Association « Faisons vivre la Commune », pour accompagner les 150 ans de la Commune de Paris (entre Mars et Mai 2021). Pour préparer le souvenir vivant de cet évènement dont les espoirs d’émancipation politique et sociale demeurent d’actualité.

Encore un livre sur la Commune de Paris ! N’a-t-on pas déjà tout dit et tout écrit sur ces 72 jours du printemps 1871 ? Justement les Souvenirs d’une morte vivante de Victorine Brocher (1) ne se limitent pas à ces quelques jours mythiques. Paroles de femme, paroles de famille républicaine, paroles de témoin. Voilà la force de ce livre ! Les ouvrages écrits de nos jours ont l’avantage d’embrasser plus largement ou de faire œuvre de synthèse pour mieux mesurer l’impact de la Commune. Mais le récit d’une femme du peuple, de ce peuple républicain qui se soulève contre les Prussiens, la réaction bourgeoise, pour les franchises parisiennes, donne une chaleur humaine et militante et invite le lecteur dans les réunions, les logements insalubres, les rues étroites, les cimetières, sur les barricades. Vous êtes au fort d’Issy, les versaillais attaquent, et vous vous enthousiasmerez avec ces fédérés, vous aurez peur et vous serez traqués dans les rues de Belleville et d’Haxo. La force de ceux qui y étaient, les témoins. Lors de la première édition de l’ouvrage, l’autrice a préféré signer Victorine B., cachant son nom alors que l’amnistie était votée depuis 1880, par crainte de représailles et par respect pour ceux qui sont morts sur les barricades. Elle existe et elle s’efface. Lucien Descaves, anarchiste, membre de l’Académie Goncourt, l’invite même à publier en Suisse car il est encore mal vu en 1909 de rappeler les faits et les souffrances. Pourtant, c’est lui qui préface cette première édition et qui se consacrera à la mémoire de ces hommes et de ces femmes qui se battirent pour une république sociale, notamment par la publication de son livre Philémon dont nous reparlerons un autre jour.

La République en héritage. Victorine Brocher ne se limite pas à la Commune de Paris. Issue d’une famille républicaine, avec un père franc-maçon, elle connut 1848 et la répression dont le peuple parisien, celui des faubourgs, de Saint-Antoine à Poissonnière, fit l’objet en juin, le coup d’État de 1851, encore la répression même en province, l’exil, les familles séparées ; le départ de son père à Bruxelles. L’ouvrage est mixte, il témoigne de faits historiques mais aussi de la vie d’une femme du siècle. Les pages consacrées à la mort de son premier enfant sont extrêmement poignantes et montrent la souffrance des gens démunis pour qui l’achat d’un médicament était impossible. Témoin de la vie quotidienne, l’ouvrage contient nombre d’anecdotes comme l’origine du mot « godillot ». Victorine Brocher nous fait vivre les ambiances de rue, les émeutes, les scènes de guerre, le froid qui tue sur les remparts, les fusillades, mais aussi les moments de joie intense comme le 26 mars, jour de la proclamation de la Commune, à l’instar de Jules Vallès. Disposant d’une conscience politique, elle mesure le hiatus entre les politiciens et le peuple, le 4 septembre 1870. « Malheureusement, ces hommes aimés du peuple n’ont pas compris ce peuple ; ils s’étaient servis de lui comme d’un marchepied pour monter au pouvoir, sans jamais essayer de comprendre le sentiment populaire, ni la nécessité du moment ; ce fut un grand malheur. » Les pages relatives au siège de 1870 sont insoutenables, les habitants meurent de faim et de froid. On sert des pâtés de souris avec la peau et la queue, en novembre 1870, on tue l’éléphant du Jardin des plantes pour les tables fortunées. Le gigot de chien se vend 6 francs la livre. « Ce jour-là, j’eus encore une surprise, on m’envoya un magnifique lapin, tout préparé à la sauce aux champignons, qui m’était offert par quelqu’un du faubourg Saint-Germain. [...] Quelques jours plus tard, j’appris que ce lapin était un chat et qu’il avait été acheté au marché Saint-Germain, qu’il avait coûté 20 francs. » En janvier 1871, certains secteurs de Paris sont touchés par les obus prussiens, ce qui démontre que les dégâts étaient antérieurs à la Commune.

« Si belle à son aurore ». Le 18 mars 1871 qui marque le retrait de Thiers, son gouvernement et ses troupes en direction de Versailles, montre l’absence de réaction des fédérés et le début de la Commune mais aussi de son échec programmé, selon Victorine : « La journée du 18 mars, si belle à son aurore, était vaincue d’ores et déjà au déclin du jour. L’insuccès de la révolution est tout entier dans cette journée qui promettait tant. » Pourtant Victorine rejoindra un régiment et assumera des fonctions d’infirmière, de cantinière sur le front ouest. La rentrée des Versaillais dans Paris marque le début de la Semaine sanglante avec les tueries, les chasses aux communards, les trahisons, la veulerie de ceux qui attendaient pour applaudir et participer au massacre. Elle sera dans les derniers secteurs au-dessus du Père-Lachaise, vers le Pré-Saint-Gervais. « Le rêve achevé, la chasse à l’homme commence ! Arrestations ! Massacres ! » Quelques mois à Paris pour retrouver sa mère, éprouver la fidélité de quelques connaissances, mesurer la haine d’autres qui la croient morte car on a fusillé une personne qui lui ressemble, d’où le titre du livre. Puis la fuite en Suisse. « Enfin, j’étais sur la terre d’exil ! Voici comment la France d’alors récompensa ses défenseurs. » Son livre constitue une œuvre de réhabilitation pour ces défenseurs de la République. Elle tient la plume et elle s’efface. Elle montre des femmes dans la Commune, elle n’est pas féministe mais défend sa place de combattante républicaine. Comme elle l’indique, elle n’intègre pas le mouvement féministe même si elle connaît Nathalie Lemel et, bien sûr, Louise Michel qui le mentionnera aussi dans son livre sur la Commune. Avant la Commune, elle fréquente l’Association internationale des travailleurs, l’AIT, mais pendant les 72 jours elle est républicaine pour sauver l’essentiel. Après 1871, elle se rapproche de la sensibilité anarchiste, d’Élisée Reclus, de Pierre Kropotkine, de Louise Michel. Cette petite femme, comme la montre une photo dans l’ouvrage, a construit un magnifique témoignage sur le monde ouvrier parisien du XIXe siècle.

Francis Pian

Souvenirs d’une morte vivante, Victorine Brocher. Préface de Lucien Descaves. Postface et appareil critique : Michèle Riot-Sarcey. Éditions Libertalia, 2017, 10 €.

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