Dimitris Konstantakopoulos est journaliste, écrivain, diplômé de Physique. Conseilleur du Premier Ministre Grec A. Papandreou sur les relations Est-Ouest et le contrôle des armements (1985-88). Correspondant de l’Agence de Presse Grecque ANA à Moscou (1989-99). Il a collaboré avec Michel Pablo pour le lancement de la revue internationale pour l’autogestion Utopie Critique. Secrétaire du Mouvement des Citoyens Indépendants de Grèce (2011-12), Membre du Secrétariat de SYRIZA (2012-13).

Je dois d’abord exprimer mon admiration profonde et sincère pour l’instinct politique des terroristes islamistes. Ils semblent disposer un sens du timing politique formidable. Depuis vingt jours, aucun observateur sérieux et informé (malheureusement il n’y en a pas beaucoup de nos jours), ne peux plus avoir de doutes quant au fait que nous sommes installés, bel et bien, dans une accélération mondiale d’une course vers la Guerre. En apparence contre l’Islam, “radical” ou … autre, et la Corée. En réalité contre la Russie, la Chine et le reste du monde. Mais aussi contre nous-mêmes ! Devenant un Empire, Rome a cessé d’être une République.

Guerre et Paix

Ce n’est pas seulement l’avis de l’auteur de ces lignes. M. Leon Panetta, ancien Secrétaire américain de la Défense, a prévenu que M. Trump prenait le risque d’une guerre nucléaire en Corée, quant à l’ancien directeur de la CIA, Mike Morell, il a qualifié la politique Trump de provocatrice.

Le Premier Ministre Russe a dit qu’on est arrivé à un pas d’un conflit militaire direct entre les deux superpuissances nucléaires présentes en Syrie, et son Ministre de la Défense a cru bon de rappeler, le jour même où M. Tillerson tenait ses pourparlers à Moscou, que tout l’arsenal nucléaire de son pays se trouvait en état de combat immédiat. Selon un des “russologues” les plus connus aux Etats-Unis, le Professeur Cohen de l’Université de Princeton, les Etats-Unis et la Russie se trouvent, maintenant, au point le plus dangereux depuis la crise des missiles de Cuba. Or, vos journaux et télévisions vous disent que rien de très important ne s’est produit. Nos politiciens, soit essayent d’occulter la réalité (s’ils la comprennent eux-mêmes), soit ne savent pas comment s’y prendre.

Cette course à la guerre a commencé en réalité beaucoup plus tôt, mais maintenant, avec l’élection de M. Trump aux Etats-Unis, qui s’est déjà avérée comme la plus grande opération de déception de toute l’histoire politique mondiale, elle est entrée dans une phase décisive, et bien que ce ne soit pas un processus linéaire, elle peut encore connaître bien des détours.

La plupart des gens, y compris des décideurs politiques ou des personnes informées, ne sont pas prêts psychologiquement, ni préparés intellectuellement à accepter ce que nous venons d’écrire. Mais on doit rappeler que c’est ce qui s’est exactement produit à la veille de la Première et de la Deuxième Guerre Mondiale et qui a beaucoup facilité leur éclatement.
La possibilité d’une grande guerre, bien qu’elle soit perturbée par l’existence des armes nucléaires, est déjà inscrite dans la crise économique mondiale qui a débuté en 2008 et qui continue. Cette crise est d’une profondeur comparable à celle de la crise de 1873-96, responsable de la Première Guerre Mondiale, et de la crise de 1929, responsable de la Deuxième Guerre Mondiale. Elle aussi qui explique la crise de l’UE, manifestement la plus importante de son histoire.

La Révélation de Donald Trump

Pendant dix jours en Avril, on a eu le bombardement de la Syrie, les menaces contre la Russie, l’Iran et la Corée, le rappel du côté Russe de l’existence de leur arsenal nucléaire, la menace de guerre nucléaire en Corée, le bombardement de l’Afghanistan par la bombe la plus puissante après celle de Hiroshima, le test d’une nouvelle arme atomique au Nevada, destinée à détruire les leaders de l’ennemi même dans leurs bunkers. Le monde n’a jamais vu ça en si peu de temps, même pas au début des deux guerres mondiales.

