Après 5 ans d’existence, Podemos est à un pas du suicide politique alors que dans le pays une nouvelle droite se développe et que le gouvernement socialiste de Sánchez est embourbé dans les négociations avec les séparatistes Catalans.

En effet, Podemos est sur le point de rupture. Ou presque. Exactement cinq ans depuis la fondation du parti, qui a révolutionné la gauche en Espagne. Au milieu de janvier 2014, dans le théâtre du Barrio de Lavapiés, ils avaient lancé le manifeste Mover ficha (convertir l’Indignation en politique). Aux élections européennes du mois de mai suivant, Podemos avait obtenu plus de 1 million de votes et envoyé cinq députés à Bruxelles. La politique espagnole changeait tout à coup, le bipartisme craquait et l’espoir d’un changement avec la victoire de la gauche devenait réel au cours de ces mois. Puis vinrent les municipales de mai 2015 avec la conquête des grandes villes, les élections générales de décembre, le succès de l’été 2016... Podemos obtint plus 5 millions de votes. Enorme, même si les espoirs étaient plus élevés. Enfin, l’arrivée du socialiste Pedro Sánchez au gouvernement après la motion de défiance à Rajoy en juin dernier, et le rôle crucial de Podemos tout au long de cette période, avec un œil rivé sur Lisbonne.

Tout est devenu plus difficile. Même le projet politique de Podemos. Jusqu'à sa propre existence à long terme. La bombe a explosé jeudi matin lorsque Íñigo Errejón, numéro deux et fondateur de Podemos, a décidé de former une alliance avec la maire de Madrid, Manuela Carmena, pour les élections régionales qui se tiendront à la fin mai 2019. Carmena, ancienne magistrate, 74 ans, était devenue l’édile de la capitale espagnole en 2015 avec Ahora Madrid, le regroupement pour les municipales en lien avec Podemos, et des mouvements sociaux. Mais tout le monde savait que Carmena est un électron libre : déjà l’an dernier elle avait imposé au parti d’Iglesias sa propre liste indépendante pour les municipales. Iglesias a soutenu consciemment Carmena car elle était la seule personne qui pouvait gagner Madrid. Or Errejón, était le candidat de Podemos pour la région de Madrid, désigné lors des primaires internes du parti. Il s’agissait, en fin de compte, d’un accord intervenu entre les deux dirigeants après le congrès de Vistalegre II en février 2017 : à Iglesias le Secrétariat et le contrôle de la formation, à Errejón, la région de Madrid où les droites, touchées par des scandales de corruption sans fin, pouvaient perdre les élections après deux décennies de gouvernement ininterrompues. Iglésias a donc rompu cet accord.

Suicide politique ?

Un coup de tonnerre. Le fragile équilibre construit au cours des deux dernières années a volé en éclats. Les tensions entre les pro-Iglesias et les Errejonistas ont toujours existé, mais les conflits étaient toujours circonscrits. Maintenant les choses changent. Errejón s’associe à Carmena sous le sigle Más de Madrid (Madrid plus), pour – comme le soutient l’ancien numéro deux du parti Podemos – retrouver cette transversalité, que le parti d’Iglesias après son alliance avec Izquierda Unida en 2016, avait perdu. Les élections andalouses en décembre dernier avec la victoire de la droite, l’entrée de Vox et un résultat en deçà des attentes pour Adelante Andalucía (coalition entre Podemos et Izquierda Unida), a influencé le choix de Errejón. En un mot : sauver ce qui peut l’être avant que le navire sombre. Mais aussi, en fin de compte, la constatation que Podemos comme projet politique a perdu ce qu’avait été sa force.

Il est encore trop tôt pour dire ce qui va se passer maintenant. La rupture entre Errejón et Podemos est réelle : dans un message vidéo aux adhérents, Iglesias, éloigné du Parlement parce qu’en congé de paternité jusqu’en mars, a considéré qu’Errejón s’était mis lui-même « hors » de Podemos, et il lui a souhaité bonne chance pour son nouveau projet avec Carmena, tout en confirmant que sa formation présentera une liste pour la région madrilène en alliance avec Izquierda Unida. Dans une interview quelques heures plus tard, Errejón a répondu qu’il ne se considère pas comme « hors » de Podemos, qui pour l’instant n’a pas pris de mesures disciplinaires. Il est évident que Errejón a tiré sur la corde pour imposer sa propre lecture de la situation politique, en passant par-dessus les règles internes et un débat qu’il savait perdu.

Cela dit, on pourrait assister à d’autres recompositions – Podemos pourrait s’allier avec más Madrid et ne pas rivaliser avec le projet de Carmena et Errejón – mais il est indubitable que la corde puisse casser. Et que les choses ne s’arrêteront pas là.

Le chaos est donc énorme et le risque d’un suicide politique pour les gauches est au coin de la rue. Il faudra comprendre les répercussions et les conséquences de cette décision sur toute la gauche espagnole et sur les élections municipales qui se jouent au mois de mai, à commencer par Ada Colau à Barcelone.

Le spectre de l’Alliance des droites.

