Maître de Conférences à l'université d'Evry, membre du Conseil scientifique d'Attac.

 

Les étapes de la crise économique et financière qui a surgi au printemps 2007 aux Etats-Unis avec les prêts (subprime) consentis à des ménages modestes pour s'étendre ensuite à l'ensemble de la planète durant les mois suivants sont aujourd'hui bien identifiées. Le surendettement organisé des ménages américains, la transformation des crédits bancaires en titres de type obligataire négociable sur des marchés (titrisation) puis la déresponsabilisation des prêteurs et l'opacité des marchés du crédit ont été les facteurs déclencheurs de cette crise.


Les banques prétendaient être en mesure de faire du profit sans risque et économiser du capital grâce à la titrisation.

Cependant, la transformation financière des années 1980-1990 constitue le socle à partir duquel a pu se développer la « machine à dettes » de ces dernières années. La concentration d'une masse considérable d'épargne dans des fonds de placement (fonds de pensions, sicav, fonds spéculatifs) est à l'origine de la nouvelle configuration des marchés dont le ressort essentiel a été la recherche des rendements les plus élevés possibles.

Pour mettre en place cette nouvelle configuration, il fallait préalablement libéraliser la finance, déréglementer le commerce des biens et des services (libreéchange), et confier aux seuls représentants des détenteurs de capitaux la capacité d'intervenir dans les choix stratégiques des entreprises (corporate governance) afin de « créer de la valeur » pour l'actionnaire.

Mais il fallait surtout considérer que la recherche du profit et plus précisément du rendement financier constituait la finalité première de l'entreprise alors qu'un autre choix institutionnel aurait été tout à fait concevable. Cela supposait alors de ne pas confondre l'« entreprise » (la structure productive) et la « société » (l'entité juridique).

La confusion entre l'« entreprise » au sens de structure productive dont l'objectif est de créer des biens et/ou des services et la « société » au sens juridique dont la finalité est le profit n'a pas été maintenue et entretenue par hasard. Elle est le résultat d'un rapport de force favorable aux détenteurs de capitaux qui ont traduit celui-ci en un « rapport de sens » (Bourdieu).

Ainsi, au-delà de la mise à jour des mécanismes de la crise qui se révèle indispensable mais qui ne peut pas être une fin en soi, l'enjeu prioritaire des années à venir est d'ouvrir de véritables perspectives pour valoriser le travail et l'emploi tout en respectant les ressources naturelles de la planète. Cela nécessite tout d'abord de resituer la dynamique d'un mode d'accumulation spécifique qui n'a plus vraiment de traits communs avec la croissance dite fordienne d'après guerre.

Le capitalisme déréglementé à dominante financière qui a succédé au fordisme porté par le capital industriel s'est développé en comprimant toujours davantage les salaires et en conduisant des fractions de plus en plus significatives des populations vers des formes nouvelles de paupérisation. Contrairement au mode d'accumulation antérieur, cette variante de capitalisme aboutit à une capture presque totale des gains de productivité par les profits au détriment des salaires. Elle permet de développer les versements de dividendes de plus en plus importants aux actionnaires et d'accroître les rendements des placements financiers.

Autrement dit, il s'agit d'une logique économique et financière qui privilégie le développement du « profit » (au sens de rendement des capitaux propres) au détriment de la masse salariale comme si la croissance et l'investissement pouvaient se passer de la demande des ménages.

Dès lors que les salariés ne possèdent plus les moyens économiques dont ils ont besoin par la rémunération du travail, ils se tournent vers la seule issue qui leur est offerte: le développement du crédit et l'endettement. En 2007, le taux d'endettement des ménages américains représente 93 % du PIB. En Grande-Bretagne, ce taux est de 107 % ; il est de 121 % en Espagne alors qu'il n'est en France que de 47 %.

Ainsi, la libéralisation du crédit aux Etats-Unis et dans les pays ayant adopté le modèle anglo-saxon a été une fausse piste pour répondre au développement de la croissance car le crédit hypothécaire a nourri la spéculation tout en accentuant la dépression salariale.

Dans une économie globalisée où un certain nombre de grands pays émergents tels que la Chine ou l'Inde exercent un effet dépressionnaire sur les salaires des travailleurs les moins qualifiés mais aussi sur les revenus des classes moyennes, la volonté politique de sortir de la crise actuelle et de la récession à venir passe par une reconstruction globale des règles du jeu économique et politique.

Cette reconstruction implique de revoir radicalement la libre circulation des capitaux afin que la finance serve au mieux la croissance et l'emploi au lieu d'amplifier la contagion des crises. Elle suppose une remise en cause du système de « libre-échange » qui n'améliore pas le niveau de vie des peuples mais qui place les travailleurs dans une mise en concurrence destructrice. Mais elle demande préalablement de refonder la notion d'« entreprise » confondue abusivement avec la « société » au sens juridique et de lui assigner une autre finalité que celle qui lui a été dévolue jusqu'à ce jour.

Suite dans Utopie Critique N°48