On essaye de nous raconter que tout ce qui se passe n’est rien d’autre que du business as usual, que ce n’est pas un projet préparé pendant des années mais une simple inspiration soudaine d’Ivanka Trump et de son mari, qui entrent chaque jour au cabinet de papa et lui suggèrent de bombarder ou de menacer tel ou tel pays, de risquer ou de ne pas risquer une guerre nucléaire, de tester telle ou telle arme. S’il est vrai, alors Ivanka et son mari semblent combiner l’ambition réunie d’un Alexandre le Grand et l’astuce stratégique d’un Napoléon, du Marechal Toukhatchevski et des généraux de Hitler, qui ont planifié les Blitzkriegs au début de la Deuxième Guerre Mondiale.

On attendrait de la presse internationale qu’elle pose des questions très sérieuses et se demande si quelque chose ne va pas bien. Or, il n’en a rien été. Les grands journaux ont traité tout cela comme une banale routine. Ils ont même complètement caché à leurs lecteurs des informations d’une très grande signification, qui auraient fait la une, dans les années ’60 ou ’80. Comme par exemple le rappel par l’agence russe Spoutnik, - le 13 Avril le jour même où le Secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson était à Moscou pour des pourparlers - des déclarations du Ministre de la Défense Russe, que presque tout l’arsenal nucléaire stratégique de son pays est “prêt au combat” et que 96% des lanceurs de missiles intercontinentaux sont en état de lancement immédiat.

Dans ces mêmes journaux on ne trouve pas de telles informations, ou un débat sur l’éventualité d’une guerre atomique qui pourrait faire disparaître la vie. On peut lire beaucoup d’articles sur le traitement atroce des homosexuels en Tchétchénie. Si Goebbels était vivant de nos jours, il serait mort de jalousie.
Tous les journaux qui critiquaient si sévèrement Mr. Trump, il y a deux semaines seulement, le trouvent maintenant très bien. Il semble que ce que M. Trump a réalisé correspond très bien aux attentes de ceux qui contrôlent l’information mondiale.

Préparer l’Europe à la Guerre

La Guerre se dirige tout droit contre l’Islam et la Corée. Mais le « vrai adversaire », comme dirait M. Hollande, celui qui se dessine derrière l’Islam et la Corée n’est autre que la Russie, la Chine et le reste du monde. Si on est dans une telle situation, cela n’a aucun sens d’essayer de comprendre et d’analyser, ce qui se passe en France, en Grande Bretagne, aux Etats-Unis, sans prendre en compte le contexte international.
Si, comme nous venons de l’énoncer, nous sommes bien installés dans la dynamique de préparation d’une guerre autrement plus importante que celles que nous avons connus ces dernières décennies, il revient à la politique de préparer (ou d’empêcher) la guerre qui n’est que la suite de la politique, selon le fameux axiome de Clausewitz.

Qu’elle en soit consciente ou non (ce n’est pas là l’aspect le plus important), c’est exactement ce que fait Mme Marine Le Pen, c’est la Guerre à laquelle elle prépare le peuple français en centrant tout son discours sur la question de la sécurité, en décrivant comme “totalitarisme”, non l’ emprise extraordinaire de la Finance sur toute l’humanité, mais le “djihadisme islamique”, résultat politique de nos propres interventions au Moyen Orient, résultat “organisationnel” du travail des services secrets américains et de leur alliés au Moyen Orient. Du reste, il est remarquable que cet Islam “radical”, fait tout pour … aider Mme Le Pen, en choisissant d’effectuer ses attentats aux moments le plus opportuns pour elle. Soit à la veille des élections régionales, en Novembre 2015, soit à la veille du premier tour des présidentielles.

En effet, on sentait un courant perceptible, faible, mais peut-être suffisant des électeurs, allant du “radicalisme lepéniste” vers le “radicalisme Mélenchon” ces derniers jours. Ce petit courant pourrait propulser M. Mélenchon au deuxième tour et, par la suite, à la Présidence. Or, les attentats commis à Paris, trois jours avant les élections, pourraient avoir comme conséquence d’arrêter la montée de Mélenchon, conduisant à son exclusion du deuxième tour et ainsi contribuer à la victoire finale de Marine Le Pen, ou, le cas échéant, de M. Macron. On verra.

Eliminer Corbyn !

Si la politique doit préparer la guerre, la guerre conditionne les choix politiques. On ne peut pas aller vers une grande guerre avec Jeremy Corbyn comme leader des Travaillistes. Toutes les tentatives de le renverser ont échoué. C’est très probablement la raison pour laquelle Mme Theresa May a décidé de provoquer des élections anticipées en Grande Bretagne, dans l’espoir de conduire à une défaite des Travaillistes, permettant enfin à l’establishment britannique de se débarrasser de ce M. Corbyn. (Là, se trouve peut-être aussi la raison des attaques violentes contre l’ancien maire de Londres, M. Ken Livingstone).