Ce qui se passe à l’intérieur de Podemos est le résultat d’un paysage politique espagnol incertain. Mercredi dernier, en effet, le premier gouvernement de droite de son histoire s’est formé dans la région andalouse depuis la fin de la dictature franquiste. Après 37 années consécutives, les socialistes ont perdu leur bastion historique. Le leader du parti populaire en Andalousie, Juan Manuel Moreno Bonilla, a été élu président de la région grâce à un pacte avec Ciudadanos, qui entre au gouvernement, et l’extrême-droite de Vox, qui l’appuiera de dehors. Les voix du parti de Santiago Abascal étaient indispensables. Et elles continueront à l’être. C’était évident dès le début : en échange de son soutien, Vox avait exigé entre autres l’expulsion de 52 000 migrants et la fin des politiques d’égalité entre les sexes adoptées durant la dernière décennie. Propositions non assumables, au moins pour l’instant, pour le parti populaire et surtout Ciudadanos, qui veut se présenter comme une formation de centre-droit libérale, alliée de Macron. Et en fait, après seulement 24 heures, Vox a apparemment cédé, mais il a fait clairement comprendre que son programme va marquer l’ordre du jour politique pour les mois à venir. Attention.

En Espagne, on ne vote pas seulement pour l’Europe, mais aussi pour les municipales et dans 13 régions sur 17.

Le consortium des trois droites en Andalousie est donc un signal fort pour les élections à venir fin mai. Ce scrutin est crucial pour l’avenir politique du pays. L’Andalousie est un laboratoire. Aucuns cordons sanitaires ne pourront empêcher l’extrême-droite de se retrouver au gouvernement, comme en Suède ou en France : alors qu’ils cherchent à le nier, les conservateurs du PP et les pseudo-libéraux de Ciudadanos s’appuient en fait sur les votes des amis ultras, Salvini, Le Pen et Steve Bannon pour le renversement du gouvernement des socialistes. Dans l’ombre, on devine la main de l’ancien premier ministre José María Aznar qui tisse les fils de cette nouvelle Union des droites ibériques.

Si le pacte andalou fonctionne, il n’y a aucun doute qu’il va resurgir n’importe où si les conditions le permettent. Dans d’autres régions, bien sûr, mais aussi au niveau national. Et c’est là l’inconnue principale : quand voter ? Le mandat s’achèvera au printemps de 2020, mais peu font le pari que Pedro Sánchez parvienne indemne jusque-là. Tout est incertain.

La manœuvre de Sánchez et le vote Catalan

La question cruciale est de savoir si le budget présenté par le pouvoir socialiste sera ou non approuvé. Pour se maintenant Sánchez peut compter sur les votes de son parti, certainement de ceux d’Unidos Podemos et des nationalistes Basques, mais aussi ceux des séparatistes catalans, qui réclament maintenant en échange un référendum sur l’autodétermination et la Libération de leurs dirigeants en détention préventive et qui attendent leur procès sur les événements d’octobre 2017. Un processus qui commence juste au début de février, et dont la décision est attendue en juin. Sánchez ne peut accepter ces conditions et il a proposé plus de dialogue, après les tensions de l’ère Rajoy, pour redessiner un nouveau statut d’autonomie voté par les Catalans.

Une première réponse aura lieu le 8 février 2019, lors du premier vote des Cortes à Madrid. Si les députés indépendantistes permettent la discussion sur le vote du budget au Parlement, Sánchez bénéficiera d’une pause pendant quelques mois. Nous verrons si les indépendantistes très divisés, raisonneront avec leur tête ou leurs tripes. Ils n’ont pas intérêt à faire tomber Sánchez : un gouvernement des trois droites signifierait que l’administration des régions leur échapperait sine die. D’autre part ils pourraient reconsidérer favorablement l’affaire avec l’augmentation de 52% des investissements en direction de la Catalogne, promesse du Psoe, soit presque 2,5 milliards d’euros de plus que les années précédentes. Voter contre ce budget équivaudrait voter pour leur suicide.

Mais l’approbation du budget 2019 est aussi le dernier espoir pour éviter que l’Espagne ne soit frappée à son tour par un climat européen dominé par les droites nationales populistes.

On remarquera qu’Unidos Podemos est partiellement satisfait de ces propositions, bien qu’il ait demandé beaucoup plus. Mais la corrélation des forces est là et tout le monde en est conscient. Si la manœuvre est approuvée, les retraites seront augmentées de + 6,5%, les salaires des fonctionnaires publics de + 2,5%, les investissements en éducation et recherche + 5,6%, ainsi que le financement des politiques contre la violence de genre, pour l’accueil des migrants, les politiques de logement et les chômeurs de plus de 52 ans. Les recettes proviendraient d’une pression fiscale accrue sur les grandes entreprises et les grands actifs, ainsi que de la création de nouvelles taxes sur les transactions financières. Le tout permettrait de ramener le déficit de -2,7 % à -1,9% et celui de la dette publique, devrait descendre au-dessous du 95% du PIB, de façon à ne pas créer de tensions avec Bruxelles. Il s’agit, dans les grandes lignes, de la politique suivie par Costa au Portugal au cours des trois dernières années.

Il reste que les inconnues sont beaucoup plus importantes que les certitudes. Et maintenant le risque réel d’une rupture profonde intra-Podemos même, complique encore plus les choses pour une gauche qui est sur sa défensive après la victoire des droites en Andalousie. Le climat produit avec l’arrivée de Sánchez à la Moncloa il y a moins de huit mois, semble un lointain souvenir. Les prochaines semaines seront cruciales. Les seules personnes qui envisagent une victoire se trouvent à droite.

Micro mega, 18 janvier 2019

Pour information :
Résultats aux élections générales du 28 Avril 2019
Parti socialiste 28,68%
Parti populaire 16,70%
Ciudadanos 15,86%
Coalition Podemos 15,86%

Résultats aux européennes 2019
Parti socialiste 32,84%
Parti populaire 20,13%
Ciudadanos 12,17%
Coalition Podemos 10,05%