (libéraux éveillés), les mauvais (Russes et autres ennemis de notre démocratie) et les méchants Américains, qui seront qualifiés de terroristes intérieurs, de suprémacistes blancs et de fascistes.

Le centre autoritaire, allant des républicains opportunistes aux supporteurs, peut se rallier à la purge des terroristes nationaux, en réduisant au silence leurs communications et en les faisant dûment renvoyer de leur emploi.

L’Establishment est depuis longtemps déterminé à écraser Trump. Mais il est également question de « purger » tous ses partisans. Biden parle déjà comme un président de guerre, appelant à des mesures pour combattre l’ennemi intérieur, comme par exemple accompagner les grandes guerres.

La nature oligarchique du parti de guerre américain est révélée par la hâte avec laquelle les entreprises privées des médias sociaux vont taire leur dissidence – et même le président des États-Unis encore en exercice. En effet, qui dirige réellement les États-Unis ? Le président n’est-il qu’un agent des puissances économiques dont le rôle est de servir leurs intérêts ? Le problème avec Trump, c’est qu’il n’a pas été choisi pour ce poste.

Trump a réussi à séduire des millions d’Américains mécontents sans proposer aucun programme pratique cohérent pour remplacer le parti de la guerre par des politiques capables de transformer la nation en un havre de paix et de prospérité. Sa confusion reflétait la confusion idéologique d’une population scandaleusement sous-éduquée en matière d’histoire et d’idées politiques. L’illusion voulant que Trump soit le leader dont les Américains dissidents avaient besoin a coûté la vie à Ashli Babbit et a conduit des milliers d’électeurs de Trump dans ce qui correspond en fait à un piège. Trump lui-même a été pris au piège.

Une approche complètement différente de la politique actuelle est nécessaire pour restaurer la démocratie aux États-Unis Tous les discours sur les identités et les idéologies ne peuvent contribuer qu’à accroître la confusion et les divisions, car ils empêchent les citoyens de se comprendre.

L’administration Biden semble vouloir renforcer cette même confusion et ces divisions précisément par le recours aux concepts d’identité et d’idéologie. Je suis absolument convaincue que seule une approche scrupuleusement rationnelle, ouverte, factuelle et pragmatique de problèmes pratiques clairement définis pourrait apporter la paix aux États-Unis, une paix qui pourrait en même temps favoriser la paix dans le monde.

Du monde extérieur, il est facile de définir les questions sérieuses qui devraient dominer le débat politique aux États-Unis. Mais au lieu de cela, nous assistons à un véritable échange d’insultes. L’élite de l’Establishment ne peut se contenter d’échanger des points de vue avec des populistes qualifiés de déplorables, racistes, misogynes, suprémacistes blancs, fascistes et désormais de « terroristes ».

La dénonciation non ciblée de l’élite par les populistes décrit les démocrates de Wall Street comme des « socialistes » et se transforme en accusations de campagnes de vaccination génocidaire, de rites pédophiles occultes, et diabolisées. Au contraire d’une division politique évidente, les États-Unis sont de plus en plus divisés par une haine réciproque aveugle et exacerbée.

Ce dont la vie politique américaine a besoin, ce n’est pas de plus de censure, mais de l’autocensure de la raison. Nous sommes très loin du but.

 

Mondialisation, 26 janvier 2021

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