Le Ministre Britannique de la Défense a effectué, il y a quelques semaines, une très rare visite à Chypre, où sont installés des bases britanniques d’une importance capitale pour toute intervention au Moyen Orient. Il a déclaré que ces bases n’ont jamais été aussi importantes “ maintenant que dans toute l’histoire”. Etant donné que “l’histoire” contient la création de l’Etat d’Israël, les guerres israélo-arabes, la crise de Suez et la crise entre la Grèce et la Turquie de 1974, on peut s’inquiéter de la suite.

Contrôler la Turquie et Chypre

Depuis Septembre 2015, l’intervention militaire de la Russie a changé la configuration stratégique de tout le Moyen Orient. Si quelqu’un veut inverser la situation, neutraliser la force militaire russe qui est présente au centre de la région, il lui faudra contrôler de la façon la plus stricte possible la Turquie, qui se trouve entre la Russie et les forces russes en Syrie. C’est peut-être là l’explication du coup d’Etat très hâtivement préparé contre Erdogan en Juillet 2016, coup d’Etat qui a été ouvertement encouragé par les neocons américains.

Pour compléter l’encerclement des Russes, il faut aussi le contrôle le plus total de l’île de Chypre, qui contrôle toute la Méditerranée Orientale. Ceci peut expliquer, très bien, les énormes pressions qui ont été appliquées récemment pour “résoudre” le problème chypriote, en évitant l’obligation d’un référendum et en imposant une “solution” qui transforme l’état chypriote en une sorte de protectorat occidental post-moderne.

“Encercler” l’Allemagne

En 2003, l’opposition de Paris et de Berlin à l’invasion de l’Irak avait provoqué pas mal de problèmes à Washington. Maintenant que quelque chose de beaucoup plus sérieux semble se préparer contre la Russie et/ou la Chine, il faut absolument contrôler l’Europe.

Les Mots ne sont pas innocents. C’est par les Mots qu’on a toujours préparé les guerres. M. Steingard, l’éditeur du journal économique allemand le plus important, Handelsblatt et l’un des esprits les plus originaux qui existent encore dans la presse européenne, a écrit un article en Août 2014. Il n’a pas pris position pour ou contre la Russie. Il a simplement constaté que la presse allemande traitait la Russie et son leader Vladimir Poutine, par rapport à la crise ukrainienne, de la même façon qu’elle traitait la Russie et les Russes, en Août 1914, c’est-à-dire au début de la Première Guerre Mondiale.

L’Allemagne a déjà soutenu la ligne des USA sur l’Ukraine et le Moyen Orient, contre ses propres intérêts. Mais jusqu’où va-t-elle suivre une tel cours, dont elle risque de payer le coût ? On ne peut être sûr d’avance. C’est pourquoi, il faut contrôler d’abord la France et la Grande Bretagne. Par la suite, et étant donné l’isolement de Berlin par toute la périphérie européenne, à cause de la guerre économique lancée contre ses propres partenaires, Berlin se trouverait totalement isolée, si elle voudrait s’opposer au projet de la Grande Guerre.

Réapparition du triangle électoral américain en France

Le paysage politique français ressemble, à la veille du premier tour des élections présidentielles, au paysage politique de l’année dernière aux Etats-Unis.

  • La montée de Jean-Luc Mélenchon, totalement inattendue, comme la montée de Bernie Sanders aux Etats-Unis (ou celle de Corbyn en Grande Bretagne), d’un courant radical de gauche, qui est authentiquement hostile aux guerres du Moyen Orient et à la confrontation avec la Russie. On ne va pas ici examiner les chances de succès de ce courant par rapport à la demande de la situation objective, mais il constitue objectivement une certaine ouverture progressiste et un obstacle certain à la course à la guerre.
  • Le représentant affiché du capital financier et de la mondialisation, l’ex-banquier et conseiller financier des Rothschild : Emmanuel Macron, qui est l’équivalent français de Hillary Clinton.
  • Marine Le Pen, qui semble être l’équivalent de Donald Trump aux Etats-Unis.


Trump aussi disait qu’il était contre la politique de renverser Assad, mais il vient de commencer une nouvelle guerre contre lui. Mme Le Pen dit qu’elle est contre l’attaque en Syrie, mais toutes ses déclarations sur l’Islam préparent politiquement à une grande offensive au Moyen Orient.
Elle se dit amie de la Russie. M. Trump avait aussi laissé entendre qu’il voulait de meilleures relations avec la Russie, sauf qu’il a déjà amené les relations avec Moscou au point le plus dangereux de la crise de Cuba aux années ’60 !
Donald Trump laissait entendre qu’il est un ennemi de Goldman Sachs, des multinationales, de la Finance, de la mondialisation. Il a fini par investir M. Gary Cohn de Goldman Sachs (un des architectes de la destruction économique et sociale de la Grèce) avec tout le pouvoir en matière économique.

Le fait que l’adversaire de Mme Le Pen soit M. Macron donne aux électeurs l’impression qu’elle est un adversaire de la Finance et pourrait faciliter sa victoire dans un duel avec Macron. Mais probablement M. Rothschild comprend ça aussi mieux que tout le monde. S’il voulait vraiment éliminer Le Pen et lui faire perdre les élections, pourquoi n’a -t-il pas conseillé à son banquier de ne pas se présenter contre elle et proposé une personnalité moins connue pour ses relations avec le monde de la Finance et plus apte à vaincre Le Pen ?

Est-ce que Mme Le Pen est vraiment ce qu’elle laisse entendre être ? Ou bien s’inscrit-elle aussi dans ce qui apparaît être la plus grande “Opération Déception” de toute l’histoire politique mondiale, qui a commencé par l’élection de Trump sur une plateforme complètement inverse de celle qu il applique maintenant ? Une chose est de juger les idées, une autre de juger les gens. Il faut juger les gens selon leurs propres idées, non selon les nôtres. Un nationaliste, un fasciste, un libéral, un socialiste, un trotskyste, il faut le juger en comparant ce qu’il fait aux idées qu’il annonce défendre, à son idéologie et sa morale supposée, non aux nôtres.

Comment peut-on expliquer que Mme Le Pen, étant données ses origines, soit devenue une amie d’Israël ou des homosexuels ? Est-ce qu’un partisan du General de Gaulle pourrait défendre l’héritage colonialiste de la France en Algérie ? S’agit-il d’un simple opportunisme politique, si habituel ? Ou s’agit-il d’un “compromis historique” de type faustien, qu’elle a déjà conclue avec le Diable, comme chacun de nos lecteurs voudrait le comprendre ?

Tout cela ne veut pas dire que Mme Le Pen a nécessairement conscience du rôle qu’elle sera amenée à jouer. Avant elle, Mr. Trump, Mr. Tsipras, Mr. Hollande, ont joué le rôle qu’on attendait d’eux, non parce qu’ils savaient avant quel serait leur rôle, mais parce qu’ils ne le savaient pas.

Election Trump – Le Coup du Millénaire !

L’élection de Donald Trump aux Etats-Unis s’est déjà révélée être la plus grande Opération de Déception dans l’histoire politique mondiale.

Elu, en prétendant être un opposant à la Mondialisation Financière, un opposant aux guerres du Moyen Orient et un partisan de meilleures relations avec la Russie (exactement ce que prétend Marine Le Pen en France), Donald Trump (ou plutôt les forces qui le soutiennent et le contrôlent) a déjà remis tout le pouvoir économique à Goldman Sachs.

Par la suite il a utilisé la provocation d’Idlib (comme Hitler a utilisé l’incendie du Reichstag), pour reprendre le programme connu et diffusé des néocons dans ses prévisions les plus dangereuses (renversement des régimes d’Assad et de la Corée du Nord, guerres probablement nucléaires contre l’Iran et la Corée du Nord). Un programme dont les prévisions les plus dangereuses ont été stoppées - à cause d’une opposition forte mais pas vraiment ouverte et politique - d’Obama et d’une section importante des forces armées et des services secrets des Etats-Unis et d’Israël et, surtout, de la décision du Président Russe Vladimir Poutine d’intervenir militairement en Syrie.

Malgré certaines différences, il s’agit ici d’une répétition sui generis du trajet historique du National-Socialisme allemand. Le nazisme a été propulsé au pouvoir en affichant son opposition au grand Capital et aux vainqueurs de la Première Guerre Mondiale. Il a prétendu être un ami et même un allié de la Russie Soviétique. Hitler a éliminé ceux, comme Röhm et ses amis, qu’ils l’ont aidé à prendre le pouvoir (comme Trump a éliminé Steve Banon), il s’est mis au service du Grand Capital allemand et, finalement, il a lancé l’Opération Barbarossa pour détruire son ami et allié supposé.

Athènes 23 avril 2017